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Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

Publié le lundi 13 novembre 2023 à 10h00min

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Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

Le 8 novembre 2023, le conseil des ministres décidait du retrait des permis miniers des mines de Perkoa, Yéou, Guiro et Kalsaka. Une décision jugée radicale par certains, mais judicieuse pour d’autres, qui estiment que l’Etat a même tardé à prendre cette décision. A travers cette interview, Jonas Hien, directeur des programmes de l’ONG Organisation pour le renforcement des capacités de développement (ORCADE), s’exprime à cœur ouvert sur la question, abordant au passage l’épineuse question des 10% que gagne l’Etat de l’exploitation de ses propres sites, avant de donner les enseignements qu’il tire de l’affaire charbon fin qui, actuellement, bat son plein.

Lefaso.net : Le conseil des ministres en sa session du 8 novembre 2023 a décidé du retrait du permis d’exploitation des mines de Perkoa, Guiro, Yéou et Kalsaka. Quelles peuvent être les raisons qui ont motivé cette décision ?

Jonas Hien : Tout d’abord, au niveau des structures de la société civile qui travaillent dans les secteurs miniers comme l’ORCADE, nous avons très bien accueilli et apprécié cette décision de retrait de permis d’exploitation de ces quatre sociétés minières que sont Kalsaka, Yéou, Guiro et Perkoa. Le conseil des ministres qui a pris cette décision a bien justifié les raisons pour lesquelles ces titres ont été retirés et ce ne sont pas des situations nouvelles. Ce sont d’ailleurs de vieux dossiers qui, pendant longtemps, ont été pointés du doigt par la société civile qui demandait constamment et activement que ces titres soient retirés. Le minimum pour une société minière qui s’implante dans un pays, c’est de commencer par respecter les textes dans le secteur d’activité où elle exerce.

Pendant longtemps, nous avons noté avec regret que dans le secteur des mines, plusieurs sociétés ne se soucient pas des textes en la matière. Pendant longtemps, il y a eu trop de compréhension, trop d’indulgence de la part des autorités gouvernementales. En réalité, ce sont des titres qui auraient dû être retirés depuis longtemps. Ce qui arrive aujourd’hui n’est pas une surprise pour nous qui étions au courant de tous ces faits. Nous pensons qu’on a même mis trop de temps avant de le faire parce que cela constitue une perte pour le Burkina. Et si le gouvernement était très méchant ou très rigoureux comme certains pensent, il devait y avoir plus de titres miniers à retirer. Mais la présente décision est à saluer.

Cette décision n’est-elle pas de nature à faire fuir les exploitants, surtout dans ce contexte de crise sécuritaire où beaucoup de partenaires ont déjà pris la porte ?

Je pense que ce retrait de permis n’a rien à voir avec la situation sécuritaire. D’ailleurs, certains sites étaient concernés par des irrégularités avant même que l’insécurité ne frappe. Aussi, le gouvernement n’a pas été trop dur. Il n’a fait qu’appliquer les textes en la matière dans l’intérêt du peuple burkinabè. Ce n’est pas aussi pour chasser ou faire fuir les investisseurs. Bien au contraire. Il y a des sociétés qui n’apprécient pas le comportement de ces sociétés en question, estimant que c’est l’image des sociétés minières qui était ternie.

Aujourd’hui, cette décision sonne comme une manière pour le Burkina de préserver ses intérêts économiques. Certains ont l’autorisation mais s’asseyent avec et ne font rien. Alors que les textes disent qu’au bout d’un certain nombre d’années, si vous ne débutez pas les travaux, on peut vous la retirer. Il y en a qui n’ont pas engagé d’activités, qui ne paient pas de taxes, qui n’écrivent pas à l’autorité pour leur dire pourquoi les choses ne bougent pas. Pour un gouvernement responsable et surtout pour un secteur aussi important, il est totalement inconcevable de s’asseoir, de croiser les bras et de regarder.

Pensez-vous réellement qu’avec l’insécurité qu’il vit, le pays trouvera des repreneurs pour ces permis retirés ?

Parfois quand j’entends certains dire qu’avec la situation sécuritaire les investisseurs miniers vont fuir, je souris. Aujourd’hui, l’Etat a la possibilité de rétrocéder ces permis-là à d’autres repreneurs. Il y a des candidats et il y a toujours des investisseurs qui sont intéressés. A l’heure où je vous parle, plusieurs promoteurs miniers étrangers sont intéressés par l’exploitation minière au Burkina. Ça se bouscule même ! Il n’y a pas de quoi se soucier pour ça. Pour certains sites où l’insécurité est d’une certaine ampleur, on peut en redire. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de candidat en matière de demande de titre minier. Des investisseurs, il y en aura toujours pour l’exploitation minière, et les Burkinabè n’ont pas à craindre quoi que ce soit.

Quelles peuvent être les implications d’une telle décision pour l’Etat burkinabè et sur le plan social ?

Le retrait de ces permis n’aura aucune incidence sur le fonctionnement de l’Etat ou pour les populations. Aucune ! Ce sont des sites qui étaient en arrêt d’activités. Ce n’est pas le cas d’une société qui produisait de l’or et dont on a retiré le permis, ce qui peut arrêter brutalement ce que l’Etat gagnait. Elles ne rapportaient rien ! Elles n’étaient pas en activité. Bien au contraire, c’était une perte pour nous. Et c’est en les réattribuant à d’autres investisseurs beaucoup plus sérieux que l’Etat pourrait gagner quelque chose.

Parmi les revendications des Burkinabè, il y a ces fameux 10% qui reviennent à l’Etat burkinabè chaque année pour les exploitations des sites miniers qui lui appartiennent. Cette décision de retrait de permis d’exploitation tombera-t-elle encore sous le coup de cette "injustice" ou alors est-elle le signe d’un nouveau départ pour des relations plus justes avec les exploitants futurs pour un partenariat gagnant-gagnant ?

Si on réattribue ces titres-là à d’autres reprenants, une chose est sûre, ce sera sur la base des textes en vigueur. Maintenant, est ce qu’on y gagne ou pas, cela dépend de nous. Si nous voulons gagner à une certaine hauteur, c’est à nous de concevoir des textes tout en tenant compte de certaines réalités. Mais si nous nous laissons emporter par les plaidoyers des sociétés minières en adoptant des textes qui ne nous arrangent pas, on ne pourra s’en prendre qu’à nous-mêmes. Il faut savoir ce qu’on veut et surtout, ne pas attendre de la pitié d’un commerçant de ce niveau-là. C’est du capitalisme. Et dans le capitalisme, il n’y a pas de pitié. Pour ce qui est des 10%, on en parle beaucoup mais il y a beaucoup de choses à savoir sur cette affaire. Il faudrait que l’opinion aussi comprenne à quoi cela renvoie.

Les 10% dont on entend souvent parler concernent le capital de l’Etat dans les sociétés minières. Mais dans ces 10%, il faut noter que ce n’est pas à chaque fois que l’Etat gagne effectivement le paiement de ces dividendes. Il y a des cas où l’Etat ne les gagne pas. C’est un peu complexe. À certains moments, on fait le point, on dégage les bénéfices, on redistribue les dividendes et chacun prend sa part. Comme on peut dire aussi que pour cette fois-ci, on ne redistribuera pas. Tout dépend de la décision du Conseil d’administration (CA) de la société minière dans laquelle l’Etat a ses représentants. Il peut donc arriver qu’il décide de la non-redistribution. Et dans ce cas de figure, l’Etat n’aura pas sa part.

Est-ce normal ou pas ?

C’est vraiment très complexe et c’est le CA qui peut expliquer pourquoi il décide que, cette fois-ci, on ne distribuera pas les dividendes. Je prends un exemple simple : le CA peut souligner que pour cette année, le bénéfice n’a pas été très important. Et si l’on veut partager les dividendes, il nous faudra par la suite faire des prêts pour que la société survive. Cela implique donc qu’on paie des intérêts très élevés. Si on ne veut pas contracter de prêts qui nous amèneront à payer beaucoup d’intérêts, on s’abstient de partager les dividendes. Et dans ce cas-là, l’Etat n’aura pas ses 10%.

Ça c’est un exemple parmi tant d’autres, et il y a pas mal de sociétés qui n’ont jamais payé ces dividendes-là. Mais une fois que l’Etat ne reçoit pas ce montant, cela veut dire que ce qu’il devrait recevoir sera réutilisé pour des dépenses bien précises dans le cadre de la bonne marche de la société. A partir de ce moment, il faut qu’il veille à ce que sa part qui ne lui a pas été donnée serve vraiment aux dépenses prévues pour pouvoir recouvrer plus tard son dû pour le développement du pays. Et pour cela, il faut être très vigilant. Je précise qu’il y a des cas qui sont effectifs, où c’est vraiment difficile de partager les dividendes. Mais à notre humble avis, on ne presse pas trop les investisseurs, c’est pourquoi ça persiste. Ça peut arriver. Mais qu’on vive plusieurs années sans jamais payer de dividendes n’est pas sérieux. En tout cas, tout dépend de la politique de suivi de nos intérêts.

Comment le secteur minier burkinabè peut-il se réorienter pour assurer un développement durable, tout en répondant aux préoccupations sociales et environnementales soulevées par le retrait de ces permis d’exploitation ?

Il n’y a pas une réorganisation à faire en tant que telle. Les structures compétentes de l’Etat sont habituées à la gestion de ce genre de situation et ce n’est pas un souci. Il y a des procédures pour réattribuer les titres aux demandeurs qui soumettront leurs requêtes. Maintenant, il faut qu’ils soient confiés à des investisseurs qui ont des capacités techniques et financières. La légèreté de par le passé résidait à ce niveau. Pour le cas par exemple du permis de Kalsaka, c’est le même promoteur qui avait pris le site d’Inata. On le lui avait retiré. A l’époque, nous nous étions demandé comment on pouvait donner un permis d’exploitation d’une si grande mine à un tel promoteur qui, selon nous, ne répondait pas aux critères techniques et financiers. Il ne faut plus commettre ces erreurs-là. Il faut que l’investisseur soit sérieux pour que l’Etat puisse s’en sortir en termes de revenus pour ses caisses.

Ces retraits interviennent au moment même où se tient le procès dit de "charbon fin". Vous qui êtes un averti de cette question par le combat pour la transparence, quels sont les enseignements que vous tirez déjà du procès ?

Quand nous avons commencé à faire ce travail, l’affaire est tombée entre les mains de la justice. Il faut éviter de la perturber et c’est pourquoi l’ONG ORCADE ne s’est jamais prononcée sur la question. Sinon, nous suivons les contradictions qu’il y a entre les experts. Et étant du domaine, ce que nous pouvons dire c’est qu’on ne peut pas ramasser des déchets et les emmener dans un pays lointain s’il n’y a rien dedans. C’est le minimum de base. Je ne vois pas ce commerçant-là qui va remplir des wagons de déchets en direction du Canada s’il n’y a rien dedans. Par exemple, ceux qui ramassent la ferraille qu’ils convoient par la suite vers d’autres pays savent pertinemment qu’il y a beaucoup d’argent en le faisant. Et le charbon fin n’est rien d’autre que des déchets. Mais c’est quel type de déchet qu’on peut aller jeter au Canada juste comme ça, s’il n’y a rien dedans ?

On vous dira peut-être qu’une fois là-bas, il y a des outils qui permettront de faire ci ou ça. Mais pour de petits grains d’or, ce milieu-là n’est pas à ça près. Le simple fait de ramasser ces ordures-là pour les traiter ailleurs signifie ce que ça signifie. Cela se justifie par le fait qu’on nous a connu pendant longtemps comme étant un pays qui n’était pas trop regardant sur les sociétés minières. Le suivi faisait trop défaut si bien qu’on ne prenait pas le soin de fouiner dans certaines choses pour savoir si elles doivent partir ailleurs, avant même qu’elles ne partent. On a failli pendant longtemps.

Si aujourd’hui les gens pensent qu’il y a de la fraude à travers le charbon fin, personnellement ça ne me surprendrait pas. Il y a tellement de méthodes raffinées pour voler de l’or... Mais quand vous parliez en son temps, on ne vous écoutait pas. On a fini par se dire qu’on parle à des gens qui étaient dans le circuit. Pour l’instant en tout cas, nous suivons les choses et on attend le verdict final. Mais on se félicite déjà de ce qu’on ait pris la voie judiciaire pour régler cette affaire. Ce sera une leçon pour nous tous. Désormais, si une société minière dit qu’elle veut convoyer des déchets vers un autre pays pour les traiter, chacun de son côté prendra les dispositions nécessaires et c’est cela l’enseignement qu’il faut tirer de cette affaire.

Erwan Compaoré
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 13 novembre 2023 à 01:24, par Bob En réponse à : Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

    Je me demande toujours si les gens qui ont conçu les accords à 10%,les autorités qui ont signé ces contrats n’étaient soûls ou sous l’emprise de puissantes drogues ? Comment le MPSR II peut il continuer dans cette forfaiture ? L’or est dans le sous sol et ne pourrit pas. Ne pouvons-nous pas utiliser toutes nos ressources pour construire une société nationale d’exploitation de l’or qui va s’investir dans une mine en embauchant tous les spécialistes dont nous avons besoin ? Pendant ce temps nous formons nos ingénieurs, techniciens et cadres qui vont prendre la relève. Puis au fur et à mesure de l’épuisement des sites nous ouvrons de nouvelles mines ! C’est vrai qu’avec la mentalité actuelle des burkinabé il faudrait être regardant et mener une lutte acharnée contre les détournements, la gabegie, la paresse et le vol mais cela est faisable. On l’a vu pendant la RÉVOLUTION. Dans le cadre actuel il est mieux de laisser l’or là où il est pour les GÉNÉRATIONS FUTURES.

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  • Le 13 novembre 2023 à 08:54, par verité En réponse à : Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

    Monsieur

    Grand merci pour votre dévouement pour un partenariat gagnant-gagnant dans le secteur minier du Burkina Faso.

    Je reste parfois toutefois surpris par certains de vos propos.

    Au sujet du charbon fin : vous parlez de déchets.........

    Il n’a jamais était question de déchets au sens propre du terme.

    Le charbon fin est un déchet suite à la première phase d’exploitation.
    Il est exporté, non pas pour être jeté, mais pour y extraire le reste de l’or qui ne peut être extrait par le traitement mis en place.
    (Cela était le cas des anciennes mines d’or).

    Aujourd’hui, les mines ont améliorées leur circuit de traitement au point où la teneur en or contenu dans le charbon après traitement est très faible.
    Il n’est donc pas toujours nécessaire d’exporter le charbon fin.

    Êtes vous un véritable professionnel du secteur minier ?

    Cordialement.
    Un professionnel

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  • Le 13 novembre 2023 à 09:03, par Sheikhy En réponse à : Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

    Toujours clair et net dans ses propos. Quand on maîtrise, on ne tatonne pas. Cette affaire d’or me chiffonne chaque fois. Vider nos ressources pour aller consolider la puissance économique d’autres pays, c’est assez triste.

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  • Le 13 novembre 2023 à 11:11, par Juste En réponse à : Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

    Il est quand même inquiétant que nous sommes toujours aussi incapable de faire appliquer nos textes avec toute la rigueur qu’il se doit. A croire que là où les enjeux financiers sont énormes, le "pétrole" coule à flot pour quelques uns (les voleurs aux cols blancs). Tous ces deals se font sur le dos du peuple qui vit dans la misère. Il y a quelques années, le Togo exportait 7 tonnes d’or vers la Suisse et, pas un gramme venait de son sous sol ! il venait du Burkina en contrebande avec plusieurs centaines de milliards de F CFA de perte sèche pour les caisses de l’état. Nous avons très mal à notre gouvernance et nous payons le prix très fort aujourd’hui. Pas sûr que la leçon soit comprise par les acteurs de la transition pour un réel changement de paradigme. Travaillons nous pour les générations futures ? ou bien, après moi, le déluge !

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  • Le 13 novembre 2023 à 14:20, par Momine En réponse à : Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

    Non seulement le burkinabe n’a plus honte ne connaît pas la honte,ne sait pas démissionner,refuse de démissionner.il à peut être raison face à des institutions inexistantes,corrompues,mourantes incapable de réprimer.bref seule la répression peut nous ramener sur le bon chemin.

    Répondre à ce message

  • Le 13 novembre 2023 à 14:21, par Momine En réponse à : Retrait de permis miniers : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps ! », Jonas Hien

    Non seulement le burkinabe n’a plus honte ne connaît pas la honte,ne sait pas démissionner,refuse de démissionner.il à peut être raison face à des institutions inexistantes,corrompues,mourantes incapable de réprimer.bref seule la répression peut nous ramener sur le bon chemin.

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