LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Démocratie et sécurité : « Les transitions actuelles donnent des opportunités de réformes consolidantes », recommande Kevin Adomayakpor (directeur résident du NDI Burkina)

Publié le mardi 3 octobre 2023 à 22h00min

PARTAGER :                          
Démocratie et sécurité : « Les transitions actuelles donnent des opportunités de réformes consolidantes », recommande Kevin Adomayakpor (directeur résident du NDI Burkina)

Depuis une dizaine d’années, les pays du Sahel connaissent une crise sécuritaire sans précédent. La bonne gouvernance est souvent pointée du doigt comme l’une des causes profondes de l’extrémisme violent. Une situation à laquelle des organisations militantes de la démocratie tentent toujours d’apporter des solutions. Dans cette interview, Kevin Adomayakpor, directeur résident du National democratic institute (NDI) au Burkina Faso, depuis juillet 2021, partage son analyse sur les sujets liés à la démocratie. L’ancien directeur résident du NDI en Côte d’Ivoire (2016 à 2021) réagit également sur le duo démocratie-sécurité.

Lefaso.net : Présentez-nous votre organisation. Qu’est-ce que le NDI ?

Kevin Adomayakpor : Le National democratic institute est une organisation non gouvernementale qui œuvre au développement de la démocratie et la bonne gouvernance à travers le monde. Elle fait appel à un réseau d’experts volontaires pour apporter un appui pratique aux leaders politiques et dirigeants de la société civile, qui travaillent à l’établissement de valeurs et institutions démocratiques dans leurs pays. Elle est présente dans de nombreux pays de l’Afrique dont le Burkina Faso. Au Burkina Faso, le NDI est installé depuis 2004, et travaille avec les institutions étatiques (parlement et gouvernement), forces de défense et de sécurité, partis politiques et société civile et les collectivités territoriales.

Le NDI est rattaché au parti démocrate américain ?

Le NDI est une fondation inspirée par le parti démocrate américain. Il faut noter que le NDI n’est pas une représentation du parti démocrate américain, donc ne met pas en œuvre la politique du parti démocrate. Ce n’est pas sa mission. Son rôle est de promouvoir les principes et valeurs démocratiques tels que la bonne gouvernance, l’inclusion, la participation citoyenne, la participation politique des femmes, le respect de la constitution et la primauté du droit, la défense des droits et libertés de la personne. Cela au profit des populations et des institutions étatiques et non-étatiques.

Puisque c’est votre combat, dites-nous pourquoi le mariage démocratie-sécurité en Afrique ?

La démocratie et la sécurité sont étroitement liées. Une démocratie sans sécurité est vouée à l’échec et une sécurité sans démocratie peut conduire à des régimes autoritaires. Pour exister, la démocratie doit créer les conditions d’une sécurité responsable, redevable, efficace et efficience et à l’écoute des préoccupations des citoyens. La démocratie et la sécurité doivent trouver un équilibre parfait, créer les conditions d’une stabilité durable et se renforcer mutuellement pour faciliter la réalisation des priorités de développement économique et social.

Le Niger vient récemment de s’ajouter à la liste des pays dirigés par des militaires suite à un coup d’Etat. Au niveau du NDI, quelle analyse faites-vous de cette situation, vous qui prônez la démocratie ?

Le NDI intervient au Niger depuis 1990 sur des programmes de promotion de la l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance. Nous avons un bureau au Niger qui travaille avec les acteurs majeurs dans le processus de bonne gouvernance. Le NDI encourage les différents acteurs à assurer un dialogue constructif en vue de trouver une issue favorable et permettre aux populations et institutions du Niger de continuer la marche vers le développement et la démocratie.

Alors que faut-il faire pour éviter des éventuelles situations ?

Les pays ont des histoires et des acteurs différents, ils ne partagent pas les mêmes défis et enjeux qu’il est donc difficile de dire avec exactitude que telle cause pourrait produire tel effet. Le NDI a pour approche de créer dans les pays où il intervient des conditions de dialogues constructifs entre les différents acteurs afin que ceux-ci trouvent par eux-mêmes les réponses aux défis qui sont les leurs en exploitant au maximum toute la panoplie d’outils et de mécanismes démocratiques expérimentés et éprouvés. La démocratie n’est pas la source de tous les malheurs du continent africain. C’est l’incapacité des acteurs politiques à la bonne gouvernance des affaires de l’Etat qui est en cause.

Le NDI encourage le respect de la souveraineté des peuples, la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme ainsi que des principes d’égalité et d’équité. La bonne gouvernance, la sécurité humaine et le développement durable doivent rester des priorités des Etats. Les transitions actuelles donnent des opportunités de réformes consolidantes pour plus de libertés et de mise en place d’institutions fortes qui délivrent les biens et services au développement des nations et lutte efficacement collectivement contre l’insécurité. Il faut les transformer et engager collectivement des solutions durables pour toutes et tous.

Quelle analyse faites-vous de la situation sécuritaire dans les pays du Sahel et du littoral ?

Depuis plusieurs années, les pays du Sahel notamment les Etats membres du Liptako Gourma traversent une crise sécuritaire mettant à mal les efforts de développement de ces pays. Cette crise sécuritaire a pour corollaire une crise humanitaire sans précédent dans la région. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des nations unies (OCHA), en juin 2023, il y avait plus de 2 600 000 personnes déplacées internes. Soixante-treize pour cent des individus déplacés se situaient au Burkina Faso, 14 pour cent au Mali, 8 pour cent au Niger et 3 pour cent en Mauritanie.

Toujours selon OCHA, en avril 2023 dans les trois Etats membres du Liptako Gourma, 15,1 millions de personnes avaient besoin d’aide humanitaire pour survivre. A côté, l’on note aussi cette instabilité sociopolitique et économique occasionnée dans les trois pays avec les droits humains et les acquis démocratiques qui sont mis à rude épreuve. Je voudrais ici saluer les efforts de ces Etats qui apportent en permanence des réponses pour faire face à cette crise et aux conséquences multiples qui en découlent.

Plusieurs actions ont été portées par les Etats et souvent en collaboration avec des partenaires. La crise sécuritaire a des ramifications transnationales, d’où la nécessité pour les pays d’avoir une approche régionale et intégrée pour apporter des solutions durables. Dans la dynamique de contribuer aux efforts d’amélioration de la gouvernance du secteur de la sécurité, le NDI depuis 2014, travaille avec des partenaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger pour adresser les problèmes de sécurité humaine dans chacun des pays mais également à l’échelle régionale.

L’intervention du NDI a permis aux parties prenantes de s’organiser et de mutualiser les efforts pour la recherche de la paix au niveau national et régional et à travers la mise en place des cadres de collaboration et de coopération sous-régionale tels que les cadres de concertations entre centres d’études stratégiques, parlements, chefferie traditionnelle, société civile, FDS et médias.

Les programmes mis en œuvre par le NDI, ont par ailleurs contribué à impliquer davantage des acteurs tels le parlement et la société civile dans leurs rôles de contrôle et surveillance du secteur et à une plus grande connaissance et appropriation de la question de la sécurité humaine. Plusieurs études ont été réalisées sur des thématiques divers, à titre d‘exemple, l’étude sur la contribution du secteur privé dans la résilience des populations face à l’extrémisme violent et au terrorisme, sur le radicalisme religieux dans la région de la Boucle du Mouhoun et sur la confiance des citoyens à l’égard des forces de défense et de sécurité.

Ce qui a été remarquable et perçue dans ces interventions est la nécessité d’avoir une réponse diversifiée articulée et intégrée et que le tout sécuritaire n’est pas l’option la plus efficace. Ensuite, différents leviers locaux et endogènes existent et peuvent être mobilisés pour régler les conflits liés à l’identité et à la gestion des ressources. Enfin, répondre aux défis sécuritaires demandent de combler les pôles de vulnérabilités en interne mais aussi d’avoir une approche régionale pour être efficace et durable.

Pourquoi avez-vous initié un atelier régional des médias sur les meilleures pratiques de couverture de l’information relative aux politiques publiques de sécurité dans le contexte de crise au Sahel ?

Les organes de presse publient une diversité d’informations couvrant l’actualité politique, économique, sociale, culturelle et sécuritaire à travers les médias classiques, les sites web et les réseaux sociaux. Ces médias s’appuient sur leur expertise dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information et de l’éducation du public.

Il faut cependant relever que cette information est souvent sujette à interprétations diverses. Lorsque la question sécuritaire s’en mêle, la presse ne disposant pas de suffisamment de données de terrain, peut ne pas porter la vraie information au public, qui a son tour surfe sur les rumeurs et nourrit ainsi la désinformation et les discours haineux.

C’est dans ce cadre que le NDI à travers son programme dénommé « favoriser la coopération interrégionale pour des politiques de sécurité inclusives dans la région du Liptako-gourma » financé par le National endowment for democracy (NED), a organisé cet atelier régional sur les meilleurs pratiques de couverture de l’information relative aux politiques publiques de sécurité dans le contexte de crise dans la région du Liptako Gourma et en Côte d’Ivoire les 1ers et 2 août 2023, à Grand Bassam en Côte d’Ivoire. Cet atelier a été organisé au profit des leaders religieux, des Forces de défense et de sécurité (FDS) venus de la Côte d’Ivoire, de même que les médias classiques, les médias en ligne, les organes de régulation des médias et les Organisations de la société civile (OSC) de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Mali et du Niger.

Pensez-vous que la couverture de l’information est à la hauteur de la crise sécuritaire dans les pays du Sahel et du littoral ?

Les médias font un travail formidable et parfois dans des conditions difficiles pour fournir des informations fiables et utiles aux citoyens et aux décideurs dans ce contexte de crise sécuritaire. Les droits à l’information et la liberté d’expression sont intimement liés aux principes et valeurs démocratiques.

Mais comme vous le savez, la crise sécuritaire que traversent ces pays est de nature asymétrique et nécessite de donner la bonne et utile information aux citoyens. Ce dialogue entre autorités sécuritaires et les médias sont à encourager afin de contrer efficacement la désinformation et la propagande terroriste. C’est cela l’enjeu sur lequel le NDI travaille avec ses partenaires dans le Sahel et les pays côtiers.

En tant que NDI, qu’attendez-vous que les politiques publiques facilitent la tâche aux médias ?

Comme dans les autres domaines, il y a des textes et des lois qui encadrent toutes les professions. Le NDI encourage le respect de ces dispositions par les différentes parties prenantes. Le NDI plaide aussi pour que les médias soient associés en fonction de la pertinence aux différents processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques pour faciliter la redevabilité et encourager la participation citoyenne. Cela leur permettra de s’approprier des politiques, d’être informés des différents progrès afin de fournir des informations de qualité aux citoyens et éviter les rumeurs et les fausses interprétations. Les médias deviennent ainsi des alliés pour fournir des informations fiables.

Après cet atelier à Abidjan, quelles sont les perspectives du NDI ?

Les participants à l’atelier ont formulé une série de recommandations pour adresser des défis. On peut citer : que la lutte contre les désordres de l’information, le rôle et la responsabilité des médias dans la prévention de l’extrémisme violent, la gouvernance inclusive de l’information dans le contexte de la crise sécuritaire au Sahel et en Côte d’Ivoire et la collaboration efficace entre médias, OSC et FDS dans le cadre du partage d’information sécuritaire au public.

Ils ont également décidé de la création d’un cadre régional de collaboration entre OSC et médias dans la lutte contre la désinformation, les discours et messages de haine. Le NDI pour sa part apportera un soutien à cette dynamique régionale pour contribuer à une meilleure couverture de l’information relative aux politiques publiques de sécurité dans le contexte de crise dans les États membres du Liptako Gourma et dans les pays côtiers

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 4 octobre 2023 à 11:53, par Diongwale En réponse à : Démocratie et sécurité : « Les transitions actuelles donnent des opportunités de réformes consolidantes », recommande Kevin Adomayakpor (directeur résident du NDI Burkina)

    "La démocratie n’est pas la source de tous les malheurs du continent africain. C’est l’incapacité des acteurs politiques à la bonne gouvernance des affaires de l’Etat qui est en cause". Je suis tout-à-fait d’accord. On a eu pendant 27 ans un militaire venu par coup d’état qui a joué à l’homme fort - manipulé par la Côte d’Ivoire et la France - et pour cela a affaibli les institutions en les pourrissant par la corruption. Depuis sa fuite, il aurait fallu des institutions fortes pour que l’Etat puisse garantir à la fois la démocratie et la sécurité, mais elles étaient si "pourries" qu’elles ne pouvaient aucunement soutenir l’Etat. Le travail de remise en état de ces institutions gangrenées est immense mais nécessaire : il faut couper les membres gangrenés !

    Répondre à ce message

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique