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Burkina / Santé : « L’absentéisme et le conflit d’intérêts de médecins du public n’est pas le principal facteur explicatif des dysfonctionnements hospitaliers », selon le SYMEB

Publié le mercredi 6 septembre 2023 à 23h00min

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Burkina / Santé : « L’absentéisme et le conflit d’intérêts de médecins du public n’est pas le principal facteur explicatif des dysfonctionnements hospitaliers », selon le SYMEB

Estimant que certains agents de santé publics ont une activité professionnelle importante dans les structures privées de santé au détriment de l’hôpital public, le conseil des ministres du 6 juillet 2023 a adopté un décret portant modalités d’intervention des agents publics de santé dans les structures privées de santé. Un moratoire d’un à deux ans a été décidé, au bout duquel les praticiens devront faire un choix entre l’exercice au privé et l’exercice dans les structures publiques de santé. Pour le Syndicat des médecins du Burkina (SYMEB), l’absentéisme et le conflit d’intérêts que certains médecins et autres professionnels de santé du public entretiennent avec le privé n’est pas le principal facteur explicatif des dysfonctionnements hospitaliers.

En sa séance du 06 juillet 2023, le Conseil des Ministres a décidé, en application de textes législatifs antérieurs, d’adopter un décret portant modalités d’interventions des agents publics de santé dans les structures privées de santé. Selon le compte-rendu du Conseil des Ministres, les interventions des agents publics dans le privé « seront désormais conditionnées par la signature de conventions entre les agents publics de santé, les structures publiques de santé ou les universités desquelles relèvent ces agents et les structures privées de santé où ils doivent intervenir ».

Cette décision fait suite, selon le Ministre de la Santé et de l’Hygiène Publique, au constat de dysfonctionnements graves qui mettent à mal le fonctionnement des hôpitaux publics. Le gouvernement a pointé du doigt le fait que certains agents de santé ont une activité professionnelle importante dans les structures privées de santé au détriment de l’hôpital public. Un moratoire d’un à deux ans a été décidé, au bout duquel les praticiens devront faire un choix entre l’exercice au privé et l’exercice dans les structures publiques de santé.

Cette décision a au moins le mérite de soulever un débat qu’il nous faut courageusement mener et assumer si nous voulons d’un système de santé fort et répondant aux besoins tant des travailleurs que nous sommes que des populations burkinabè. Car malheureusement certains praticiens, toutes professions de santé confondues, exercent leur activité dans les structures privées de santé, pendant ou en dehors des heures de services, au mépris des textes législatifs existants.
En effet, la loi 081 portant statut de la fonction publique d’État et la loi 057 portant statut de la fonction publique hospitalière consacrent, respectivement en leurs articles 39 et 40, l’exclusivité de l’emploi du fonctionnaire.

Et dans son article 16 alinéa 5, le décret portant horaires et organisation du travail dans la fonction publique hospitalière annonce un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de la fonction publique pour préciser les modalités d’interventions des agents de santé dans les structures autres que celles dont ils relèvent. Quelle lecture peut-on alors faire de cette décision ?

Si le constat de l’absentéisme et du conflit d’intérêts que certains médecins et autres professionnels de santé du public entretiennent avec le privé est réel, préjudiciable à bien des égards et doit être pointé du doigt et règlementé, il est tout aussi vrai qu’il n’est pas le principal facteur explicatif des dysfonctionnements hospitaliers. Il y a en effet plusieurs autres causes parmi lesquelles les insuffisances liées aux infrastructures, aux équipements et au matériel. Par exemple, les blocs opératoires déjà en nombre insuffisant connaissent pour la plupart des difficultés énormes (plomberie, électricité, eau, équipement et matériel chirurgical et d’anesthésie…) qui entravent leur fonctionnement optimal et ne permettent pas aux agents de santé, même quand ils sont volontaires, engagés et présents, d’offrir les soins de qualité qu’ils souhaitent et dont ils ont la compétence ; les unités de dialyse des hôpitaux publics ne disposent pas d’assez de postes de dialyse et ne peuvent offrir la possibilité de dialyse aux « nouveaux » insuffisants rénaux que si un patient qui y est régulièrement dialysé sort de la liste, le plus souvent par décès, car la transplantation rénale n’est pas possible sur place et reste donc inaccessible au burkinabè moyen ; et l’on pourrait citer bien d’autres exemples. Pour endiguer ces insuffisances, il faut :

-  définir des normes règlementaires de qualité pour certaines infrastructures que toute entreprise devrait respecter lors de la construction des ouvrages destinés à abriter certains services spécifiques (blocs opératoires, néonatologie, réanimation, imagerie, laboratoires…), en impliquant les acteurs ;

-  créer des dérogations spécifiques légales aux procédures de la commande publique pour favoriser l’équipement conséquent et de qualité des structures publiques de santé et aller vers des modalités particulières comme les conventions de leasing et de prestations pour certains équipements (imagerie, laboratoire, blocs opératoires) sans prépaiement des structures hospitalières ;

-  mettre impérativement fin aux ruptures de médicaments dans les structures de soins en rendant obligatoire pour les structures hospitalières l’implémentation de la pharmacie hospitalière pour aboutir notamment à la dispensation à délivrance individuelle nominative.

Ceci rendrait les structures publiques non seulement plus attractives pour les praticiens qui n’auront plus besoin d’aller chercher de meilleures conditions de pratique ailleurs et aussi plus compétitives pour offrir les meilleurs soins aux populations.

Pour ce qui est des ressources humaines, les principales insuffisances sont en rapport avec la formation des professionnels de santé et particulièrement des médecins. La qualité de la formation est effectivement mise à rude épreuve ces dernières années avec des effectifs pléthoriques sans cesse grandissants d’étudiants contrastant avec le très faible effectif des encadreurs.

Certains textes règlementaires vont jusqu’à considérer cette formation comme uniquement théorique : considérer en effet que l’activité d’encadrement hospitalier des apprenants ne fait pas partie du volume horaire statutaire des enseignants hospitalo-universitaires et recruter par conséquent un nombre infime d’enseignants en considérant seulement les heures théoriques d’enseignement ne peuvent que réduire la qualité de la formation et partant la qualité des soins offerts à tous les niveaux.

Car nous savons tous que la formation des agents de santé, tous profils confondus, est principalement pratique (au lit du malade ou par simulation dans le cadre des soins humanisant). Mettre à la disposition des structures publiques et privées de santé des ressources humaines en nombre et en qualité passe par différentes mesures :

-  l’ouverture de l’examen classant national qui permettrait la stabilisation des ressources humaines dans le système de santé, avec la création du DES de médecine générale, santé communautaire et médecine de famille ;

-  l’augmentation du nombre d’encadreurs et de sites d’encadrement par le recrutement d’assistants hospitalo-universitaires qui seront rattachés aux universités existantes avec comme site hospitalier de formation les centres hospitaliers régionaux. Toutes choses qui permettront un meilleur encadrement pratique des stagiaires internés et des médecins en spécialisation. En sus de l’opportunité que la mesure offrira pour l’encadrement conséquent des apprenants, elle renforcera la qualité et la quantité de l’offre de soins des hôpitaux, dans l’ensemble des 13 régions, ce qui facilitera le mécanisme d’équipement des hôpitaux par le leasing, dont l’une des conditions majeures de réussite est l’augmentation du volume d’activité dans les formations sanitaires ;

-  la prise en compte de l’encadrement hospitalier des étudiants dans les volumes horaires statutaires des hospitalo-universitaires avec la relecture du texte règlementaire y afférant, la validation des stages étant une condition indispensable de la validation des diplômes en santé ;

En plus de ces insuffisances dans la formation, il faut souligner le faible effectif des agents dans certains domaines, notamment dans certaines spécialités médicales, les obligeant à une charge de travail importante qui n’arrive malheureusement pas à satisfaire les besoins de nos vaillantes populations dans les services de santé.

Quand vous n’avez que deux neurochirurgiens dans un hôpital, quelle que soit leur disponibilité, leur volontarisme et leur engagement, ils ne pourront, entre les temps d’intervention chirurgicale, les consultations de suivi des patients opérés, la prise en charge des urgences 24 h/24, les visites quotidiennes (consultations des malades hospitalisés), et les avis (consultations des patients hospitalisés dans les autres services pour autres pathologies et nécessitant son avis), avoir un temps suffisant pour éviter aux nouveaux patients désirant s’inscrire à leur consultation externe des files d’attente de plusieurs semaines voir mois.

C’est pourquoi il faudra augmenter le nombre de bourses de spécialisation et mettre en place des mesures incitatives et attractives pour certaines spécialités médicales et aussi élargir le conventionnement au secteur public pour prendre en compte la question épineuse de la charge de travail des professionnels de santé y exerçant comme cela l’a été au Bénin voisin.

Il faut également souligner que la part non négligeable du sous-secteur sanitaire privé de santé dans l’activité de soins constitue à plusieurs égards une bouffée d’oxygène voire une bouée de sauvetage pour le système de santé et donc les populations. Pour preuve n’eût été le secteur privé, depuis plusieurs années, il n’aurait pas été possible d’offrir des possibilités de diagnostic par imagerie par résonnance magnétique (IRM) au Burkina pour ne citer que cet exemple-là. La mesure gouvernementale annoncée risque de fragiliser ce secteur si des mesures d’accompagnements urgentes ne sont pas prises. Il s’agit principalement de :
-  la suppression de la patente pour permettre un réinvestissement dans l’équipement ;

-  la défiscalisation du matériel et des équipements biomédicaux à destination des structures de soins publics et privés, comme cela l’a été pour le médicament ; cette défiscalisation évitera de répercuter les taxes énormes sur le dos des malades aussi bien pour le public que le privé. Le manque à gagner du trésor public n’étant pas abyssal, la meilleure santé des populations et l’émergence d’entreprises dans le sous-secteur privé sanitaire comme en Tunisie permettra à l’État de récupérer cette fiscalité dans la consommation des travailleurs qui boostera la croissance économique de notre pays et réduirait le chômage des agents ;

-  une réduction importante de l’impôt sur le bénéfice pour les structures privées de santé comme dans certains pays magrébins.
Il s’agit là de mesures incitatives du sous-secteur privé de santé qui permettront aux promoteurs de faire face aux charges en personnel qu’ils devront supporter et d’encourager l’installation de ceux qui auront fait le choix du privé, l’État ne pouvant employer tous les praticiens formés. Bien sûr il faudra sécuriser l’exercice privé contractuel des professions de santé par la mise en place d’une convention collective qui protègera les employés et les employeurs de ce secteur et règlementer l’exercice libéral des professions de santé.

Enfin, quelle solution de mitigation au risque de démotivation des agents publics qui exerçaient dans le privé ? L’exercice libéral de la médecine dans les établissements de soins avec un encadrement basé sur des seuils de charge de travail et un volume minimum d’activité comme c’est le cas dans le secteur de la douane, associé à la relecture participative et réaliste des textes règlementaires (RAABO CONJOINT de 1991) sur la tarification des actes pourraient constituer un bon début de réponse à la santé financière fragile de nos hôpitaux.

Cela induira sans doute une augmentation du volume d’activité dans les formations sanitaires publiques ; ce qui est un tremplin pour le leasing permettant ainsi un meilleur équipement des hôpitaux et l’amélioration quantitative et qualitative de l’offre de soins.

Sans vouloir justifier ou exempter les professionnels de santé de leur devoir, nous venons juste rappeler les efforts communs que nous devons faire pour donner aux populations habitant notre pays des soins de qualité. Les mesures supplémentaires proposées ici doivent être vues avant tout comme des conditions de succès de la mise en œuvre de la mesure annoncée et surtout comme l’expression de la volonté et de l’engagement des professionnels de santé pour la mise en place d’un système de santé performant pour tous.

Du reste, c’est une condition sine qua non pour l’implémentation réussie de l’assurance maladie universelle au Burkina Faso.
C’est notre façon d’apporter de manière plus proactive et plus sereine notre contribution à l’édification du système de santé fort et résilient dont nous rêvons en tant que praticiens et citoyens pour notre pays. Nous devrons, dans les prochaines semaines, mener un débat franc, ouvert et constructif. Ce sera notre contribution la plus pertinente à l’effort de paix.

Soyons des médecins dignes et intègres !
Vive le médecin burkinabè !
Vive le SYMEB !
Pour le Bureau National
Le Secrétaire Général
Salah Idriss Séif TRAORE

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