LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Présidentielle 2005 : Il était une fois une campagne et des médias

Publié le lundi 14 novembre 2005 à 09h00min

PARTAGER :                          

Maintenant que la campagne électorale a connu son épilogue, quel regard panoramique et critique peut-on jeter sur son déroulement, quelles leçons tirer pour l’avenir, et quelles corrections apporter sans complaisance et sans parti pris politicien, aux imperfections, dans la perspective des scrutins à venir ?

Il faut tout d’abord se féliciter de l’absence, tout au long de cette compétition, d’accrocs majeurs. Certes, pour une campagne électorale dont l’importance n’échappait à personne, les coups bas étaient inévitables.

En effet, il s’agissait de choisir, entre douze candidats, celui qui doit incarner pendant les cinq années à venir, les multiples, mais toujours insatisfaites aspirations d’un peuple démuni, mais qui n’a jamais cédé au découragement. Il appartient au nouveau chef de l’Etat de savoir capitaliser toutes ces réalités qui serviront de levain pour son quinquennat. Il ne pourra réussir qu’en se comportant en rassembleur, en vecteur de l’unité nationale et non en se cantonnant dans un repli politiquement "identitaire" qui consiste, comme c’est souvent le cas en Afrique, à marginaliser ses adversaires d’hier.

Désormais président de tous les Burkinabè, toute appartenance politique et toutes conditions sociales confondues, il lui appartient d’éviter les pièges de la ségrégation, les sirènes de l’exclusion et les démons de la chasse aux sorcières, toutes choses qui sont contraires aux traditions et aux valeurs fondatrices d’une démocratie, d’un Etat de droit et d’une République digne de ce nom.

En tous les cas, tout comportement contraire n’aurait rien de glorieux et porterait un coup fatal à cette quête permanente de réconciliation nationale.

En tout état de cause, le gain ou le surcroît démocratique constaté lors de cette campagne, gagnerait à être maintenu et renforcé. Comme le disait un grand philosophe, le leader n’a aucun mérite spécial. Quant aux perdants, ils doivent savoir taire leurs rancoeurs. Pour que le processus démocratique soit renforcé et que la pratique de la bonne gouvernance devienne un réflexe de tous les jours, tout le monde est interpellé : les leaders politiques (aussi bien les vaincus que les vainqueurs), les acteurs de la société civile et la presse devraient éviter les procès d’intention en accordant la présomption de bonne foi au nouveau chef de l’Etat tant qu’il ne se sera pas écarté des sentiers de l’excellence démocratique.

Sur ce point, la presse, en tant que contre-pouvoir, devrait continuer son rôle d’éveil des consciences d’un électorat encore dans les limbes de l’ignorance.

Si la campagne s’est déroulée dans des conditions unanimement acceptées, c’est aussi grâce à la presse, mais aussi et surtout à l’organe d’autorégulation, le CSC, qui a fait un travail remarquable en amont et a réussi à asseoir les partis politiques autour d’une même table pour signer un pacte de "non-agression" et de bonne conduite.

Les journaux (presse écrite et audiovisuelle), du privé comme du public, ont joué honorablement leur partition sur le double tableau de l’accès aux médiass et de la couverture médiatique.

Aux Editions "Le Pays", nous avons renouvelé notre souscription à la constance et à la continuité, conformément à notre ligne éditoriale dont un des aspects forts est de ne pas couvrir les meetings. Du reste, les sciences de l’information nous enseignent qu’il n’y pas d’information dans une propagande, encore moins dans les promesses électorales ou électoralistes. En tous les cas, un meeting électoral n’est pas une fin en soi et une chose est de couvrir les meetings, une autre est de couvrir la campagne.

Comme le dit un éminent confrère africain, "la propagande est l’antithèse de l’information, et on n’a pas besoin de se coller aux basques d’un candidat pour informer objectivement". Ainsi, si nous n’avons pas couvert les meetings, nous avons couvert la campagne, dans un mode opératoire tout à fait différent : "un candidat, un parcours", "échos de la campagne", radio-trottoir, titre phare à la Une et en couleurs sur le président de la CENI, etc. montrent à souhait que nous n’avons pas croisé les bras ou baillé aux corneilles lors de cette campagne fort ouverte et dont la réussite revient aussi aux présidentiables eux-mêmes.

Mieux, nous avons consacré un dialogue intérieur aux accrocs et aux couacs de la campagne, que ce soit à Ziniaré, à Manga, Pô ou ailleurs. Mieux encore, nous avons, dans l’intérêt supérieur de la transparence électorale, facteur cardinal de la paix post-électorale, déploré avec force, l’impossibilité pour le MBDHP de déployer ses centaines d’observateurs sur l’étendue du territoire national.

Nous n’éprouvons aucun plaisir à être perçu comme le poil à gratter de la République. Nous voulons seulement mettre en oeuvre le principe sacré selon lequel la meilleure façon de servir son peuple et d’aider le prince dans sa gouvernance, c’est d’éviter d’être ondoyant à leur égard.
Ainsi, avec les moyens limités qui étaient les nôtres (nous n’avons pas pris un seul centime des 35 millions octroyés à la presse pour les couvertures médiatiques), nous avons, avec les autres médias burkinabè, fait face, pour l’histoire immédiate et lointaine, à notre mission de service public, dans des modes opératoires différents.

Avec moins de moyens, ou plus exactement, avec nos moyens propres, nous nous sommes engagés à affronter notre devoir de journaliste, celui d’informer. Excusez de la trivialité de la question, mais peut-être aurions-nous mieux fait si nous avions pris l’argent ? Pas si sûr. Ou à l’inverse, peut-on dire que les autres ont fait mieux parce qu’ils ont pris l’argent ? Tout en estimant que la réponse appartient aux usagers des médias, nous nous réjouirions très confraternellement si elle était affirmative.

Nous avons informé avant et pendant cette campagne, et nous le ferons après le scrutin. Nous sommes d’ailleurs très heureux de constater que nos lecteurs, nos alliés naturels, nous ont massivement suivi dans notre position, puisque nous n’avions jamais atteint autant de pics de vente, même si cela n’était pas notre objectif premier.

Nous remercions d’ailleurs ces milliers de lecteurs qui ont respecté notre choix, notre position. Les vrais démocrates, c’est une vérité ordinaire, respectent toujours le choix d’autrui ou, à tout le moins, ne le combattent jamais.

Voltaire disait prosaïquement qu’il n’était pas d’accord avec ses contradicteurs, mais qu’il ferait tout pour qu’ils puissent s’exprimer. Trois siècles avant le nôtre, ce philosophe savait que le socle de la liberté et de la dignité, c’est la pluralité. Il faut du tout pour faire un monde, et toutes les lignes éditoriales doivent être respectées parce qu’elles expriment à la fois un besoin social et l’émergence continue de notre démocratie.

Les médialogues disent d’ailleurs que tous les médias, privés et publics, sont les biens, le patrimoine de la société, quel que soit leur statut, quelle que soit leur ligne éditoriale. Du reste, la tolérance et la paix, deux valeurs républicaines si chères aux vrais démocrates, plongent profondément et hardiment leurs racines dans le respect d’autrui, dans ce que celui-ci a de différent.

C’est pourquoi, nous avons la faiblesse, la prétention, voire l’effronterie de féliciter tous les hommes politiques, tous les hommes et femmes des médias burkinabè, et par-delà eux, la nervure principale de ce gigantesque ouvrage médiatique que sont le Conseil supérieur de la communication et son brain-trust.

De fait, la vraie menace à la liberté de la presse, à la dignité et à la cohésion des acteurs des médias, ne vient ni du pouvoir, ni de la classe politique, ni de l’Administration, ni de la société civile. Elle vient ... de la presse elle-même. Puissions-nous le comprendre afin de nous préserver des sarcasmes et des rires goguenards des ouvriers de l’anti-démocratie.

Le Pays

P.-S.

A lire aussi :
Présidentielle 2005

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Massaka SAS se lance à la conquête du monde
Burkina/médias : BBC et VOA suspendus pour deux semaines