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Diplomatie : « Ce qui me plaît chez les Burkinabè, c’est leur résilience », Max Lamesch, chargé d’affaires à l’ambassade du Grand-duché du Luxembourg au Burkina

Publié le lundi 2 septembre 2019 à 11h37min

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Diplomatie : « Ce qui me plaît chez les Burkinabè, c’est leur résilience », Max Lamesch, chargé d’affaires à l’ambassade du Grand-duché du Luxembourg au Burkina

Chargé d’affaires à l’ambassade du Grand-duché du Luxembourg au Burkina Faso, Max Lamesch, en fin de mission, était au micro de Lefaso.net. Plein de punch, le diplomate a livré son analyse sur l’évolution des relations bilatérales entre le Burkina et le Luxembourg, les droits humains, les perspectives de coopération au développement et la sécurité.

Lefaso.net : Vous êtes en fin de mission au Burkina Faso, quelle image du pays vous reste-t-elle en mémoire ?

Max Lamesch : Je pensais qu’en venant au Burkina en tant que chargé d’affaires, c’était un boulot ardent. Mais j’ai compris que c’était plus concret que cela. J’ai compris aussi qu’il y avait de nombreux programmes de notre portefeuille avec un gouvernement qui n’était pas encore en place, lors de la Transition. C’est donc en 2016, l’année de mon arrivée au Burkina, que tout a repris avec une nouvelle dynamique. Il s’agit notamment du développement des stratégies comme le PNDES, le PADEL, le PUS, etc.

Mon travail était d’essayer de trouver un terrain d’entente entre les priorités du gouvernement burkinabè et l’expertise que nous pourrions ajouter, c’est-à-dire comme valeur ajoutée aux besoins du pays. Mon travail prioritaire était de voir, avec le gouvernement et les différents ministères, quels sont ces terrains d’entente. Cela m’a permis de voir comment fonctionne le gouvernement burkinabè, et cela a été vraiment passionnant.

Une année plus tard, avec l’attaque sur Kwamé-N’krumah, mon travail a été chamboulé. Nous avons décidé de prioriser la sécurisation de nos employés. Mon rôle était donc de protéger mes employés. C’est ce qui a ralenti mon travail. Mais avec tous les efforts du gouvernement burkinabè, on est resté au Burkina Faso.

Ce qui me plaît aussi, c’est la résilience des Burkinabè. Ce n’est pas facile de vivre dans un contexte marqué par l’insécurité, les revendications de la jeunesse, la pression sur le gouvernement, la cohésion sociale, etc. Le peuple burkinabè est un peuple qui travaille, qui veut faire évoluer le pays. C’est un peuple ingénieux et cela m’a passionné. C’était pour moi un honneur de travailler au Burkina Faso.

En plus, l’art contemporain m’a vraiment passionné. Pour moi, le Burkina possède beaucoup d’artistes qui ont un talent fou. Tout le secteur de l’art est vraiment incroyable au Burkina Faso. Il y a vraiment une volonté de changer les choses au Burkina. Une deuxième pensée pour moi était l’entreprenariat des jeunes et des femmes. C’est dans ce contexte que nous avons élaboré un programme innovant pour booster l’entreprenariat au Burkina Faso, à travers le programme PROFEJEC.

En venant au Burkina Faso pour assumer votre fonction de diplomate, quelles étaient vos attentes ?

Pour moi, l’idée était de mieux comprendre le Sahel qui est une région intéressante avec une histoire fascinante. Au début de mon mandat, j’étais responsable aussi pour le Niger. C’est là où on a mis aussi un bureau qui dépend de l’ambassade au Burkina Faso. J’ai compris un peu les différents courants, l’histoire et la complexité de cette région. Honnêtement, c’est une région extrêmement passionnante. J’ai réussi à avoir une idée de l’Afrique de l’Ouest et les défis de cette région. J’ai appris énormément. Je crains qu’au retour au Luxembourg, à la capitale, mon travail ne soit plus administratif et moins concret que mon travail au Burkina Faso.

Quel a été l’impact des menaces terroristes sur vos objectifs diplomatiques ?

Pour la petite histoire, lorsque j’ai dit oui à mon chef pour venir au Burkina Faso, le même soir, il y a eu l’attaque de Capuccino, juste à côté de notre ambassade. Ma famille et mes amis ont alors commencé à me demander qu’est-ce que j’allais chercher là-bas. Pour moi, cela me donnait une idée de ce qui m’attendait au Burkina. Au début, tout allait bien, mais à partir de l’attaque du 2 mars 2018 contre l’Etat-major et l’ambassade de France qui était aussi à côté de notre ambassade, il y a eu la panique chez tout le monde.

Toutes les ambassades au Burkina ont commencé à revoir leur niveau de sécurité. Comment assurer la protection de nos employés, comment rassurer leurs familles. Mais en même temps, cela nous galvanisait de continuer notre partenariat avec le Burkina Faso. On a aussi essayé de diversifier les projets au niveau de l’économie, afin de faire plus d’échanges entre nos entreprises. On a fait de notre mieux, et je crois qu’on a réussi à diversifier nos investissements.

En 1996, le Burkina Faso a été choisi comme un pays partenaire de la coopération bilatérale du Grand-Duché de Luxembourg. Trois ans plus tard, le 27 octobre 1999, les deux pays signaient un accord général de coopération. Comment expliquez-vous ce choix et cette évolution ?

Tout a commencé avec une relation amicale informelle entre le Luxembourg et le Burkina en 1996. A l’époque, on avait plus de pays partenaires et le Burkina Faso est l’un des pays partenaires principaux. Maintenant, on est passé de dix à sept pays. Trois ans plus tard, on a mis en place un accord général de coopération. C’était une étape qui montrait que le Luxembourg voulait investir plus au Burkina. En 2006, on a déployé le premier diplomate et en 2013 on est devenu une ambassade. Pourquoi pas d’ambassadeur ?

Il faut dire qu’on évalue dans le bon sens. Agrandir son réseau de missions diplomatiques, ce n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Chaque étape représente pour nous, de plus en plus d’investissement. Cela veut dire qu’on a plus de présence de Luxembourgeois et de personnels qualifiés. Il faut savoir ce qu’on veut faire. C’est une professionnalisation de nos relations et la prochaine étape sera sûrement d’avoir un ambassadeur.

L’ambassadrice actuelle, madame Nicole Bintner-Bakshian, est responsable de quatre pays : le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal. Moi, je suis en charge des affaires, quand elle n’est pas là. Cette ambassadrice est la première du Luxembourg en Afrique. Auparavant, les ambassadeurs résidaient au Luxembourg. Donc, c’est pour dire qu’il y a de l’évolution et la présence d’un ambassadeur au Burkina viendra avec le temps. Il faut encore patienter.

En 2016, déjà, plus de 17 millions d’euros avaient été alloués au gouvernement burkinabè, comme fruits de la coopération bilatérale. Quels étaient les secteurs concernés ?

Notre partenariat avec le Burkina coïncide avec le PNDES. On a des secteurs traditionnels comme l’éducation de base, la formation technique et professionnelle. Il y a aussi la gestion durable des ressources forestières et la récupération des terres dégradées. Ce secteur de récupération est le deuxième grand secteur traditionnel du Luxembourg au Burkina. Un secteur qu’on a abandonné, est la santé. C’était une grande réussite avec la construction du CRTS de Tengandogo à côté de l’hôpital Blaise-Compaoré et le DPD dans les cinq autres régions. On avait envisagé à l’époque de nous centrer davantage sur d’autres secteurs.

Ce sont donc les Technologies de l’information et de la communication (TIC) qui ont remplacé la santé. Le projet des TIC vise à mettre en place un grand nombre de pilonnes sur l’étendue du territoire. L’idée, c’est de couvrir tout le territoire. Il y a aussi, la modernisation de l’administration publique burkinabè. Notre volonté est de mettre en place l’intranet et l’internet dans les administrations décentralisées des treize régions du pays.

L’idée est que tous les secteurs publics prioritaires au Burkina Faso soient connectés entre eux. On a d’autres résultats qui ressortent de nos engagements. Quand vous voyez la forêt du Kou, c’est le Luxembourg qui l’a aménagée, la forêt de Diendoresso, etc. Il y a des groupements qui sont en place et qui savent comment exploiter la forêt pour avoir des revenus, sans détruire pour autant la forêt. Ce sont les forêts qui sont au centre de notre travail.

En termes chiffrés, quel bilan pouvez-vous faire des relations de coopération et d’amitié entre le Burkina Faso et le Grand-duché de Luxembourg de 1996 à 2019 ?

En termes chiffrés, je n’ai pas le montant exact, mais c’est au moins 100 à 120 millions d’euros qu’on a investis au Burkina Faso. Je peux vous garantir que ce sont des fonds qui ne sont pas retournés au Luxembourg. Chaque année, on essaie d’investir entre 15 et 20 millions d’euros en moyenne. C’est une nouvelle dynamique depuis 2016, et je crois que de plus en plus de résultats vont s’observer, parce que c’est maintenant que toutes nos équipes sont en place.

Qu’est-ce qui fait la spécificité du Burkina Faso, en comparaison des autres pays où vous avez servi en tant que diplomate ?

J’ai fait juste deux années en Haïti à l’époque. J’y ai été en tant que responsable projet pour une ONG. Ce sont deux années qui m’ont marqué. La spécificité du Burkina est vraiment l’accès au gouvernement. C’est ce qui fait le lien avec le Luxembourg. Les ministres sont très disponibles. Chez nous, on a l’habitude de voir les ministres au restaurant et au Burkina, c’est un peu similaire. C’est ce qui facilite beaucoup le travail entre les pays. Il y a une autre spécificité : c’est le dynamisme des jeunes et de la scène culturelle, comme je l’avais souligné.

Quelles sont les formes d’appui de votre pays à l’endroit du Burkina Faso, aujourd’hui en proie aux attaques terroristes ? Et en faveur des déplacés internes ?

On a développé plusieurs niveaux d’appui. D’abord au niveau de la sécurité, on a mis en place un hôpital de campagne, des kits de premiers soins pour le bataillon burkinabè pour la force conjointe à Dori. Il y a une ambulance qui vient bientôt. C’est un premier essai. On n’est pas une puissance militaire, donc on ne peut pas donner des munitions.

Mais tout ce qui est du domaine de la santé pour les militaires, c’est notre focus. Il faut comprendre que le Luxembourg est tellement petit, que notre potentiel est limité. De plus, on a ajouté cette année une contribution de 1 200 000 euros pour le plan d’urgence des écoles au Burkina. On a mis aussi 1 million d’euros pour le PAM et le CICR.

Quelle est la contribution du Luxembourg dans le PNDES ?

Pour la contribution au PNDES, presque tout notre travail s’inscrit dans le PADEL et le PUS. On fait de tout notre possible pour investir dans les programmes des politiques sectorielles du Burkina. Ça fait partie de notre coopération.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que les financements de Luxembourg sous-tendent l’homosexualité et l’avortement ?

Honnêtement, je n’ai jamais eu ce cas. Ce que je réponds, est que la politique générale de notre pays est la lutte pour les droits humains. Cela inclut un engagement du Luxembourg pour les droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs, le droit des minorités. Pour nous, cela fait partie de la lutte pour les droits humains. Mais on sait que chaque pays a son histoire, ses croyances et sa façon d’évoluer.

On n’a donc pas une coopération qui ne veut pas fâcher tout le monde. On s’adapte aux réalités du Burkina Faso, sous forme de dialogue. A ce que je sache, le gouvernement a pris des engagements dans le respect des droits humains, et tout ce que nous faisons est dans le respect des priorités et des politiques du gouvernement et toujours en échange avec les autorités. On a compris et on ne veut pas toucher les sensibilités.

Quelles contributions attendre du grand-duché de Luxembourg dans le G5 Sahel ?

Pour les contributions qui vont dans le G5-Sahel, ce sera dans une logique de santé et de médical. Ce sera à travers des kits de premiers secours, des hôpitaux de campagne, etc. On ne fait pas de différence entre l’armée du G5-Sahel et l’armée régulière du Burkina ou du Niger. On s’oriente par rapport aux besoins du pays.

Si vous avez des suggestions à faire à votre successeur, sur quels secteurs et priorités doit-il axer son action ?

Pour moi, les secteurs qu’on a définis dans les trois dernières années, on les a bien définis avec le gouvernement et donc, mon successeur peut rester dans la continuité.

Quelles sont les priorités de la diplomatie luxembourgeoise ?

On a une priorité importante que l’on donne au multilatéralisme. C’est quelque chose qu’on a en commun. On a compris qu’on n’est plus fort qu’à travers des conventions que l’on fait ensemble, plutôt que chacun fasse ce qu’il veut. En ce moment, il n’y a seulement qu’un gagnant. C’est quelque chose pour nous qui est devenu très actuel.

En quoi consiste le mécanisme d’obtention des visas pour les Burkinabè qui se rendent au Luxembourg ?

C’est le consulat de Belgique qui gère cela. On n’a pas de consulat parce que les demandes de visas sont minimes. Il n’y a pas beaucoup de Burkinabè qui s’intéressent au Luxembourg, je ne sais pas pourquoi.

Quels pourraient être les nouveaux domaines à explorer au Burkina Faso ?

Je pense que les nouveaux domaines, c’est l’entrepreneuriat des jeunes. Le projet est en place depuis six semaines, et je suis sûr qu’on aura des résultats. Mais je le répète toujours, l’entrepreneuriat à lui seul ne suffit pas. Il faut une éducation qui va servir à canaliser leurs énergies. Deuxièmement, tout ce qui est finance, digital et fintech est en gestation au Burkina. Il faut alors travailler ensemble à ce niveau, comme le Luxembourg qui a une place financière importante.

A tout exemple, les Africains sont beaucoup plus loin par rapport au transfert d’argent. Je voulais envoyer de l’argent à un ami au Burkina et j’ai été surpris de savoir qu’on ne pouvait pas faire de transfert digital. Chez nous, on est toujours dans le système traditionnel, parce que les gens craignent un peu le digital qui va faire perdre le boulot à certains. Donc, pour moi, on peut développer un partenariat par rapport à cela.

2020 est une année électorale pour le Burkina Faso. Très souvent en Afrique, les périodes électorales sont des périodes de hautes tensions politiques, voire sociales. Que souhaitez-vous pour ces élections au Burkina Faso ?

Ce que je souhaite pour les élections au Burkina Faso, c’est que ça se passe bien. Il n’y a pas de soucis en ce sens. Le gouvernement et l’opposition veulent avoir des élections bien ordonnées, avec une participation maximale de la diaspora. C’est une préoccupation sérieuse tant pour le gouvernement que l’opposition. Ce qui est essentiel, en chaque détail, c’est qu’ils veulent tous la même chose : des élections sereines et transparentes. Il y a énormément de défis, mais avec toute la volonté que le gouvernement a déjà manifestée, je crois que ça va se passer de manière optimale.

Après des années passées au Burkina Faso, vous avez certainement côtoyé les médias burkinabè et quelques journalistes. Qu’est-ce que ces contacts suscitent en vous comme commentaires et appréciations ?

Par rapport au journalisme burkinabè, honnêtement, avant de venir, je ne connaissais pas le monde du journalisme au Burkina. J’ai été étonné par le professionnalisme de ce métier au Burkina. Il y a tout un écosystème en progression dans ce métier au Burkina. Je sais également que la liberté d’expression est une réalité qui a une large tradition au Burkina. Grâce au journalisme, on a pu comprendre certaines réalités au Burkina.

Que souhaiterez-vous que l’on garde de vous comme souvenir ?

Ce que l’on garde de moi comme souvenir, c’est que je me suis engagé vraiment dans le domaine de l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes. Si ça marche, qu’on se souvienne de moi, comme m’étant battu pour cela. Même si on m’oublie, pourvu que le projet continue (rires).

Quel sera votre point de chute après le Burkina Faso ?

Mon point de chute après le Burkina, c’est d’abord le Luxembourg. Mais après tout, je suis diplomate ; donc d’ici peu, je vais ressortir. Mais pour l’instant, on m’a mis dans la direction politique du ministère des Affaires étrangères sur le dossier de l’Asie orientale. Donc après l’Afrique, c’est l’Asie. Mais je vais revenir comme touriste au Burkina, parce que j’ai beaucoup d’amis au Burkina.

Interview réalisée par Edouard K. Samboé
Judicaël Doulkom (stagiaire)
Lefaso.net

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