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FESPACO 2019 : « La célébration du cinquantenaire est un véritable succès » (Philippe Savadogo)

Publié le vendredi 1er mars 2019 à 19h40min

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FESPACO 2019 : « La célébration du cinquantenaire est un véritable succès » (Philippe Savadogo)

Créé en 1969 et institutionnalisé en 1972, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) devient une biennale à partir de sa sixième édition en 1979. Dans le cadre de la commémoration du cinquantenaire du festival, une équipe des éditions LeFaso.net est allée à la rencontre d’un ancien premier responsable du FESPACO. Philippe Savadogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été la tête du festival de 1985-1995 ; il a ainsi organisé six éditions. Interview !

LeFaso.net : Vous avez été secrétaire permanent du FESPACO. Racontez-nous comment se sont passées les éditions à votre époque.

Philippe Savadogo : Les choses évoluent. Nous avons été recrutés en 1983, au retour des études. J’ai été nommé attaché de presse au FESPACO sous Alimata Salambéré. Ce qui s’est passé, c’est que très vite, on a eu la Révolution et j’ai été nommé secrétaire permanent du FESPACO. C’était évidemment un défi, car lorsque vous avez moins de la trentaine et que vous avez le premier festival sous la Révolution à organiser, c’est autant de défis : montrer que la jeunesse peut relever le défi et que la révolution était là, avec tous les chamboulements.

C’est ainsi que très vite, on a souhaité qu’il y ait une thématique à chaque FESPACO et principalement à celui de 1985. Il faut dire que j’étais le troisième secrétaire général et que je venais après l’institutionnalisation du FESPACO en 1972.

Le premier FESPACO sous la Révolution avec le thème « Cinéma et libération des peuples » était un festival qui, comme on peut le dire, était sorti de sa dimension qu’on connaissait, afin de concerner les médias, la politique et le grand rendez-vous des révolutionnaires du monde. En cette année, le FESPACO a connu un énorme succès parce que c’était évidemment aussi l’admiration de l’arrivée du Conseil national de la révolution (CNR) avec à sa tête les capitaines. Pour nous, c’était autant de défis et tout ce qui se passait à cette époque, c’était de ne rien laisser indifférent.

Le FESPACO 1987 a été préparé avec beaucoup plus de recul, mais nous avions toujours la présence, en occurrence du président Thomas Sankara, qui a tout suivi et regardé. C’était donc l’époque révolutionnaire.

Après le FESPACO 1987 avec la fin du CNR, il a fallu recoudre, comme on le dit, la rupture. Il y avait ceux qui pensaient qu’il fallait boycotter le FESPACO et ceux qui pensaient qu’il fallait continuer. Cela a été un moment très difficile et finalement, le doyen des cinéastes, Sembène Ousmane, a dit que sa présence au FESPACO était un devoir et que la dimension du FESPACO dépassait le Burkina Faso, et qu’il fallait soutenir ce festival qui devait continuer sa longue quête d’un cinéma africain avec des Africains devant et derrière la caméra.

Donc l’étape de 1989 a été un autre défi que nous avons relevé. Cela a été aussi l’époque des Afro-américains qui sont venus nombreux au festival, des Latino-africains, autant de gens de l’Europe et tous ces critiques mythiques qui sont venus entre 1985 et 1989.

Le FESPACO se passait à la Maison du peuple et nous avons voulu faire du 7e art une synthèse de tous les arts et la musique en faisait partie. Voilà pourquoi les colloques et les réflexions, la dimension spectaculaire de l’ouverture ont été des moments forts de la période où j’étais aux destinées du FESPACO. Plus tard, nous avons été à la création du Festival panafricain de Los Angeles, qui a 27 ans aujourd’hui.

Il y a autant de choses qui permettent de comprendre que le FESPACO n’a pas été un long fleuve tranquille ; chacun est arrivé avec des défis et pour ma part, je pense avoir organisé six éditions (1985-1995). Lorsque j’ai été ministre de la Culture (2007-2011), j’ai également organisé le FESPACO avec un autre regard.
Il faut saluer une chose : c’est le public de Ouagadougou, qui porte le FESPACO depuis toujours, qui aime le cinéma, la culture et la création. Cela a permis au FESPACO de perdurer et d’avoir des retombées économiques.

50 ans plus tard, quel bilan tirez-vous du FESPACO ?

Je dois d’abord dire que 50 ans dans la vie d’un festival, c’est intéressant, mais nous avons des festivals qui ont presqu’un siècle aujourd’hui. On peut dire que le FESPACO reste à consolider et à construire. Nous devons rester toujours ouverts, jeunes et osés, parce que nous devons vivre avec notre temps. Un premier responsable de festival doit comprendre qu’il doit d’abord s’adresser à la jeunesse et à ceux qui veulent que les choses s’enracinent.

50 ans plus tard, tout le monde est venu à ce rendez-vous. J’ai vu des cinéastes algériens, guinéens et maliens, qui ont 85 ans aujourd’hui, qui sont venus.
Le FESPACO a évolué. Il y avait un moment où les gens ne voulaient pas des stars au FESPACO, mais j’ai vu aujourd’hui Isaac de Bankolé, Sidiki Bakaba et bien d’autres.

Le plus important aussi c’est la dimension télévisuelle. Dès lors que c’est devenu festival du cinéma et de la télévision, autant de choses ont jalonné la route du FESPACO et qui ont renforcé le cadre. Aujourd’hui, lorsqu’on voit le foisonnement des festivals, des boîtes de communication, des télévisions, c’est aussi l’impact et l’influence du FESPACO.

Pour moi, le FESPACO a un fonds de commerce que j’évaluerai à plusieurs milliards parce qu’il a aidé à connaître le Burkina et la capacité de création des Africains. La plupart des cinéastes africains ont été révélés à Ouagadougou.

Il y a également la formation qui se poursuit. Il y a l’Institut africain d’éducation cinématographique (INAFEC) qui est né 1976, a formé 25 professionnels chaque année pendant sept ans. Mais il y a eu de relais par la suite comme l’Institut Imagine, l’Institut supérieur de l’image et du son/Studio-école (ISIS-SE) et des écoles privées. C’est pour dire que l’impact du FESPACO sur la création des œuvres de l’esprit est extraordinaire.

Le cinéma africain peine à se faire une place au soleil. Selon vous, quel est le problème ?

« L’art naît de la contrainte ». Et de ce point de vue, rien n’est jamais acquis ; il faut passer certainement par des difficultés, quelques fois nous faisons des choix qui peuvent ne pas se révéler les meilleurs. Quelques fois, nous disons également qu’il faut attendre des aides de l’extérieur et des Etats.

Quand je prends Nollywood, le cinéma nigérian, qui est la deuxième industrie économique du Nigéria, il y a 25 ans, ce cinéma était pratiquement inexistant. C’est pour dire que nous devons faire des approches qui doivent nous permettre de renforcer nos objectifs et de nous adapter au temps.

Pour moi, le cinéma africain ne régresse pas, mais la demande est plus importante. On n’a même pas assez de films pour remplir les programmes. Nous devons poursuivre, faire vite, produire beaucoup et avoir pour objectif de faire en sorte qu’on vive de ce métier avec beaucoup d’intérêts et d’engagements.

Nous sommes à la 26e édition du FESPACO ; comment jugez-vous l’organisation ?
Je pense que l’organisation du FESPACO est rodée. Depuis plusieurs années, les commissions fonctionnent bien. Les questions des hôtels ont été comblés parce qu’aujourd’hui, ce n’est plus il y a 30 ans où il n’y a que 700 lits à Ouagadougou, mais plus de 7 000 lits. C’est pour dire que chaque fois que le festival évolue, le marché s’adapte.

Pour cet anniversaire [50 ans], il y a la présence de tout le continent. Je devrais applaudir des deux mains, parce que le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, est venu pour la première fois, et il a fait un discours fondateur. Il y a quelques années, nous avons eu la présence des présidents de la sous-région. Cette année, nous attendons le président du pays invité d’honneur [Rwanda] et celui du Mali.

Ce rassemblement, c’est aussi pour parler de notre passé, notre mémoire ; c’est célébrer ceux qui nous ont quittés. Par exemple Idrissa Ouédraogo qui nous a quittés il y a un an, a eu les hommages mérités : l’Université de Ouagadougou a intégré ses œuvres dans la formation et une grande salle de cinéma à Pissy porte dorénavant son nom. Autant de choses montrent que la célébration du cinquantenaire est un véritable succès et que le flambeau est transmis.

Pour les 50 prochaines années, que proposez-vous pour un rayonnement du 7e art africain ?

Je pense qu’il faut poursuivre ce qu’on appelle la structuration politique du festival, qui fait partie d’un segment de la charte culturelle de l’Afrique. Donc nous devrions travailler afin que les politiques renforcent les mécanismes de production pour qu’il y ait une bonne distribution et qu’on vienne au FESPACO toujours avec de nouveaux produits qui correspondent à l’ère du temps.

Je voudrais aussi dire que d’un point de vue culturelle, on doit poursuivre les réflexions : quel FESPACO demain ? Demander aussi aux cinéastes ce qu’ils pensent de l’avenir de ce festival, et s’interroger sans cesse parce que rien n’est jamais acquis à l’homme.

Sur le plan économique, renforcer aussi une présence de ceux qui tirent profit économiquement du FESPACO dans la production ou dans l’implication. Ce sont autant de choses qui doivent jalonner la route qui nous conduit en l’an 2069 et en étant sûr que la relève sera assurée.

Il y a un débat : d’aucuns pensent que le FESPACO est un rendez-vous des réalisateurs et non des acteurs ; d’autres estiment le contraire. Vous êtes de quel camp ?

Je suis de deux côtés comme le nom de cet acteur, je ne suis ni pour ni contre. Je suis pour que les critiques, les médias soient au FESPACO. Sans ces hommes, le FESPACO ne peut pas avoir une image, un retentissement à l’échelle internationale. Comme les acteurs et actrices, ils font non seulement partie du FESPACO, mais de son image.

On ne peut pas construire un bon scénario sans de bons acteurs. Je crois que le débat est déjà dépassé ; nous devons aussi continuer à nous interroger sur les thématiques et sur les questions de notre temps.

Interview réalisée par Dimitri Ouédraogo
Cryspin Masnenag Laoundiki
LeFaso.net

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