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Bonoudaba Dabiré : « La croissance est là, on attend les fruits »

Publié le samedi 7 janvier 2006 à 10h06min

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M. Bonoudaba Dabiré, ministre délégué, chargé de l’Agriculture depuis hier

Economiste de formation, Bonoudaba Dabiré est le secrétaire permanent du secrétariat technique chargé de la coordination des programmes de développement économique et social (SP/STC-PDES) au sein du ministère de l’Economie et du Développement. Ce secrétariat est chargé « d’animer le processus de mise en œuvre du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) ».

Marié, père de quatre enfants, ancien enseignant à l’Université de Ouagadougou, de l’ENAM, et de l’Ecole nationale des douanes, l’homme sans détours évoque la mise en œuvre du CSLP, sa corrélation avec l’étude « Prospective Burkina 2025 », la lutte contre la corruption.

Sidwaya Plus (S.P.) : Ces dernières années, on parle beaucoup de lutte contre la pauvreté. Concrètement qu’est-ce qui manque à nos Etats... lorsque l’on considère les investissements de tous ordres mis pour leur développement depuis les indépendances ?

Bonoudaba Dabiré (B.D.) : C’est une réalité. Depuis les indépendances nous avons mis en œuvre des plans quinquenaux de développement dont les principaux objectifs ont été d’assurer la croissance économique, d’améliorer les conditions de vie des populations. Mais la mesure de la pauvreté est un élément intervenu autour des années 90.

C’est pourquoi, à partir de cette étude, nous nous sommes rendus compte que c’est un phénomène qui, en termes numéraires prend de plus en plus de l’ampleur dans les pays en développement, notamment dans les pays africains. La première enquête sur les conditions de vie des ménages a été réalisée au Burkina Faso en 1994. C’est à partir de cette enquête qu’on s’est Nous avons réalisé une deuxième enquête en 1998 et défini une nouvelle ligne avec le résultat que 45% de la population vivent en-dessous du seuil de la pauvreté. Une troisième enquête faite en 2003 montre une légère augmentation de l’incidence de la pauvreté.rendu compte que 44% de la population vit au-dessus du seuil de pauvreté...

La nouvelle ligne est de 82 672 F). A partir de cette nouvelle ligne, 46,3% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté.

S.P. : Est-ce à dire que les politiques menées jusque-là n’ont pas atteint leurs objectifs ?

B.D. : Nous ne pouvons pas affirmer qu’elles ont totalement échoué. Les politiques publiques ont parfois manqué d’efficacité, il faut le reconnaître. Peut être que nous n’avons pas toujours trouvé les instruments qui conviennent pour répartir les fruits de la croissance. Depuis pratiquement 1995, l’économie burkinabè est installée sur le chantier de la croissance. Par exemple en 2003 nous avons réalisé un taux de croissance de 8%, en 2005 nous sommes à une croissance qui va s’établir autour de 7%. Cela veut dire que la croissance est là, ce sont les fruits qui ne sont pas encore visibles. D’ailleurs il est important de souligner qu’il faut une croissance forte étalée dans le temps pour pouvoir s’attaquer véritablement à la pauvreté. Cependant nous sommes dans une phase de stabilisation. Quand vous prenez les dix (10) années qui ont marqué les trois (3) enquêtes, nous sommes à une augmentation d’incidence de 2 points, passant de 44% à 46% en 2003.

S.P. : Mais ne trouvez-vous pas qu’il y a un paradoxe : d’une part vous parlez de croissance et d’autre part, il y a augmentation de deux points... Finalement on se perd un peu, n’est-ce pas ?

B.D. : On peut peut-être se perdre. Mais si nous prenons la ligne de pauvreté, en 1994 c’est 42 000 F, celle de 1998, 72 000 F et celle de 2003 donne 82 672 F. En termes monétaires et de dépenses, il y a progrès. On peut à partir de cela noter une certaine amélioration dans les revenus, dans le niveau des dépenses des populations. Si on ne considère que la ligne de pauvreté de 94, on peut remarquer que la situation a évolué. Il faut tenir compte de l’érosion monétaire, de l’inflation et de l’augmentation des prix d’achat. Nous sommes à 82 672 F en 2003 et sur cette base 46% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Mieux il y a des institutions tels le PNUD et la Banque mondiale qui estiment que la pauvreté a reculé au Burkina entre 1998 et 2003 de 8 points, en reconsidérant certains calculs.

S.P. : N’est-ce pas le PNUD qui classe notre pays avant-dernier ?

B.D. : Il faut faire la part des choses entre l’Indice de développement humain (IDH), la mesure de la pauvreté , son indice.

S.P. : Quelle différence doit-on constater ?

B.D. : Le développement humain considère trois (3) paramètres. Le premier, c’est le revenu à parité de pouvoir d’achat. Si l’on devrait considérer ce seul critère, le Burkina Faso ne serait pas classé avant dernier, parce qu’en terme de revenus corrigés, le Burkina devance un pays tel que le Nigeria. Le deuxième critère est lié au niveau d’instruction. Et c’est là où notre pays éprouve des faiblesses. Nous venons de franchir le cap du 50% il y a seulement 2 ans. Si vous prenez le niveau d’alphabétisation, nous sommes à des taux qui sont encore inférieurs à 40% or c’est un critère qui pèse dans la détermination de l’IDH. Le troisième critère, c’est l’espérance de vie. Si vous considérez l’espérance de vie attribuée par l’IDH, cela laisse apparaître une certaine hécatombe qui se serait produit dans notre pays... Le dernier recensement général de la population en 1996 donne une espérance de vie de 53 ans. C’est dire que l’espérance de vie a reculé de 7 points, puisque nous sommes à 46 ans selon le rapport du PNUD sur l’IDH. Ce sont des choses qu’il faut savoir apprécier à leur juste valeur. Mieux, c’est un rapport qui interpelle les gouvernants sur les efforts à faire. Nous savons désormais qu’il faut mettre l’accent sur les secteurs de l’éducation, de la formation et de l’instruction.

C’est pourquoi la politique du gouvernement est axée sur ces domaines. Former le plus d’enfants, créer les conditions pourqu’ils puissent avoir accès à l’éducation... Un autre secteur non moins important, c’est celui de la santé qui a une influence sur la longévité. Beaucoup d’efforts sont faits dans ce domaine. Je pense qu’en tout, il faut savoir raison garder, et avoir une bonne lecture de l’IDH et du phénomène de la pauvreté.

SP : Aujourd’hui il y a le CSLP, « l’étude Prospective Burkina 2025 »... A quoi servent tous ces outils que l’on brandit à coût de milliards alors que tout est lié à la volonté des partenaires financiers et techniques ?

B.D. : Je dis qu’il y a nécessité... Nous n’avons pas été influencés par quel que partenaire que ce soit. La réalisation de l’étude « Prospective Burkina 2025 » est l’application d’une recommandation prise à l’occasion d’un séminaire organisé à Bobo-Dioulasso sur le renouveau de la planification en 1994. En 1994, nous étions dans le contexte du Programme d’ajustement structurel (PAS). Et ce programme avait pour principale caractéristique de privilégier le court terme. Nous avons dit oui au PAS,, mais il faut qu’il s’inscrive dans une perspective durable de développement c’est-à-dire dans le moyen et long terme. La manifestation du long terme étant la définition d’un projet de société. C’est ça l’objectif de « Prospective Burkina 2025 ». La version ou futur voulu pour le Burkina Faso se formule ainsi : « Le Burkina Faso, une nation solidaire, de progrès et de justice, qui consolide son respect sur la scène internationale ».

SP : Selon cette étude que sera le Burkina en 2025 ?

B.D. : Selon le rapport c’est un pays de progrès, respectueux de bon voisinage, qui met l’accent sur la coopération régionale...

Le souci a été d’inscrire les préoccupations du court terme dans une perspective. « Burkina 2025 » c’est le long terme. Le Cadre stratégique de mise contre la pauvreté, c’est le moyen terme. C’est un instrument d’opérationnalisation de « Burkina 2025 », parce que si vous prenez le CSLP revisé en 2003, il s’est nourri des résultats de l’étude « Burkina 2025 ». La vision ou futur voulu pour le Burkina Faso se formule ainsi : « Le Burkina Faso, une nation solidaire, de progrès et de justice, qui consolide son respect sur la scène internationale ».

S.P. : Mais concrètement que faut-il faire pour que le Burkinabè de Falangountou sente qu’il y a eu une amélioration des conditions de vie ?

B.D. : Est-ce que le paysan de Falangountou est véritablement inséré, j’allais dire dans cette économie monétisée... Est-ce qu’il commercialise le surplus de sa production ? Est-ce , est-ce que...? autant de questions qu’il faut se poser. C’est pourquoi il faut saluer le processus de décentralisation qui est engagé et qui permettra aux communes rurales et urbaines de mettre en place des infrastructures marchandes tels que les marchés. Nous ne pourrons véritablement réussir dans la lutte contre la pauvreté que dans l’installation de telles infrastructures qui favorisent de réels échanges, qui permettent aussi aux paysans d’avoir une juste rémunération de leurs productions agricoles pour faire face à leurs dépenses de santé, d’éducation... Cela constitue le premier aspect. Le deuxième aspect, c’est que l’Etat doit continuer de faire des efforts pour mettre en place des formations scolaires, sanitaires (l’eau potable surtout) dans les zones reculées, car il y a encore dans beaucoup de régions des femmes qui vont puiser l’eau dans les mares avec tous les risques encourus.

S.P. : Concernant les divisions des secrétariats techniques pour la coordination des programmes de développement économique et social, en deux mots, quelles sont les missions, les attributions de la structure que vous dirigez ?

B.D. : La mission principale du secrétariat technique est d’animer le processus du CSLP. Ce travail se fait à 3 niveaux. D’abord suivre le processus de mise en œuvre et d’évaluation du CSLP, animer le processus de révision de ce CSLP (parce qu’il y a une procédure gouvernementale qui prévoit de le révisiter tous les 3 ans), la troisième mission, c’est de veiller à la cohérence des politiques sectorielles du CSLP et à la prise en charge des priorités du programme au niveau des différents instruments budgétaires que sont la lettre de cadrage budgétaire, le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) et le budget d’Etat.

S.P. : Alors comment le CSLP sera-t-il mis en œuvre sur le terrain ?

B.D. : L’instrument d’opérationnalisation sur le terrain, est le programme d’actions prioritaires. Tous les ans nous élaborons un programme selon le principe de la programmation triennale glissante.

Par exemple, nous avons un programme prioritaire qui couvre la période 2005-2007. Une évaluation va se faire en 2006 et des perspectives pour 2006-2008 vont être dégagées. L’instrument d’opérationnalisation du CSLP est une espèce de synthèse des plans d’actions sectorielles quand ils existent. C’est pourquoi nous pensons qu’il est important d’accompagner les ministères qui ne disposent pas encore de politiques sectorielles, en les invitant à le faire. Il faut qu’ils soient assortis d’un plan d’action qui va respecter les modalités de programmation triennale glissante comme c’est le cas dans le CSLP.

S.P. : Est-ce que le CSLP lutte contre toutes les formes de pauvreté (morale, culturelle, économique...?

B.D. : Nous faisons la différence entre la pauvreté monétaire et la pauvreté humaine qui est le déficit d’accès aux services sociaux de base par exemple. Dans le CSLP, il y a un volet important qui concerne la gouvernance.

A ce niveau, les questions de démocratie sont prises en compte de manière importante.

Lorsqu’un peuple n’arrive pas à s’exprimer librement, je crois que c’est aussi un facteur de pauvreté...

S.P. : On parle de la bonne gouvernance. Mais que renferme-t-elle exactement lorsqu’on sait que la corruption est l’un des maux qui touchent le pays ?

B.D. : Le gouvernement a adopté en 2004 une politique nationale de bonne gouvernance démocratique en quatre (4) dimensions. Il y a la gouvernance démocratique qui couvre les aspects politiques (droits humains, liberté d’expression et d’information, sécurité publique...). Il y a aussi la gouvernance administrative liée à la réforme de l’administration, à son efficacité pour en faire véritablement un instrument de développement. Il y a la gouvernance économique qui est la capacité de formulation et de mise en œuvre des politiques, la gestion des finances et la lutte contre la corruption. D’ailleurs, le Burkina Faso est l’un des rares pays qui inclut la question de la lutte contre la corruption dans son Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté.

S.P. : Cependant, quand on observe sur le terrain, on ne voit pas de résultats... Les corrompus et les corrupteurs courent les rues ; la fraude gangrène l’économie...

B.D. : La corruption est un phénomène de société. Les pouvoirs publics en sont interpellés, mais il n’y a pas que ceux-ci. Tout le monde doit être impliqué : journalistes, organisations de la société civile, etc. A mon avis, c’est de cette manière qu’il faut voir les choses. Le Réseau national de lutte anti-corruption (RENLAC) fait un travail intéressant et salutaire. Et lorsque vous considérez les différents rapports d’exécution (de mise en œuvre) du CSLP, nous ne manquons pas de citer les efforts faits par cette structure.

S.P. : Pour dire que vous intégrez les recommandations du RENLAC ?

B.D. : Evidemment. A côté du RENLAC, il y a d’autres institutions qui font leur travail : l’inspection générale d’Etat, la Haute autorité de la coordination de lutte contre la corruption. Mais ces institutions ne font que des rapports administratifs...

S.P. : Elles n’ont donc pas un pouvoir de coercition ?

B.D. : Ces institutions élaborent des rapports administratifs. Le gouvernement se saisit de ces rapports. Certains rapports nécessitent d’être envoyés au ministère de la Justice. C’est à ce niveau que peut se déclencher la procédure judiciaire. Autrement, aucune de ces institutions ne peut engager une action judiciaire. Elles ne peuvent que constater. Il faut qu’une autre instance prenne le relais. Je pense que la faiblesse vient peut-être du temps mis pour réagir par rapport aux différentes recommandations.

S.P. : Vous avez également enseigné à l’Université ?

B.D. : J’ai enseigné à l’Université, à l’ESSEC (Ecole supérieur des sciences économiques, actuelle UFR-SEG) en son temps, à l’ENAM et à l’Ecole nationale de douane.

S.P. : Quelles leçons tirez-vous de ce passage d’enseignant-économiste... ?

B.D. : Ma vocation première est d’enseigner. Peut-être que le fait que je sois aujourd’hui assis dans un bureau fait entorse à l’histoire. J’ai voulu éviter cela en dispensant des cours. Aujourd’hui mes occupations ne me le permettent plus. Je ne voudrais pas sacrifier les étudiants. Il ne sert à rien de prendre des engagements et de ne pas pouvoir les assumer convenablement. Sinon, l’enseignement maintient l’enseignant lui-même, parce qu’il est tenu de faire des recherches, de mettre son cours à jour...

S.P. : Que faites-vous pour que les acteurs comprennent le CSLP ?

B.D. : Nous nous évertuons à élaborer une stratégie de communication véritable sur le CSLP qui va clarifier les grands axes prioritaires pour que l’ensemble des acteurs comprennent mieux cette institution. Au fur et à mesure que nous avançons dans sa mise en œuvre, les principaux résultats atteints, les enseignements tirés, les points de faiblesse sont mis en lumière.

Parlant des points de faiblesse, on peut toujours les transformer en opportunités et cela avec le concours de tous les Burkinabè.

Interview réalisée par Nadoun Saturnin COULIBALY
coulibalynadoun2002@yahoo.fr

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