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Paris veut-il faire du G5 Sahel le bouclier anti-terrorisme au seul bénéfice de la Côte d’Ivoire ?

Publié le mercredi 21 juillet 2021 à 22h45min

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Paris veut-il faire du G5 Sahel le bouclier anti-terrorisme au seul bénéfice de la Côte d’Ivoire ?

Il y a dix ans, au lendemain de la « guerre » déclenchée par le MNLA contre Bamako à Ménaka (mardi 17 janvier 2012) et à la veille du déclenchement par la France de l’opération « Serval » (vendredi 11 janvier 2013), la question était de trouver une solution à la crise malienne. Ce sera l’objectif de « l’accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali » signé à Ouagadougou (mardi 18 juin 2013).

La chute du régime Compaoré et la déliquescence du régime Bouteflika – Alger souhaitant avoir la mainmise sur l’évolution de la situation dans la Bande sahélo-saharienne (BSS) – vont changer la donne. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger vont devenir la cible des groupuscules « terroristes ». Paris va, de son côté, changer son fusil d’épaule avec la mise en place de l’opération « Barkhane » tandis que le G5 Sahel va être mis en place afin de tenter de mutualiser les efforts en matière de lutte contre le terrorisme des pays sahéliens, de la Mauritanie au Tchad.

En vain. L’insécurité s’est généralisée et les actions terroristes visent désormais la Côte d’Ivoire, pourtant hors BSS. Dans ce contexte, aggravé par la pandémie du Covid 19, la tentation est grande pour Paris d’abandonner le Sahel et de faire du G5 un bouclier au seul bénéfice d’Abidjan.

Serval et Barkhane se sont faits sans eux

A Paris, Emmanuel Macron est au pouvoir depuis 2017 sans jamais avoir été, auparavant, en charge des affaires régaliennes de la République française. A Ouagadougou, Blaise Compaoré a été renversé en 2014 et Roch Marc Christian Kaboré a pris sa suite en 2015 après une transition délicate et mouvementée. A Bamako, une junte militaire a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), lui-même issu d’une élection présidentielle résultant d’un coup d’Etat militaire ayant fait chuter Amadou Toumani Touré (ATT).

Au Mali, en 2021, un nouveau coup de force militaire va démettre le président de la transition laissant les militaires seuls au pouvoir. A Ndjamena, Idriss Déby Itno a été tué (une mort qui a tout, selon moi, d’un assassinat) lors d’une tentative de conquête du pouvoir par l’opposition-rébellion ; son fils s’est accaparé le pouvoir ! A Niamey, Mohamed Bazoum a été élu à la présidence de la République en 2021. A Nouakchott, c’est aussi un nouveau venu qui a été élu à la présidence en 2019 : Mohamed Ould el-Ghazouani. Aucun d’entre eux n’était au pouvoir quand les opérations « Serval » puis « Barkhane » ont été déclenchées.

Si, en France, Macron s’est retrouvé engagé malgré lui dans la BSS via l’opération « Barkhane », notons cependant qu’à Paris, un homme s’est impliqué totalement dans ces deux opérations. Il s’agit de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense (2012-2017) pendant la présidence de François Hollande, et ministre des Affaires étrangères depuis l’arrivée à l’Elysée de Macron (2017). Il avait été, dès le déclenchement de la « guerre » par le MNLA, le plus farouche partisan d’une intervention militaire au Mali – « souhaitable et inéluctable » disait-il dès le samedi 5 août 2012. Et le restera avec d’autant plus de détermination qu’au cours des dix années passées, il a noué des relations « privilégiées » avec bon nombre de chefs d’Etat africains ; pas nécessairement les plus farouches démocrates du continent.

Les jeux sont faits, rien ne va plus !

De Nouakchott à Ndjamena en passant par Ouaga et Niamey (faisons l’impasse sur Bamako qui semble, depuis toujours, peu concerné par la situation qui prévaut dans la BSS), la prise de conscience que « rien ne va plus » est désormais forte. La mort violente (et inexplicable) de Déby aura servi de détonateur. A tel point que la prise de pouvoir, sans coup férir, de son fils est passée comme « une lettre à la poste ». Au sein de la « communauté internationale », la trouille parfois l’emporte sur le respect de la règle constitutionnelle. Même Macron a fait le déplacement au Tchad pour « officialiser » l’accession au pouvoir de Déby fils ; c’est dire !

A Ouaga, le président Kaboré a, le 30 juin 2021, limogé Chériff Sy et Ousséni Compaoré de leurs postes de, respectivement, ministre de la Défense et ministre de la Sécurité. Sy a été une figure emblématique de la « transition » en 2014-2015 ; il était en charge de la Défense, avec le titre de ministre d’Etat, depuis janvier 2019. C’est, désormais, Kaboré lui-même qui gère le ministère de la Défense. Ce qui est bien plus un effet d’annonce qu’autre chose puisque, constitutionnellement, le président de la République du Faso est le chef suprême des Forces armées nationales et préside le Conseil supérieur de la Défense (notons que Kaboré s’était déjà attribué le portefeuille de la défense le 12 janvier 2016, dans le premier gouvernement de Paul Kaba Thiéba, et l’avait conservé jusqu’au 20 février 2017). Quoi qu’il en soit, Kaboré a justifié sa décision car, a-t-il dit : « Dans la lutte contre le terrorisme, nous devons adopter notre stratégie aux nouvelles réalités du terrain ».

A Nouakchott, le président Ghazouani a restructuré les groupements spéciaux d’intervention (GSI) en charge de la lutte contre le terrorisme et a mis en place des forces spéciales. Dans le même temps, il a, en matière de défense et de sécurité, installé des hommes de confiance dont quelques uns avaient été en délicatesse avec le précédent régime. Niamey, où le président Bazoum a été tout récemment élu, va tendre à devenir le pôle d’ancrage majeur des éléments militaires français dans la BSS depuis qu’a été décidée la fin de l’opération « Barkhane ». Bazoum a été ministre des Affaires étrangères à deux reprises (1995-1996 et 2011-2015) et sait ce que Paris peut apporter à Niamey dès lors que le Niger joue le jeu de la France. Il a toujours pratiqué une diplomatie quelque rugueuse et bien peu… diplomatique, encline à être celle de la « canonnière » ; enfin, plus exactement, de la mise en œuvre de la « canonnière » par la « communauté internationale ».

Paris impose un changement de paradigme

Face à Ghazouani, Goïta, Kaboré, Bazoum et Déby, Macron dresse le même diagnostic mais ne vise pas le même objectif. L’opération « Barkhane » a coûté cher et, finalement, il n’y a pas, pour la France, de retour sur investissement. L’engagement militaire de Paris dans la BSS profite aux autres puissances ; et l’ennemi à venir de la France se trouve peut-être bien plus du côté de ces « autres puissances » que de « terroristes » qui, vus de Paris, semblent agir au jour le jour. La perspective de la présidentielle 2022 mais aussi la gestion coûteuse de la pandémie et de ses effets sociaux-économiques pèsent dans l’opinion française (et dans le budget national) bien plus que l’agitation meurtrière de quelques irréductibles à des milliers de kilomètres des plages de la Méditerranée.

Le général François Lecointre, chef d’état-major des armées (remplacé par le général Thierry Burkhard, il vient de quitter ses fonctions à l’issue des cérémonies du 14 juillet), l’a dit : « La France doit se préparer à une guerre future qui n’est pas celle d’aujourd’hui ». Et sûrement pas celle menée dans la BSS.

Le changement de paradigme sera plus évident encore dès lors qu’un remaniement gouvernemental laisserait (une perspective évoquée par certains commentateurs politiques français) Le Drian sur le carreau après dix années à la tête de la défense puis des affaires étrangères. Celui qui évoquait, en 2012, un « Sahélistan », a restructuré la politique africaine de la France autour de l’armée française. Cependant, cette restructuration a montré ses limites. Et, à près de 75 ans, le « menhir » comme on l’appelle, éprouve bien des difficultés à s’adapter à la nouvelle donne qu’entend imposer Macron, de trente ans son cadet.

La Côte d’Ivoire ou l’Afrique de l’Ouest « utile » !

Le G5 Sahel, c’est cinq Etats sahéliens. Trois sont dirigés par des militaires (Mauritanie, Mali, Tchad) ; deux par des politiques (Burkina Faso, Niger). Cinq anciennes colonies françaises dont le PIB total est à peine supérieur de 25 % au PIB de la seule Côte d’Ivoire, elle aussi ancienne colonie française. Elle aussi devenue la cible de groupuscules terroristes qui sont bien plus que cela : des « anti-mondialistes » qui ont trouvé dans le discours salafiste un support leur permettant de promouvoir leur « contre-culture ».

Alassane D. Ouattara a accédé au pouvoir en 2011 à la suite de sa victoire à la présidentielle de 2010 mais grâce au coup de pouce militaire de la France. Le monde arabe connaissait alors un « printemps » qui, une fois encore, aura démontré qu’il n’y a pas de révolution sans révolutionnaires et de révolutionnaires sans une organisation forte. Tunisie, Libye, Egypte, Syrie…, puis ce sera le Mali. Abidjan, qui avait connu son lot de malheurs, pensait devoir être tenu en marge de ce mouvement. C’était une erreur. Quant à Ouattara, il pensait qu’il suffisait de s’adonner à l’économique pour éviter d’avoir à se mêler de politique. Il préfigurait un certain Emmanuel Macron qui, en ce temps-là, n’était encore qu’un technocrate au service d’un président étiqueté socialiste qui voulait être un « président normal ». Il y a chez Macron beaucoup de Ouattara : le même déni du politique ; une façon d’être « sûr de lui et dominateur » ; la conviction qu’il suffit de penser juste pour agir justement ; un environnement d’hommes (et des femmes) liges mais pas nécessairement compétents dans le domaine qui est désormais le leur, etc.

Ouattara devra beaucoup à la France. Qui le lui rappellera. D’autant plus que Macron allait prendre la suite de François Hollande, le président de la République qui avait initié les opérations « Serval » et « Barkhane ». Or, le militaire n’est « pas plus la tasse de thé » de Ouattara que de Macron (Pierre de Villiers, son premier chef d’état-major des armées, a démissionné avec fracas au lendemain du 14 juillet 2017). Et les deux hommes sont aussi de farouches « libéraux » (en matière économique).

Le cardinal Kutwa, « influenceur » politico-social !

Occupés dans la BSS par les militaires français, les terroristes « islamistes » ont – à quelques exceptions près – laissé penser que la Côte d’Ivoire serait épargnée. Sauf que la chute du régime Compaoré a rappelé à tous, à Paris comme à Ouaga et à Abidjan, que ces deux pays avaient une longue histoire en commun ; 2014 et 2015 après 1999 et 2002 l’ont démontré. Il n’y avait donc pas de raison que le terrorisme ne soit pas transfrontalier. Quand le candidat désigné du RHDP à la présidentielle de 2020, Amadou Gon Coulibaly, est mort, Ouattara se trouvera « fort dépourvu ». Et a pensé – cohérent en cela avec lui-même – qu’il était le mieux placé pour effectuer un nouveau mandat dans un nouveau contexte constitutionnel. Concrètement, pour ses opposants : un troisième mandat ! Il n’y avait sans doute pas, en Côte d’Ivoire, au sein du RHDP, un autre homme capable d’assurer le job ! A Ouaga, Compaoré avait cru ceux qui lui avaient tenu le même discours. Et ne s’en n’est pas bien porté ! Ouattara y a perdu son aura de président pas comme les autres.

D’autant plus que Laurent Gbagbo a fait son « retour au pays natal » et que l’église catholique ivoirienne, jour après jour, occupe le terrain, s’adonnant avec délectation à un jeu politique dont le maître est le cardinal Jean-Pierre Kutwa. Le premier congrès extraordinaire du clergé ivoirien s’est tenu ces jours derniers à Yamoussoukro. L’occasion pour Kutwa « d’exhorter les prêtres à ne plus se taire face aux injustices qui minent la société ». Et cela tombe bien, Gbagbo, qui s’est débarrassé avec une rare inélégance, de la désastreuse influence « évangélique » de son ex, Simone, a fait allégeance à l’église catholique : « Maintenant que je reviens, je veux être un catholique militant » a-t-il dit. Souhaitons-lui d’être meilleur catho qu’il n’a été socialo ! (Charles Blé Goudé, quant à lui, a reçu le baptême catholique le 12 juin 2021).

C’est dire que le temps va sembler long jusqu’à la prochaine échéance électorale de 2025. Ouattara (qui aura alors 83 ans !) en a conscience. Il a confié la défense, avec le titre de ministre d’Etat, à son frère : Téné Birahima Ouattara. Mais, dans le même temps, peine à faire émerger un leader politique qui puisse assurer la relève.

Dans ce contexte franco-ivoirien où Paris ne se porte pas mieux qu’Abidjan et Macron que Ouattara, on peut redouter que la tentation soit forte de faire des pays du G5 Sahel le bouclier anti-terroriste qui protégerait la seule Côte d’Ivoire. Une Côte d’Ivoire qui serait ainsi, en quelque sorte, au sein de la Cédéao, l’Afrique de l’Ouest « utile » !

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
20 juillet 2021

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