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Raogo Antoine Sawadogo : "Catéchiste" de la décentralisation

Publié le vendredi 29 février 2008 à 10h24min

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Raogo Antoine Sawadogo est un homme que l’on ne présente plus. Ex-ministre de l’Administration territoriale, il impulsa pendant plus d’une décennie la dynamique de la décentralisation dans notre pays. De nos jours, il poursuit son œuvre dans la même lancée à travers l’association Labo citoyennetés, avec une "nouvelle pensée" pour accompagner les citoyennetés en transformation.

Sidwaya . : Vous avez été l’un des piliers de la décentralisation ; mieux, un pionnier dans notre pays. Parlez-nous en.

Raogo Antoine Sawadogo (R.A.S.) : Cette mission m’a été confiée par les plus hautes autorités de ce pays. Mon honnêteté intellectuelle me commandait de faire la promotion d’une certaine décentralisation, la décentralisation à l’occidentale telle que la conçoit les sciences administratives et politiques, les juristes et certaines écoles. A un moment donné je me suis dis que malgré cette honnêteté intellectuelle, malgré ma conviction profonde que la décentralisation est une opportunité historique pour le Burkina et les pays de la sous-région, j’ai demandé au chef de l’Etat Blaise Compaoré d’accepter que je sois déchargé de cette mission pour me réorienter à autre chose. C’était pour me permettre de poser autrement la problématique de la décentralisation au Burkina et dans les Etats de la sous-région.

S. : Quelle est donc votre philosophie de la décentralisation ?

R.A.S. : Ce qu’il est convenu d’appeler décentralisation à l’étape actuelle comporte des quiproquo. Le premier quiproquo est que pour les acteurs d’en-haut (les décideurs) il existe des textes législatifs et règlementaires à savoir des collectivités territoriales décentralisées ayant une personnalité morale, juridique, des affaires locales propres et ayant à leur tête des organes délibérants et avec une certaine autonomie de gestion ; les conditions de la décentralisation administrative sont réunies. Voici la définition classique de la décentralisation, à la française pour le dire. Maintenant, il faut savoir qu’avant cette décentralisation, le Burkina depuis les siècles était organisé au niveau bio-local à travers des villages, le village était l’échelon de base où commence une certaine forme d’organisation politique dans ce pays. Chaque village est doté d’un chef, ensuite un territoire et puis assez souvent des familles qui ont passé alliance entre elles pour la production des biens et des services et aussi pour la reproduction. Avant que la décentralisation n’intervienne, il était reconnu à chaque village des affaires propres. C’est ainsi que l’on compte des milliers de forages à la demande des villageois, des milliers de périmètres maraîchers etc...Il ya même ce que j’ai appelé dans un ouvrage, le phénomène de la bureaucratisation villageoise qui n’est rien d’autre qu’inviter et susciter les villageois à mettre à la tête de chaque unité socio-économique un comité de gestion.

C’est ainsi que dans chaque village vous avez un comité de gestion, ou bureau ou encore une structure censée gérer tel ou tel projet ou programme autour duquel gravitent des milliers d’associations que compte le local dans cette région. Les populations ont pris des réflexes dans ce type de fonctionnement du développement local qui sont entrés dans les us et coutumes depuis les années 70. Intervient alors la décentralisation intégrale et vous savez qu’aucun village de ce pays n’a pu constituer à lui seul une commune. Il a fallu agglomérer des villages, 25 villages en moyenne pour constituer une commune. Même "le grand" Ouaga a intégré 17 villages. Toutes les communes sont donc des entités supra villageoises qui transcendent les villages. Ce qui veut dire qu’on a des entités supra villageoises à qui l’on a confié des affaires propres appelées affaires locales que gère un président de conseil municipal avec un conseil délibérant.

Ce conseil légitimement élu gère donc tous les espaces publics précédemment sous la gestion des villages. Il n’y a pas un seul forage pouvant être comptabilisé comme appartenant à la commune en dehors des points d’eau strictement privés. Il n’y a donc plus d’affaires villageoises, il n’existe que des affaires communales et du point de vue des villageois, il s’agit de récentralisation. Recentralisation puisque les affaires qui se décidaient au niveau villageois doivent être avalisées maintenant au niveau de la commune. Exemple, les Comités villageois de développement (CVD) qu’on est en train d’installer n’ont pas une autonomie de décision. Pour ma propre appréciation, l’on se retrouve devant un décalage de vision en matière de décentralisation.

Certains pensent que c’est un problème de formation ou de sensibilisation des populations afin de leur faire comprendre le bien- fondé de cette décentralisation qui leur apportera un bien-être ou un mieux-être. D’autres pensent qu’il faut des processus d’accompagnement de type appui-conseil où il faut faire pleuvoir des investissements nouveaux qui passent par la commune. Pour moi, tant que l’on ne mettra pas en cohérence les deux (2) visions de la décentralisation, toute sorte d’intervention va donner le même effet que la pluie sur des plumes de canard.

S. : Votre solution à vous ?

R.A.S. : A l’étape actuelle, je n’ai pas de solution. Je refuse de choisir. Ayant été un chantre de la décentralisation, catéchiste en la matière, ayant formulé avec des collègues la décentralisation classique à l’occidentale, je ne peux m’asseoir aujourd’hui et pouvoir dire c’est ça qu’il faut faire ou ce n’est pas ça qu’il faut faire. Pour cela, avec des collaborateurs nous avons constitué ce qu’on appelle un espace où l’on doit se donner les moyens humains et techniques pour réfléchir justement à cette problématique qu’est la décentralisation.

S. : Pouvons-nous avoir une idée des grands axes de cette réflexion ?

R.A.S. : Je suis le président d’une structure qui s’appelle "Laboratoire citoyennetés". Pourquoi "Laboratoire citoyennetés", parce que nous prenons pour acquis que les Etats de l’Afrique de l’Ouest ont pris l’une des décisions les plus graves des six (6) dernières décennies après la décision la plus grave qui a fait rentrer dans ce qu’on appelle l’autodétermination (Loi cadre 1956). L’erreur a consisté en ce qu’un législateur dise qu’à partir de telle date à telle date tout le monde est devenu citoyen d’une commune. A la citoyenneté nationale émerge maintenant une nouvelle, citoyenneté locale qu’on appelle citoyenneté communale. A partir de cet instant qu’est-ce que nous allons faire de cette citoyenneté communale, comment nous allons la construire, est-ce que nous allons la subir au même titre que nous avons subi la citoyenneté nationale. Va-t-elle s’imposer à nous ou nous allons nous donner des démarches, des moyens de réfléchir pour mettre un contenu à cette citoyenneté communale.

N’ayant pas des réponses adéquates nous disons que très humblement nous devons pouvoir mettre en place un espace d’observation de cette citoyenneté. Ce qui manque le plus aux Africains, c’est ce type d’attitude de mentalité de recul pour observer tout simplement afin de produire de la connaissance. Si l’on peut observer pendant deux, trois ou quatre mandats on doit pouvoir observer certaines tendances qui se dégagent, des changements, des blocages qui se cristallisent ou qui contredisent ce que les textes disent ou ce que l’on a pensé. A partir de ce moment, disposant d’un minimum de connaissances, on peut formuler des politiques en matière d’appui à la décentralisation. Donc d’où la nécessité de la mise en place d’un pool de recherche dans le laboratoire citoyenneté présent dans cinq (5) communes du Burkina Faso et dans trois communes au Niger, au Bénin et au Mali.

Cette année, nous allons ajouter de nouvelles communes dans ses trois pays et à partir de 2009, nous serons présents au Sénégal. Nous nous sommes donné les moyens techniques et humains pour cela. Nous agissons dans un cadre académique légal et les décideurs nous encouragent dans cette démarche. Mais il est difficile comme on le sait de se contenter d’observer et de produire des rapports techniques sans rien faire. Nous avons donc mis en place un pool Action qui puise dans les connaissances que nous produisons et qui réinvestissent ces connaissances au niveau des communes d’intervention soit sous forme de mise à disposition de l’information ou d’outils que nous fabriquons avec les intéressés (outils de gestion, outils de planification) ou encore sous forme de débats contradictoires. A partir de ces actions, les chercheurs qui ont assisté à ces débats leur permettent de se remettre eux-mêmes en question.
Les anciennes hypothèses peuvent se révéler être des utopies. Voilà ce que j’appelle réfléchir autrement pour accompagner les nouvelles citoyennetés.

S. : A partir de vos observations, pourrait-on dire que les Etats africains notamment le Burkina auront-ils les moyens pour une mise en œuvre de la communalisation ?

R.A.S. : Nous avons déjà produit des connaissances. Nous avons fabriqué nos propres clés pour appréhender les cités de l’Afrique de l’Ouest. La première clé pour lire ce qu’on appelle les mécanismes de production, d’exclusion dans les cités africaines. Quand vous allez dans les villes d’une certaine taille, on constate qu’il y a un phénomène de mendicité, un phénomène de vols, d’enfants de la rue, un phénomène de gens qui s’enrichissent pendant que d’autres s’appauvrissent, etc. Cette exclusion fabrique des déchets, de la déviance, mais aussi des savoirs-faire de gestion de la cité, de nouveaux mécanismes de régulation. Ces phénomènes existaient avant mais il y avait d’autres mécanismes de prise en charge de l’exclusion. Tout le monde était à peu près sur le même pied d’égalité. Maintenant, le fils du riche est le fils du riche, le fils du pauvre est le fils du pauvre. Les villes ou les modernités fabriquent des phénomènes d’exclusion et si on n’y prend garde, ce n’est pas le pouvoir en place qui en pâtit à court ou moyen terme mais c’est tous les Burkinabè qui vont en pâtir. La deuxième clé est la redistribution des droits, des règles et des richesses pour qu’il y ait un meilleur vivre ensemble dans les cités. Troisième clé d’appréhension, c’est la production pour la fourniture du service public local. Le service public local s’entendant par l’accessibilité à l’éducation, à la santé, à la sécurité etc. Ces services sont-ils accessibles à la population ?

N’observe-t-on pas par exemple des longues files à l’hôpital ou pour avoir un acte de naissance ? Il y a aussi un problème d’équité. Vous pouvez compte tenu de votre statut ne pas être en position de ne pas avoir droit à tel ou à tel service. Il y a aussi la demande en matière de service public. La demande c’est quand l’on se présente devant un docteur, il faut bien ma participation par exemple pour qu’il puisse m’administrer un bon service. On devient donc un coproducteur de service en matière de santé. On est donc coproducteur au niveau horizontal mais aussi au niveau vertical. Nous expliquons ces mécanismes aux citoyens afin de leur faire comprendre que nous sommes tous coresponsables de cette mauvaise production et de cette mauvaise livraison de service public. Nous avons choisi comme terrain de prédilection la commune pour faire du travail au quotidien, au niveau bio-local.

S. : Parlons de votre carrière d’écrivain. Comment recherchez-vous des solutions pour les Africains à travers vos œuvres ?

R.A.S. : Je ne suis qu’un modeste produit collectif. J’ai tout simplement écrit un livre pour capitaliser les connaissances, les erreurs, les tâtonnements de l’Etat burkinabè en matière de décentralisation. Ce n’est pas des solutions que je propose dedans, c’est une capitalisation de ce que le législateur burkinabè a commis comme acte fort, erreur ou glissement.
Les communautés de base croient que l’on est en train de leur retirer l’essentiel qui leur restait. Le chef coutumier pense que l’essentiel de ce qui lui restait à savoir la gestion des affaires locales lui a été retiré. C’est tout cela que j’ai capitalisé en termes de méconnaissance du local pour mieux réfléchir et faire réfléchir. J’ai coécrit un document portant sur ma contribution à réfléchir autrement.

S. : Avez-vous un message particulier par rapport à cette thématique ?

R.A.S. : Le procédé selon lequel il existe des experts qui connaissent et des gens qui ne connaissent pas à qui il faut donner de la formation est totalement faux et l’on aboutit à un cul-de-sac. On est coproducteur de services, on est coproducteur de connaissances, expert comme celui qui ne l’est pas. Si nous autres de l’Afrique de l’Ouest on ne réapprend pas à mettre en dialogue la recherche en tant que production de connaissances et l’action en tant que produit engagé, nous allons toujours partir à 100 à l’heure mais on tombera toujours en panne.

Entretien réalisé par Boubakar SY et
Fernando GUETABAMBA

Sidwaya

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