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M. Saidou Ouédraogo : « Si l’éducation est une priorité, cela doit se lire dans les chiffres »

Publié le samedi 14 avril 2007 à 09h25min

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Saïdou Ouédraogo

M. Saïdou Ouédraogo est inspecteur de l’enseignement primaire. Il occupe actuellement le poste de secrétaire exécutif du Cadre de concertation des ONG et associations actives en éducation de base (CCEB).

Avec lui, il a été question dans cet entretien de la démarche du CCEB en matière d’éducation, de la problématique même de l’éducation au Burkina Faso et des mesures à prendre pour atteindre l’éducation pour tous. Lisez !

Sidwaya (S). : Qui est M. Saïdou Ouédraogo ?

S.O. : Je m’appelle Saïdou Ouédraogo. Je suis inspecteur de l’enseignement primaire de formation. J’ai enseigné le français et l’anglais pendant une dizaine d’années au lycée. Depuis 2003, je travaille pour le compte du CCEB (Cadre de concertation des ONG et associations actives en éducation de base).

S. : Quelle mission le CCEB s’est-il assignée ?

S.O. : Il s’est d’abord agi dans un premier temps de créer un espace pour permettre un partage d’expériences, d’idées, de concertation entre les acteurs non étatiques du monde de l’éducation.
Progressivement, cette mission s’est muée en mission de plaidoyer, de négociation, d’interpellation en vue de l’amélioration du système éducatif.

Sidwaya (S). : Pourquoi avoir opté de mettre l’accent sur le plaidoyer ? Est-il payant ?

S.O. : Le plaidoyer, parce qu’il est clair que l’Etat, que ce soit au plan interne ou international, prend des engagements par rapport au développement et à la qualité du système éducatif. Et l’on constate que ces engagements ne sont pas toujours respectés. Cette situation appelle nécessairement des actions et pour notre part, nous avons choisi le plaidoyer, l’interpellation, la négociation pour amener l’Etat à respecter ses engagements. Le plaidoyer est payant parce qu’il y a des avancées significatives (qu’on ne peut cependant mette uniquement au compte du CCEB) ; mais les changements sont aussi la résultante de l’action que le CCEB mène aux côtés d’autres acteurs.

S. : Envers qui particulièrement est mené ce plaidoyer ? Y a-t-il des acteurs autres que l’Etat ?

S.O. : Selon la nature de la problématique, il est clair qu’aussi bien la cible que les alliés changent. Quand il s’agit de la question de la gratuité, de la formation des enseignants, la cible, c’est l’Etat. Quand il s’agit de la question de l’éducation des filles et des femmes, la cible peut changer parce que l’Etat à quelquefois, l’offre mais la demande ne suit, malheureusement, pas. Il y a alors des actions à mener auprès des communautés dans ce sens.

S. : Comment êtes-vous organisés pour mener à bien toutes ces activités ?

S.O. : Pour être au plus près des centres de décision, nous avions estimé qu’il était important de nous structurer à l’image du dispositif administratif en matière d’éducation. Au niveau donc des treize régions, nous avons des comités et au niveau des provinces également. Cela fait que tous les responsables déconcentrés du MEBA ont en face d’eux, des interlocuteurs qui répondent au nom du CCEB, au nom des ONG actives en éducation de base.

S . : On parle de plus en plus d’Education pour tous (EPT). Peut-elle être une réalité ici ?

S.O. : Absolument ! C’est d’ailleurs le principal cheval de bataille du CCEB. Lorsque nous parlons de plaidoyer pour l’éducation, c’est vraiment en faveur de l’éducation pour tous. C’est au nom de cette conviction que le CCEB est le point focal de la coalition nationale pour l’éducation pour tous qui, depuis 2002, engage chaque année, à la dernière semaine du mois d’avril, la semaine mondiale d’action. Il s’agit d’activités centrées sur le plaidoyer, sur des thématiques variées qui vont de l’équité à la question des enfants exclus du système. Cette année, il s’agira de nous pencher sur la question du droit à l’éducation.

S. : Le gouvernement entend rendre l’enseignement gratuit de 6 à 16 ans. Cette décision n’est-elle pas tardive et peut-elle être concrétisée sur le terrain ?

S.O. : Comme dirait l’autre, il n’est jamais trop tard pour bien faire. C’est bien que l’Etat se décide enfin à marquer de façon officielle et définitive, cette position. Nous croyons que c’est quelque chose qui peut se réaliser. Mais il faut que nous nous accordions sur la notion de gratuité et d’obligation. Pour ce qui est de la gratuité, je dirai que l’école coûtera toujours de l’argent ; maintenant qui paie ? C’est là la question ! Notre combat à nous, c’est que, quel que soit le prix de l’école, que ce ne soit pas les ménages qui supportent les charges scolaires. A ce moment-là, il sera difficile de dire qu’il s’agit de gratuité, que les parents doivent scolariser tous les enfants quand on connaît les limites financières, matérielles de la plupart des ménages.

S . : La discrimination positive adoptée à l’endroit des filles a-t-elle réellement son sens lorsqu’on constate que cela brime certains parents pauvres qui n’ont que des garçons ?

S.O. : La discrimination a son sens. C’est simplement de dire que partout où il est possible de faire des avantages à une fille, il ne faut pas hésiter sans pour autant que le principe soit de brimer les garçons. Il ne faut pas voir la discrimination en termes de brimer les garçons pour les filles mais plutôt de créer les conditions pour donner plus d’avantages aux filles qu’aux garçons. Bien sûr quelque part, il y a comme une sorte de frustration ; mais en réalité, il ne s’agit pas d’enlever un droit aux garçons pour le donner aux filles. Il s’agit de donner plus de possibilités aux filles d’assouvir ce droit à l’éducation.

S. : La priorité en matière d’éducation n’est-elle pas la disponibilité des infrastructures et un personnel enseignant qualifié ?

S.O. : Lorsque vous lisez la plate-forme de la Coalition nationale pour l’éducation pour tous et du CCEB, les aspects sur lesquels nous travaillons concernent d’abord la qualité du personnel enseignant. Nous pensons là, à la formation du personnel. Dans les ENEP, la formation initiale a été ramenée à un an avec comme proposition de mettre en place un dispositif de formation continue qui va permettre de compenser la 2e année. Le problème qui se pose est que dans les faits, cela n’est pas toujours effectif. Nous disons qu’il faut faire quelque chose parce qu’on ne peut pas dans cette dynamique, parler de qualité de l’éducation.

Le mode de recrutement même des enseignants est à la limite une aberration. On ne saurait recruter un enseignant sur la base d’un test psychotechnique. Quelle est la certitude qu’il a un bon niveau en français, qu’il a de bonnes connaissances minimales en pédagogie, qu’il a ce qu’il faut pour être un enseignant ?

Un test psychotechnique, n’importe qui peut le réussir tout à fait par hasard sans que pour autant on puisse admettre qu’il a le niveau pour être enseignant. Ce sont autant d’interrogations qu’il faut qu’on aie le courage de revoir et créer les conditions de la mise en place d’un personnel qualifié qui a les compétences et qui peut les recevoir pour pouvoir dispenser une bonne éducation.

S. : Quel est le bien-fondé de la semaine mondiale d’action ?

S.O. : Les questions comme celles de l’éducation ont toujours été traitées comme des sujets qui incombent à des spécialistes. Il faut qu’on arrive à une ouverture pour permettre à l’ensemble des acteurs de la vie nationale de s’imprégner des questions d’éducation. Tantôt, vous avez évoqué la question de la discrimination positive à l’endroit des filles. Demandez à un parent d’élève du fin fond de la brousse, il ne saura vous dire de quoi cela ressort.

Tout simplement parce que tous les acteurs ne sont pas suffisamment informés, ne sont pas suffisamment impliqués dans le processus. La semaine pour l’éducation pour tous est une occasion de diffuser au maximum, un certain nombre d’insuffisances du système, de partager avec toute la communauté pour permettre aux gens de s’engager à travailler.

Il ne s’agit pas de faire du tapage, de retenir le caractère festif (comme on a malheureusement l’habitude de le faire chez nous) d’une semaine. Il s’agit plutôt de voir le niveau de réflexion auquel on va amener les gens au cours de ladite semaine pour qu’au sortir, on puisse trouver qu’il y a eu plus de gens informés sur les difficultés du système, qu’il y a plus de gens qui s’engagent à travailler pour que le système éducatif travaille à connaître des lendemains meilleurs.

Pour l’édition de cette année (du 23 au 29 avril 2007), nous avons estimé qu’il était opportun de saisir la période de la campagne des élections législatives de 2007 pour demander à tous les partis politiques candidats aux élections, de s’engager publiquement, pour qu’au cours de leur mandat 2007-2011, ils se battent au niveau de l’hémicycle pour remplir les conditions d’une éducation de qualité pour tous. C’est une cérémonie que nous prévoyons le mercredi 25 avril 2007 avec le témoignage de la presse nationale et internationale.

Nous verrons si oui ou non, les partis politiques croient à la priorité de l’éducation et ce que leurs représentants feront une fois à l’hémicycle. C’est une activité qui permettra de faire le point de ceux qui croient en un message et qui ont un idéal à défendre à l’hémicycle ou encore ceux qui sont simplement présents pour faire de la propagande mais qui n’ont pas d’idéal du tout.

Autant nous serons rassurés si tous les partis viennent s’engager, autant nous serons situés si personne ne vient. Nous aurons alors la preuve que nos hommes politiques ne croient pas du tout à l’importance de l’éducation.

S. : Sous quel thème sera placée la présente semaine mondiale d’action pour l’éducation pour tous ?

S.O. : Ce sera sous le thème du droit à l’éducation plus spécifiquement, « engagez-vous pour les droits à l’éducation, maintenant ! ». Aujourd’hui, on avance que l’éducation doit être gratuite et obligatoire mais lorsqu’on analyse ce qu’elle coûte, peut-on réellement satisfaire ce droit à l’éducation ? Même le fonctionnement des associations des parents d’élèves est un frein à l’éducation. Qu’arrivera-t-il aux parents d’élèves qui n’ont pas les moyens de payer les frais de scolarité de leurs enfants ?Avoir par exemple cinq enfants et ne pouvoir payer les frais que d’un seul ne compromet-il pas le droit pour les quatre autres d’être scolarisés ?

Est-ce que si l’on ne travaille pas à réduire les effectifs par classe de sorte à être manipulables par les enseignants, comment le maître peut-il assurer un travail de qualité ? Avec 130 élèves dans une classe, peut-on estimer que tous ont satisfait à leurs droits à l’éducation ?

Etre assis en classe est une chose, y avoir accès à une éducation de qualité en est une autre. Ce sont des questions sur lesquelles nous voulons attirer l’attention des uns et des autres. Dans cette interpellation , que ce soit le CCEB ou la coalition, nous ne nous mettons pas en dehors de ceux qui doivent apporter des réponses.

Nous considérons qu’au même titre que l’Etat, les partenaires techniques et financiers, nous avons un rôle à jouer, une responsabilité dans la situation. C’est autant interpeller les autres que nous interpeller nous-mêmes par rapport à ce que nous devons tous faire pour changer les choses.

S. : Pensez-vous que l’Etat mène le combat de l’éducation comme il se doit ?

S.O. : Dans l’esprit, oui ! Mais dans les faits, il y a un certain nombre d’insuffisances qui font qu’à un certain moment, l’on se demande si effectivement, on va y arriver ou si on veut réellement y arriver. Lorsqu’on constate les retards dans les réalisations des infrastructures, quand on constate les situations où des enfants sont encore assis à même le sol, quand on constate que des enfants handicapés n’ont pas de structures pour aller à l’école, l’on se demande si réellement on va y arriver.

Mais lorsqu’on prend aussi les déclarations et la détermination des uns et des autres, on se dit qu’on leur accorde la bonne foi sur la base de leurs déclarations, maintenant il faut que nous les poussions de sorte à ce que les déclarations se traduisent en actes concrets pour manifester cette volonté de faire de l’éducation pour tous une réalité.

On peut y arriver ou ne pas y arriver. Malgré tout, il faut qu’on y aille avec tous les moyens et l’engagement qu’il faut et en mobilisant tous les acteurs qui sont susceptibles d’apporter quelque chose. Si l’on met les moyens à la hauteur de la volonté affichée, on peut y arriver. Tout le monde avance que la priorité c’est l’éducation.

Si vous regardez le budget d’une commune, la ligne affectée à l’éducation est de 800 000 F CFA et la cérémonie d’installation du maire coûte 3 millions de francs CFA. Comment traduit-on alors cette priorité ? Qu’est-ce qui est prioritaire entre financer l’éducation et installer un maire ? Si l’éducation est une priorité, on doit déjà le lire dans les chiffres.

Entretien réalisé par Ismaël BICABA

Sidwaya

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