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Canada : Les Africains déçus par l’eldorado pétrolier

Publié le samedi 18 novembre 2006 à 09h17min

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Nombreux à vouloir profiter du boom pétrolier dans l’Ouest du Canada, de plus en plus d’Africains francophones installés à Calgary se rendent compte parfois cruellement- que l’eldorado promis n’est pas pour eux. Voyage au bout d’une illusion.

Il s’appelle Alassane et est d’origine malienne. La barbe négligée, les yeux rougis par des jours d’insomnie, l’ingénieur en informatique d’une trentaine d’années est déçu par Calgary, qu’il avait choisie pour améliorer son anglais et profiter des nombreuses offres d’emploi. Manifestement, il est au bord de la déprime. « Je pense que j’ai fait un mauvais choix », soupire-t-il, le regard vide.

Depuis cinq semaines qu’il vit à Calgary, sise à quelques milliers de kilomètres de Montréal dans la province d’Alberta, il va de squat en taudis, incapable de se loger décemment tant les logements sont chers et les propriétaires intraitables « C’est incroyable ! J’ai l’impression que les propriétaires ne veulent pas de Noirs ici. Dans une semaine, si je ne trouve rien, je retourne à Montréal. »

Jean, lui, est détenteur d’un Baccalauréat en marketing et vit depuis deux mois dans la « capitale de l’énergie du Canada », comme se plaît à se présenter Calgary et cœur d’une région qui exporte plus de pétrole aux Etats-Unis que ne le fait l’Arabie Saoudite. Ce Camerounais a bien trouvé difficilement un logement, mais il est hors de prix : 950 dollars (670 €, soit deux fois plus cher qu’au Québec) pour un petit deux pièces qui lui bouffe ce qui lui reste d’économies puisqu’il est toujours sans travail, malgré ses nombreuses démarches. « Je suis dégoûté, dit-il. Quand je lisais les informations sur Calgary, je croyais que c’était beaucoup mieux. J’ai été naïf, j’aurais dû mieux me renseigner. Si je n’avais pas tout vendu à Montréal, je serais déjà retourné ».

Les cas d’Alassane et de Jean n’ont rien d’exceptionnel La plupart des Africains francophones qui débarquent à Calgary ne connaissent la ville qu’à travers le prisme des médias, qui débordent de superlatifs quant à sa prospérité.

Les prévisions des économistes, qui placent Calgary dans le peloton de tête des villes canadiennes au chapitre de la croissance, poussent en effet depuis deux ans des centaines d’Africains francophones déçus du Québec à risquer l’aventure. Mais la réalité est beaucoup moins rose que leurs rêves. Ils découvrent, une fois sur place, que la langue, le logement et le marché du travail sont autant de barrières à leur intégration.

Revenir à Montréal

« J’avais appris qu’il serait très facile de trouver un emploi en venant. Ici se désole Awa, diplômée de l’école des Hautes études commerciales de Montréal .J’envoie mon CV et je fais le tour des entreprises, sans succès malgré mon expérience de cinq ans à Montréal. Je parle pourtant aussi bien l’anglais que le français. Je veux repartir à Montréal, « Ça me dépasse ». Après avoir dépensé toutes ses économies en frais d’hôtel, la Sénégalaise fait depuis deux mois la tournée des organismes d’entraide afin de bénéficier d’un lit provisoire, de tickets de transport et de bons de nourriture.

Même son de cloche chez le Béninois Cosme, un spécialiste du droit des affaires Il reconnaît avoir pris la décision de s’installer à Calgary sur un coup de tête. Depuis cinq mois, il multiplie les petits boulots, sans rapport avec sa qualification. Il dit en avoir vu de toutes les couleurs et ne pense qu’à quitter la ville. « C’est très difficile pour des gens comme moi qui ont fait de longues études. Les petits boulots, je ne suis pas venu ici pour ça ! J’ai souffert pour avoir des diplômes et j’entends les rentabiliser. Je ne me fais plus d’illusions, mon objectif est désormais d’apprendre l’anglais et de me barrer ».

Le Guinéen Alpha Barry, conseiller au Centre d’accueil pour les nouveaux arrivants francophones de Calgary, confirme que le nombre de migrants africains francophones ne cesse de croître, malgré les départs, et atteindrait déjà quelques centaines. A lui seul, il en reçoit une trentaine tous les mois : « Ils ne sont pas bien préparés financièrement et, contrairement à ce qu’ils imaginent, le gouvernement de l’Alberta n’est pas du tout généreux en matière d’assistance sociale. Le temps d’attente pour apprendre l’anglais par le biais des programmes du gouvernement est de trois mois et c’est une grande déception ».

S’armer de patience

Certains sont chanceux, néanmoins. Une semaine après son arrivée à Calgary, la Togolaise Kari Biramah a trouvé un poste dans un journal communautaire francophone. Mais elle avoue être un cas isolé. « Parce que je suis tombée sur une entreprise qui avait un besoin immédiat », reconnaît-elle. La plupart des Africains ayant réussi à se trouver du travail dans leur domaine de compétence à Calgary sont unanimes. Il faut s’armer de patience.

Pour le Gabonais Lie Nicaise Mezui, la traversée du désert a duré un an. Géomètre de formation. Il a d’abord fait plusieurs petits jobs avant de trouver un emploi stable dans le génie civil. « Je m’épanouis pas mal ici et je crois que je vais y rester. Mes enfants seront parfaitement bilingues et ça compte beaucoup pour moi ». Installé à Calgary depuis quatre ans, Alfred dit n’avoir jamais regretté Montréal.

Spécialiste de microbiologie, ce Béninois d’une trentaine d’années travaille dans un laboratoire, sur des tests de contrôle de la qualité. Il gagne bien sa vie et possède voiture et maison. Mais pour y arriver, il a dû pendant un an occuper un poste subalterne avec salaire de misère à la clef. Aujourd’hui, son mot d’ordre aux nouveaux arrivants est le fruit de son expérience. « Calgary, ce n’est ni ce qu’on entend à la radio, encore moins ce qu’on voit à la télé. L’eldorado n’existe nulle part ».

Patient ATCHO (Syfia)

Sidwaya

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