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Produits éclaircissants : Affronter les dangers de la dépigmentation

Publié le samedi 28 octobre 2006 à 09h16min

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Médiatiquement hors-la-loi au Burkina depuis juillet dernier, les produits éclaircissant la peau continuent de bien se vendre. Une solution ? Informer les femmes mais aussi les hommes et les enfants sur les dangers de la dépigmentation.

Body Llight, Skin Light, Méti’cée, Clair total, Vit-fée... Au Burkina, ces produits éclaircissants aux noms suggestifs ont disparu des écrans de télé, des ondes et des affiches depuis juillet dernier, mais pas des rayons des magasins de cosmétique. Chez l’un des plus gros vendeurs de Ouagadougou, les employés ne craignent pas de se retrouver au chômage faute de clientes. « L’interdiction a été brutale et imposée. Dans ces circonstances-là, ça ne peut rien changer.

Les gens continuent d’acheter les produits comme si de rien n’était. La fille qui vient de sortir, a payé Rapid clair. Tous les jours c’est comme ça », commente un vendeur. Sa collègue estime qu’elle ne commencera à s’inquiéter que dans cinq ou dix ans, si l’interdiction tient vraiment. Pour le moment dit-elle, on ne sent rien.

L’interdiction de la publicité des produits de dépigmentation, adoptée par le ConseiI supérieur de la communication du Burkina, faisait suite à la plainte d’une téléspectatrice, choquée par l’invasion des écrans par des spots dévalorisants pour la femme. Une des publicités incriminées mettait en scène une épouse chassée par son mari, pour cause de « teint non harmonisé ». Après utilisation du produit vanté à l’écran, son teint clair lui permettait de reconquérir son mari aux dépens d’une rivale au teint noir. Le Conseil motive aussi sa décision en exhumant un article du Code de la publicité qui stipulait déjà que « les produits dépigmentants ne peuvent en aucun cas faire l’objet de publicité ».

Décision applaudie

De nombreux médecins et leaders d’associations de défense des droits des femmes disent « applaudir des deux mains et avec force » la décision du Conseil. Le Pr Adama Traoré, chef de service de dermatologie du Centre hospitalier national YaIgado Ouédraogo de Ouagadougou, y voit un moyen d’arrêter la progression de la dépigmentation, dont les débuts au Burkina remonteraient aux années 1985-90.

Les adeptes se recrutent dans toutes les couches de la population, mais le profil type de la « femme peinture » comme disent certains est celui d’une personne de moins de 40 ans, célibataire ou divorcée. . Depuis 1998, le Pr Traoré mène un combat quasi solitaire contre le blanchiment de la peau, arpentant les couloirs des médias pour attirer l’attention de leurs responsables sur la place grandissante de la publicité de ces produits et leurs risques pour la santé.

Une étude conduite sous sa direction en 2003 dans les deux grandes villes du pays, et Bobo-Dioulasso, concIuait à une utiIisation partieIIe ou généraIisée des produits éclaircissants par respectivement 40 et 50% des femmes. La même étude indique qu’environ 10 à 15% de demandes de soins en dermatologie concernent des problèmes liés à l’utilisation de ces substances, telles l’acné, l’atrophie ou mort de la peau. La dépigmentation peut aussi créer des problèmes rénaux attaquer le système nerveux et favoriser le cancer (voir encadré).

Informer sur les dangers

Critiques et supporters de la mesure s’accordent tous sur un point : interdire la publicité ne suffit pas, il faut aussi éduquer Ie public. Le vendeur de cosmétiques analyse : les gens auraient pu être consultés voire éduqués pour refuser d’eux-mêmes ces produits. Ceux qui sont contre doivent faire de l’éducation pour le changement de comportement. Mme Madeleine Ouédraogo, de l’association Koom pour I’autopromotion des femmes, conseille : « Nous devons utiliser tous les canaux possibles : théâtre forum, spots télé, radios, etc. pour une vraie campagne de sensibilisation ».

Elle recommande d’adresser aussi les messages aux hommes qu’eIIe qualifie de « consommateurs ». Leur attirance pour les femmes au teint clair pousserait les femmes au teint sombre à se décolorer. « pour moi, les choses sont claires : ou tu m’aimes avec ma peau ou tu me laisses avec ma peau », prévient-elle.

Mme Mariam Lamizana, de l’association « voix de femmes » en appelle à « un travail de fond de I’Etat et de la société civile ». Elle va jusqu’à suggérer d’inclure la question dans les programmes scolaires d’éducation civique, de santé. Comme les Américains l’ont fait avec bIack is beautifuI, (dans Ies années 60 NdIr). Mais iI faut mettre davantage I’accent sur les conséquences. Les gens vont arrêter, parce que personne ne veut avoir un cancer de peau, un diabète.

Le Pr Traoré rappelle que la dépigmentation est un phénomène social, dicté par des raisons profondes qu’il faut comprendre. « C’est cette compréhension qui permettra de développer des stratégies idoines », estime le dermatologue.

En attendant, il conseille à ses collègues de soutenir leurs patientes sans les juger. « Le professionnel de la santé doit accepter de s’ouvrir et de recevoir les gens qui sont en détresse, leur expIiquer Ies conséquences de leurs actes et leur faire des propositions pour que progressivement cette pratique cesse. c’est donc un travail d’explication, de sensibilisation, d’ouverture, de prise en charge sans jamais faire la morale ».

SouIeymane OUATTARA (Syfia)


Sénégal : panique chez Ies « négresses blanches »

« Aujourd’hui, on peut affirmer sans risque de se tromper que la dépigmentation peut causer le cancer ». Ces propos, du Pr Mame Thierno Dieng, dermatoIogue à I’hôpital Aristide Le Dantec de Dakar, invité en juillet dernier de la chronique santé à la télévision sénégalaise, on fait l’effet d’une bombe. Le blanchiment de la peau, appelé tchatcho au Mali, bojou au Bénin, kobwakana ou kopakola dans les deux Congo et xeessaI au Sénégal se pratique depuis 40 ans dans ce pays.

67% des sénégaIaises y ont recours contre 58 % les Togolaises, 25 % des Maliennes, selon le Dr Fatoumata Ly, présidente d’une Association sénégalaise de lutte contre la dépigmentation. Pour ressembler aux Blanches, les femmes noires ne lésinent pas et consacrent pour certaines, plus de 40 000 FCFA (environ 60$) par mois à ces produits dits de beauté. Un réel danger pour la peau. Le blanchiment, explique le Pr Dieng, se fait « soit par le blocage de la mélanine (un pigment foncé qui protège la peau contre les rayons solaires (Ndlr), soit par la destruction de cette substance ».

Dans les deux cas poursuit-t-il, il y a des conséquences néfastes sur la santé pouvant aller jusqu’au cancer de la peau. Les plus bénignes étant des boutons, des petites plaies et des dermatoses qui mettent du temps à guérir car « la peau perd de plus en plus sa capacité de régénérescence ». Le danger est décuplé lors de la grossesse. « celles qui pratiquent le xeessaI sont à l’origine d’infections néonatales de leurs enfants », rappelle le dermatologue.

Au Sénégal, les médecins ont pendant longtemps tiré la sonnette d’alarme, sans jamais être entendus. Mais trois mois après le passage de ce dermatologue à la télévision, on observe une certaine panique chez les « négresses blanches ». « J’ai laissé tomber, parce que c’est fatiguant et ça tue », affirme Isseu Samb, une habitante de la banlieue dakaroise qui dit avoir été terrifiée par les images diffusées lors de cette émission. Sa voisine Marème Pène, confirme : « Je n’ai jamais imaginé que ça pouvait faire tous ces dégâts. C’est fini ! », dit-elle.

Pour réparer leur épiderme, les femmes se tournent à présent vers des produits naturels comme le karité. « Celles qui ont besoin de régénérer leur peau devenue morte sont envoyées ici par des médecins » déclare Taïb Diop, un biologiste fabricant de cosmétiques à base de karité à Dakar.

Moussa GASSAMA (SYFIA)

Sidwaya

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