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René Bagoro, secrétaire général du Syndicat burkinabè de magistrats (SBM) : "L’indépendance des magistrats me tient à coeur"

Publié le lundi 26 juin 2006 à 07h30min

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René Bagoro

Le 8 avril 2006, le Syndicat burkinabè de magistrats (SBM) procédait au changement de sa structure dirigeante au cours d’une Assemblée générale tenue à Ouaga. Depuis cette date, c’est le magistrat René Bagoro, juge au Tribunal administratif de Ouagadougou, qui est aux commandes du syndicat pour un mandat de 2 ans renouvelable.

Plus de 2 mois après, nous avons rencontré le nouveau secrétaire général du SBM pour savoir essentiellement les projets, les chantiers qu’il a pour le syndicat.

"Le Pays" : Vous êtes depuis le 8 avril 2006 à la tête du SBM. A la date d’aujourd’hui (ndlr : 20 juin) cela fait plus de 2 mois que vous êtes le premier répondant du syndicat. Comment avez-vous passé ces 2 mois ?

René Bagoro : Deux mois c’est peut-être tout juste pour dire comment l’on se sent, surtout quand on remplace quelqu’un comme Guy Hervé Kam. C’est pour dire que depuis ces 2 mois, nous sommes en train de faire la passation de service, de régler les problèmes administratifs. Pour le moment, nous sommes encore à la définition de notre stratégie de lutte.

Sur quels points allez-vous mettre l’accent au cours de votre mandat ?

Comme je l’ai dit lors de mon élection, le SBM change de dirigeant mais ses objectifs demeurent les mêmes. C’est la continuité, et nous allons donc défendre l’indépendance de la magistrature, l’intégrité du corps, faire en sorte que les magistrats vivent des conditions meilleures. Nous allons peut-être apporter notre touche personnelle.

Comment sont vos rapports avec les autres syndicats de magistrats depuis ces 2 mois ?

Nous avons placé notre mandat sous le signe de l’unité du corps. Dans ce sens, dès notre élection, nous avons cherché à rencontrer les autres syndicats. Deux mois sont peut-être insuffisants pour faire une appréciation objective mais pour le moment, nous avons de bons rapports avec eux. On ne sait pas de quoi demain sera fait ; nous avons exposé aux autres notre souci de l’unité et attendons les actes qui vont être posés. Nous voulons l’unité mais pas à n’importe quelle condition.

Outre votre syndicat, il y a 2 autres qui, eux aussi, défendent les intérêts du corps. Pourquoi cette pluralité syndicale pour défendre des intérêts qui se recoupent quelque part ?

Vous avez tout à fait raison lorsque l’on prend le nombre de magistrats qui est de 258 pour tout le pays. Pour faire comprendre la pluralité syndicale, il y a lieu de rappeler les conditions de naissance du SBM. C’est un syndicat créé en octobre 1995 après le constat, dans le corps, par un groupe de jeunes magistrats de l’existence de 2 syndicats. C’est en voulant chercher à comprendre qu’ils ont appris que suite à la Révolution, qui a constitué une période difficile pour la justice, certains magistrats avaient permis que des actes soient posés contre d’autres.

Ce qui fait qu’après la Révolution, il était difficile pour ces gens de travailler ensemble. Les jeunes ont essayé que les gens puissent se réunir sans y parvenir. N’étant pas concernés par les problèmes à la base des divisions, et ne voulant pas prendre position pour qui que ce soit, ils ont préféré créer leur syndicat pour défendre leurs idéaux. Voilà ce qui justifie l’existence des 3 syndicats.

Originairement, c’était l’ancienne version du SAMAB (ndlr : Syndicat autonome des magistrats du Burkina), mais certains ont estimé que des collègues avaient posé des actes qui faisaient qu’ils ne pouvaient plus travailler ensemble. Toute chose qui a amené à la création d’un 2e syndicat auquel est venu s’ajouter un 3e créé par des jeunes qui n’ont pas pu obtenir l’unité du corps. Mais j’avoue que ça fait trop pour un corps de 258 magistrats.

Le SBM est donc un syndicat de jeunes ?

Peut-être compte tenu du fait qu’il a été créé par un groupe de jeunes qui avaient un idéal à défendre. Mais aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est un syndicat de jeunes, parce que vous retrouvez parmi nous des aînés, des gens qui sont dans les hautes juridictions. Beaucoup d’aînés sont convaincus que notre idéal est noble, mais n’ont peut-être pas le courage d’adhérer officiellement à notre syndicat.

Qu’est-ce que cela vous fait quand vous entendez dire que vous êtes un syndicat de rebelles, un syndicat opposé à la chancellerie, un syndicat de magistrats non acquis ?

Je m’en réjouis si on dit que le SBM regroupe des magistrats non acquis parce que quelqu’un qui est acquis est totalement dévoué à la cause d’une autre personne. Or, notre mission veut justement que nous soyons libres de toute relation. Maintenant, dire que nous sommes radicaux, durs, est relatif. Nous avons un idéal qui est de dénoncer toute irrégularité. Si c’est cela être radical, nous l’acceptons. Mais s’il s’agit de dire que nous dérangeons, nous ne pensons pas que ce soit le cas.

C’est notre idéal, et nous refusons effectivement être au service de qui que ce soit. Nous prenons le soin d’expliquer les actions que nous menons. Lors des récentes élections au Conseil supérieur de la magistrature, nous avons souligné des irrégularités que le ministère (ndlr : ministère de la Justice) a même reconnues ; ce qui va entraîner leur reprise. Tout dépend de l’angle sous lequel l’on se place. Mais je le répète : nous ne sommes pas des magistrats acquis.

Justement comment sont vos rapports avec la chancellerie (ministère de la Justice ?

Pour le moment, nous avons des rapports de collaboration, de dialogue avec la chancellerie comme ça a été le cas d’ailleurs de l’ancienne équipe du syndicat. Nous avons toujours cherché le dialogue. Pour le moment, la chancellerie semble nous écouter, ce qui fait que nous posons nos problèmes à ce niveau.

Quelle est l’activité majeure que vous comptez entreprendre incessamment dans le cadre de votre mandat ?

Ce qui me tient à coeur est l’indépendance des magistrats. Je le dis parce que nous avons deux combats à mener pour cette indépendance.

Il y a d’abord un combat interne. Nous avons beaucoup de collègues qui, bien que les textes aient donné l’indépendance, ont peur, sont incapables de l’être. Notre action sera de les amener à prendre conscience que les textes leur donnent l’indépendance et qu’ils doivent travailler personnellement à la conquérir.

Dans la même logique, nous allons travailler à ce que l’on dénonce chaque fois les atteintes à l’indépendance. Bien sûr que nous travaillerons également à l’amélioration des conditions de vie des magistrats. Dans ce cadre, nous sommes partie prenante des négociations qui vont certainement s’engager d’ici là sur l’augmentation des indemnités des magistrats.

Que répondez-vous à ceux qui disent que vous êtes sous l’ombre tutélaire de l’ancien secrétaire général Hervé Kam à qui vous êtes trop proche ?

Je réponds que je n’ai jamais été loin d’aucun magistrat. Maintenant, si être proche de Kam, c’est partager son idéal de la magistrature, c’est marcher à la suite de ce qu’il fait, j’accepte être proche de lui parce que dans tout corps, il y a des exemples. Je pense que nous avons des aînés qui méritent que l’on marche à leur suite, et Kam en est un. Sur ce point, je n’ai pas de gêne à dire que je l’admire.

Comment réagissez-vous face aux critiques de corruption, de soumission au pouvoir exécutif formulées par l’opinion à l’encontre de la justice ?

Il faut dire que c’est une réalité, et nous devons avoir le courage de l’accepter. Maintenant quand c’est l’opinion qui évoque cette réalité, cela nous fait mal parce que même si individuellement on ne se reproche rien, on est dans un corps, et quand celui-ci est sali, on est tous responsable.

Les flèches décochées nous font mal au coeur, dans la mesure où ce qui est dénoncé est réel. C’est la raison pour laquelle le SBM a initié depuis l’année dernière un projet d’accès à la justice à travers la lutte contre la corruption. Ce qui veut dire que nous en sommes conscients et faisons ce que nous pouvons pour que la justice ait une bonne image, parce que si les gens n’ont pas confiance en elle, nous travaillons à perte.

Il faut que les gens soient convaincus qu’en venant voir le juge, ils ont affaire à quelqu’un qui est au-dessus de la mêlée. Ce qu’il y a lieu de faire ce n’est pas nier les critiques en les qualifiant de stériles, mais chercher à savoir ce qui se passe réellement.

Propos recueillis par Séni DABO

Le Pays

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