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Dr Samba Diallo, hémobiologiste au CRTS de Ouaga : "Les gens confondent le Centre de transfusion à un centre de dépistage"

Publié le vendredi 9 juin 2006 à 07h04min

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Le 14 juin de chaque année, la communauté internationale célèbre la Journée mondiale du don de sang. Cette année 2006 la tradition sera une fois de plus respectée et c’est l’occasion pour nous de nous intéresser de plus près à cette activité. Les Burkinabè donnent-ils leur sang comme il se doit ? Quels sont les risques liés à la transfusion sanguine ?

Qu’en est-il du trafic de sang dont il est fréquemment question dans certaines formations sanitaires ? Pour avoir les réponses à ces questions et à de bien d’autres, nous avons rencontré une personne ressource. Il s’agit du Dr Samba Diallo, médecin hémobiologiste et chef du service collecte du Centre régional de transfusion sanguine (CRTS) de Ouagadougou.

"Votre Santé" : Faites-nous une présentation du CRTS de Ouaga

Dr Samba Diallo : Le Centre régional de transfusion sanguine de Ouaga est l’unité opérationnelle du Centre national de transfusion sanguine. Pour l’instant, il couvre la région du Centre. Il pourrait s’étendre aux régions du Plateau central et du Centre-Sud. Le Centre a pour mission essentielle d’approvisionner les formations sanitaires de son ressort en produits sanguins labiles.

Nous assurons essentiellement des activités de promotion du don de sang, la collecte à travers laquelle nous rencontrons les donneurs avec lesquels il y a un entretien médical et ensuite le prélèvement. Les poches de sang prélevé sont préparées au centre, les échantillons vont dans les 2 laboratoires (immuno-hématologique et sérologique) pour ce que l’on appelle la qualification biologique des dons (détermination du statut du don).

Le laboratoire immuno-hématologique permet de déterminer le groupe sanguin. Après la préparation et la qualification, les produits sont stockés chez nous et nous procédons à la distribution aux formations sanitaires. Il y a la distribution nominative où le produit est attribué à un individu précis. Il y a aussi la distribution non nominative ; en ce moment nous approvisionnons les dépôts qui sont actuellement le Centre hospitalo-universitaire Yalgado Ouédraogo, l’hôpital pédiatrique Charles De Gaulle, les formations sanitaires publiques ou privées de notre ressort.

Quelle est la situation du don de sang dans votre ressort ?

Au niveau du don de sang, nous avons des difficultés qui sont pour la plus grande part tributaires de la pandémie du VIH. Au début, il y avait un engouement pour le don de sang. Mais avec l’apparition du VIH les gens ont tout de suite confondu don de sang et dépistage et ont commencé à fuir. Ils fuyaient parce qu’à l’époque si vous aviez un résultat positif les formations sanitaires n’avaient rien à vous proposer comme prise en charge.

Avant l’introduction des antirétroviraux il n’y avait que le traitement des infections opportunistes. Mais aujourd’hui, avec des propositions de prise en charge des infections à VIH par les antirétroviraux sur le plan national, nous observons un phénomène contraire. Cela nous inquiète souvent parce que lors des entretiens on se rend compte que les gens confondent le Centre de transfusion à un centre de dépistage.

Les gens se cachent derrière le noble geste que constitue le don de sang pour se faire dépister. En ce moment, c’est une grande perte pour le Centre de transfusion sanguine parce qu’une poche qualifiée chez nous revient à près de 30 000 F CFA alors qu’un dépistage est gratuit ou coûte entre 500 et 6000 F CFA dans un centre de dépistage anonyme et volontaire ou dans un laboratoire. Nos difficultés sont essentiellement l’information et l’accès aux individus. Nous avons une capacité de déploiement limitée ; c’est une jeune structure. Notre contact avec les donneurs se fait selon deux modalités.

Au niveau du centre, il y a ce que l’on appelle la collecte sur site fixe où le donneur vient à nous. Aujourd’hui, nous sommes ravis parce que le centre commence à être fréquenté même si pour le moment ce n’est pas la grande affluence. Il y a ce que nous appelons la collecte mobile et le centre se déplace vers les donneurs potentiels sur leurs lieux de travail ou leurs sites de formation. Plus de 80% des dons que nous prélevons proviennent des universités, des écoles, de l’administration publique, etc.

Que faites-vous pour inciter le public à donner de plus en plus son sang ?

Avant la mise en place du Centre régional de transfusion sanguine de Ouaga, il y a le Centre national de transfusion sanguine qui a mené de grandes campagnes de sensibilisation et de promotion du don de sang. C’est ainsi que vous voyez l’image de l’artiste-musicien Bil Aka Kora en train de donner son sang. Aujourd’hui, qu’est-ce que nous faisons concrètement ?

Nous organisons des cinés-débats, des théâtres forums et des séances de passage dans les classes. Aussi, nous animons des conférences sur la transfusion sanguine au cours desquelles nous distribuons des affiches de sensibilisation. Des associations, des structures ou un établissement peuvent nous contacter pour l’organisation d’une activité de don de sang.

En ce moment, nous programmons l’activité et dépêchons des agents sur le terrain pour mener des activités de sensibilisation. Aujourd’hui, nous misons sur l’harmonisation du contenu des messages et cela avec le concours de la Direction de la communication et de promotion du don de sang du Centre national de transfusion sanguine.

Si les gens ne viennent pas donner leur sang comme il le faut, n’est-ce pas à cause des risques liés à la transfusion ? Quels peuvent être ces risques et quelles sont les mesures prises pour les éviter ?

La transfusion est très bien structurée. D’abord, en termes d’infrastructures et d’équipement le Centre de transfusion est assez bien équipé. Ensuite, nous avons un personnel qualifié qui mène des activités de promotion du don de sang, de collecte, de qualification et de distribution des produits. Cela fait que concrètement aujourd’hui il n’y a pratiquement pas de risques pour un donneur. Quand un candidat vient pour donner son sang, il y a l’information pré-don après qu’il a été enregistré. La personne prend connaissance des conditions et du questionnaire de l’entretien médical.

Ensuite, le donneur est reçu par un médecin ou une infirmière formée en transfusion. Je dis qu’il n’y a pas de risques parce qu’à l’entretien médical nous évaluons l’aptitude du candidat à donner son sang sans avoir des problèmes par la suite. C’est ainsi que l’on s’enquérit de ses antécédents médicaux. La décision de prélèvement revient au médecin au vu de l’état de santé du donneur ; la quantité à prélever est également fonction de son poids.

Le risque est beaucoup plus du côté du receveur. Il faut savoir qu’à l’entretien médical il y a une deuxième phase d’évaluation des facteurs de risques de transmission de maladies infectieuses au receveur. On pose des questions même sur la vie intime du candidat au don de sang. La décision de prélèvement est prise quand l’aptitude au don de sang est acquise et qu’il n’y a pas de risques de transmission de maladies pour le receveur.

Vous voyez que nous prenons soin du donneur qui vient offrir son sang pour sauver des vies. Nous avons l’habitude de dire qu’il ne faut pas saigner à blanc un donneur pour sauver un patient parce qu’il deviendra lui aussi un patient. Les risques pour le receveur dont il est question sont de plusieurs types. Il y a le risque immunologique parce qu’en principe il n’y a pas de compatibilité parfaite entre deux individus.

Chaque individu est unique mais en arrivant à établir le maximum de compatibilité à travers les groupes sanguins dont les principaux sont les systèmes ABO et Rhésus, on réduit déjà au maximum le risque immunologique. Il y a aussi le risque infectieux parce que le sang peut transmettre des maladies. Ça peut être des virus notamment le VIH, les hépatites B et C ou d’autres germes (bactéries, parasites, ...).

Pour réduire ce risque infectieux, il est réalisé sur chaque don un dépistage systématique du VIH, des hépatites B et C et de la syphilis. Le risque parasitaire le plus dangereux est représenté par la transmission du Plasmodium falciparum responsable du paludisme. Cette maladie est à l’origine de la plus grande consommation de sang. Ailleurs, dès que vous faites une crise de paludisme vous ne pouvez plus donner votre sang.

Mais nous ne pouvons pas nous permettre cela au Burkina parce qu’on aura plus de sang. Il est alors préconisé de penser au paludisme post-transfusionnel devant toute fièvre récente chez un patient transfusé. Il y a ensuite ce que l’on appelle les risques de surcharge volémique c’est-à-dire que quand il y a une transfusion massive le malade risque d’avoir des complications. Il existe d’autres risques à long terme ou mineurs sur lesquels je ne m’attarderai pas.

Comment travaillez-vous avec les formations sanitaires ?

Le Centre régional de transfusion sanguine a en charge la promotion du don de sang jusqu’à la distribution des produits sanguins labiles (culots globulaires, plasma frais congelé et concentrés plaquettaires standards). Ces produits sont faits pour être consommés. Et ceux qui les consomment ce sont les malades qui se trouvent dans les formations sanitaires faisant de la transfusion sanguine. Elles sont nos partenaires avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration. Par exemple, le CRTS installera une antenne à Yalgado pour pouvoir rendre les produits sanguins plus accessibles.

N’allez-vous pas faire de l’ombre aux banques de sang et entraîner à la longue leur disparition ?

C’est évident. La transfusion sanguine a d’abord fait l’objet d’un programme national décidé par les plus hautes autorités sanitaires. C’est une nouvelle manière de faire ; ce n’est pas que les banques de sang ne font pas bien leur travail. Aujourd’hui, l’activité transfusionnelle est devenue tellement importante et les risques tellement élevés qu’il faille davantage sécuriser ce produit.

J’en veux pour preuve les axes stratégiques du SP/CNLS-IST (NDLR : Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le Sida et les IST) dans lesquels la sécurité transfusionnelle venait en 4e position. Ça veut dire qu’avec l’apparition de la pandémie les gens ont commencé à faire attention à la transfusion parce que le sang est le seul produit qui transmet le VIH à 100%.

En principe, il n’y a pas de rivalité entre le CRTS et les banques de sang. Au contraire, il y a un gain en amélioration de la qualité des produits mis à la disposition des malades. Progressivement, l’activité transfusionnelle sera reprise par les CRTS et c’est ce qui est prévu par le ministère de la Santé.

Arrivez-vous à satisfaire la demande des formations sanitaires ?

C’est difficile pour le moment. La structure a ouvert seulement ses portes le 6 octobre 2005. Nous n’avons pas encore atteint notre vitesse de croisière alors que nous sommes en train d’entrer dans la période la plus dure, la période de cauchemar pour les services de collecte à savoir la saison des pluies. Notre population de collecte est constituée essentiellement d’élèves et d’étudiants et ce seront bientôt les vacances.

En plus, la saison des pluies est la période où le paludisme pose le plus de problème surtout pour les enfants de 0 à 5 ans. La consommation en produits sanguins augmente pendant cette période. Du fait de ces deux éléments, là où on prélève ça diminue et les besoins augmentent. Voilà pourquoi nous sommes en train de tout mettre en oeuvre pour identifier de nouvelles populations de donneurs de sang et de fidéliser ceux qui ont été déjà recrutés.

Je profite de l’occasion pour inviter les femmes et hommes âgés de 18 à 60 ans à venir donner leur sang au Centre. Une poche donnée sauve une vie d’adulte mais deux vies d’enfants. Je profite également de l’occasion pour annoncer qu’un hommage sera rendu aux donneurs de sang le 14 juin 2006 à la faveur de la Journée mondiale du don de sang.

Avez-vous un contrôle sur les produits que vous mettez à la disposition des formations sanitaires pour éviter le trafic de sang ?

C’est difficile pour le moment parce que nous sommes une jeune structure. Toutes nos unités ne sont pas encore fonctionnelles. Ce que nous faisons à notre niveau est de tracer les produits c’est-à-dire que tout produit qui sort va à un patient précis. Si le produit A sort pour le patient B, la formation sanitaire devra en retour nous dire que le produit A a été transfusé au patient en question. C’est ce qu’on appelle la confirmation de la transfusion. Actuellement, ce n’est pas facile de mener cette activité au niveau de l’Hôpital Yalgado Ouédraogo du fait que c’est une période transitoire durant laquelle le CRTS et la banque de sang évoluent ensemble.

Par exemple, cette banque vient s’approvisionner régulièrement en produits sanguins labiles chez nous. Pour le moment elle est responsable de la distribution nominative des produits aux malades. Mais dès que l’antenne du CRTS sera fonctionnelle à l’hôpital, nous allons mettre sur pied le système d’hémovigilance avec la collaboration des services cliniques qui permet de suivre le sang depuis son prélèvement jusqu’à son administration à un patient.

Les autres formations sanitaires seront également sollicitées pour la mise en place d’un tel système en leur sein. Concernant le trafic, il est difficile pour nous de nier son existence parce qu’aujourd’hui les services de collecte font les frais de ces allégations. Beaucoup de personnes ne veulent pas donner leur sang parce qu’elles pensent qu’il sera vendu. C’est difficile pour nous d’avoir la preuve d’une telle pensée. Il faut savoir qu’il y a beaucoup de facteurs qui peuvent expliquer la situation. Les services cliniques ou les banques de sang sont directement en contact avec les parents en détresse donc prêts à tout.

Le deuxième élément est le caractère de denrée rare du sang et vu la nature humaine il peut avoir des spéculations autour. Nous devrons tous oeuvrer à ce qu’il y ait suffisamment de sang pour que la spéculation disparaisse. Il faudra aussi que les victimes de trafic de sang saisissent les autorités des structures hospitalières pour les en informer. Le gros problème est que vous trouverez difficilement une victime prête à donner des informations. Il faut retenir que pour le moment le sang est donné gratuitement aux formations sanitaires publiques comme privées.

Propos recueillis par Séni DABO

Votre Santé (Le Pays)

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