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Affaire Idrissa Seck : Tout ça pour rien !

Publié le jeudi 9 février 2006 à 03h57min

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Ainsi, Idrissa Seck aura donc passé sept mois en prison pour rien. Tombé en disgrâce, l’ancien Premier ministre sénégalais, celui-là même en qui tout le monde s’accordait à voir le dauphin de Wade, aura vu le monde s’effondrer autour lui depuis que son mentor politique a décidé de le lâcher, le rendant du coup vulnérable aux assauts de la justice de son pays.

Comme tout bon chef africain, Abdoulaye Wade n’aime pas et n’accepte pas qu’un quidam, surtout pas un poulain de son écurie, affiche aussi ouvertement son désir ardent de lui succéder à la tête de l’Etat.

Seck pourtant devait savoir qu’un homme qui a ferraillé des décennies durant pour acquérir le pouvoir ne s’en éloigne pas de si tôt. Surtout que dans le contexte démocratique, rien n’empêche l’homme du sopi de briguer un deuxième mandat.

Et c’est cette impertinence que le célèbre chauve a voulu sanctionner en faisant voir à son ex-protégé des vertes et des pas mûres. Comme c’est toujours le cas en Afrique, et pour faire un peu démocratique, la justice a été actionnée contre celui que le maître du pays de la Teranga avait juré de perdre.

La petite bête est tout trouvée : les chantiers de la ville de Thiès dont justement Seck est le bourgmestre. Accusé de dépassements budgétaires, Idrissa est rapidement écroué sans ménagement comme un vulgaire délinquant.

Comme si cela ne suffisait pas, pour lui asséner le coup de grâce, la justice annonce que l’ex-Premier ministre est poursuivi aussi pour atteinte à la sûreté de l’Etat.

Sale temps pour Seck et ses proches. Leurs avocats crient au complot et dénoncent la vacuité des dossiers contre ces prisonniers de luxe pour ne pas dire ces « prisonniers politiques ».

Aujourd’hui, l’évolution de ces dossiers leur donne raison : dans un premier temps, Idrissa Seck bénéficie d’un non-lieu dans l’affaire de l’atteinte à la sûreté de l’Etat.

C’est dire que les charges, s’il y en avait, étaient vraiment légères. Il n’y avait donc pas de quoi fouetter un chat. Depuis, on parlait de plus en plus de son éventuelle libération.

C’est ce qui a été fait lundi dernier en fin de soirée. Dans l’affaire des chantiers de Thiès, il s’en tire avec un non-lieu partiel. Un euphémisme pour ne pas dire que ce dossier est aussi vide.

C’est sans doute la preuve qu’à Thiès, les dépassements budgétaires n’ont peut-être été que de vrais dépassements, pas des détournements, contrairement à ce que les adversaires de l’ex-bras droit de Wade ont voulu nous faire croire.

Seck vient de marquer là un bon point susceptible de le mettre sur orbite dans la sphère politique sénégalaise. Wade aurait voulu lui donner un coup de pouce pour le repositionner qu’il ne s’y serait pas pris autrement.

En effet, de cette histoire, l’ancien Premier ministre sort grandi, et cela augmente le capital de confiance que ses compatriotes placent en lui. Aujourd’hui, il incarne la probité aux yeux de bon nombre de ses compatriotes.

Mais l’allure avec laquelle les deux faits reprochés au « petit » de l’homme du sopi se sont dégonflés comme des baudruches peut intriguer plus d’un.

On ne peut s’empêcher en effet de voir la main tripatouilleuse du pouvoir qui, se rendant compte soit de la vacuité des dossiers, soit de leurs effets boomerang à cause des révélations embarrassantes que Seck pourrait faire à la barre, a préféré mettre fin ainsi à une affaire qu’il n’était plus très sûr de maîtriser et qui pouvait éclabousser tout le monde.

Mais on peut aussi imaginer qu’Abdoulaye Wade a voulu se donner du répit au moment où il a fort à faire avec ses anciens alliés passé depuis dans l’opposition et qui lui donnent du fil à retordre.

Il y a aussi ce courant d’opposition interne à son parti, qui ne lui facilite pas la tâche. Sans oublier la crise casamançaise. Wade, qui ne veut être sur trop de fronts à la fois, n’avait pas intérêt à en ouvrir d’autres tout aussi chauds.

Cette mésaventure d’Idrissa Seck, si elle prend ainsi définitivement fin, pose une fois de plus et de façon criarde le problème de la crédibilité et de l’indépendance de la justice sous nos tristes tropiques.

L’acharnement et la promptitude dont elle a fait preuve sont symptomatiques d’une justice injuste, d’une justice aux ordres du pouvoir, qui s’en sert comme un épouvantail pour tenir en laisse ses opposants. Et en la matière, les exemples foisonnent en Afrique : Togo, Zimbabwe, Ouganda... et que savons-nous encore !

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Abdoulaye Wade est intelligent, lui qui a compris que c’est dans son intérêt de libérer Idrissa Seck.

Son ex-dauphin ayant de tout temps milité au PDS et connaissant du bout des doigts Wade et les quelques travers de sa gestion au sommet de l’Etat, il vaut mieux toujours l’avoir avec soi plutôt que contre soi, car comme le disait fort à propos Arba Diallo (1), "il vaut mieux l’avoir dedans, crachant dehors, que de l’avoir dehors, crachant dedans".

Et c’est tant mieux pour le Sénégal !

San Evariste Barro

Notes : (1) Ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina, présentement secrétaire exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement

San Evariste Barro
Observateur Paalga

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