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Campagne mondiale “Enfants et VIH/Sida” : L’UNICEF demande plus d’attention pour les tout-petits

Publié le lundi 14 novembre 2005 à 08h00min

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Joan French

Permettre d’offrir un traitement antirétroviral à 80% des enfants infectés par le VIH/Sida tout en leur assurant une prise en charge psychosociale d’ici à 2010, c’est l’un des objectifs visés par la campagne mondiale dont le lancement a eu lieu le 25 octobre 2005 au siège des Nations unies à New York.

Le thème de la campagne est »Unissons-nous pour les enfants contre le Sida ». Au plan national, le lancement de la campagne se fera le 1er décembre 2005 à Ouagadougou. C’est dans ce cadre que Sidwaya a rencontré celle que certains appellent affectueusement la « maman des enfants ». Joan French, représentante- résidente de l’UNICEF au Burkina, n’y est pas allée du dos de la cuillère pour stigmatiser l’attitude de ceux qui peuvent, mais ne font rien pour aider les enfants qui risquent hélas, de continuer à payer un lourd tribut à la pandémie du Sida.

Sidwaya : La communauté internationale est interpellée face aux menaces que le VIH/Sida fait planer sur la tête des enfants en général, des enfants africains en particulier. Quels sont, selon vous, les enjeux au plan africain et burkinabè par rapport à cette problématique ?

Joan French, représentante-résidente de l’UNICEF au Burkina (JF) : La campagne mettra l’accent sur le fait qu’après 20 ans de mobilisation au profit de la lutte contre le Sida, moins de 10% des enfants ayant besoin d’une aide publique la reçoivent effectivement.

Cela veut dire qu’il n’y a pas eu suffisamment d’attention pour le cas des enfants en ce qui concerne le VIH/Sida. La relation principale entre l’enfant et le Sida, c’est la transmission verticale du virus de la mère à l’enfant, toute chose qui préoccupe l’UNICEF et les autres agences du système des Nations unies dans le cadre de l’ONUSIDA.

Moins de 10% des femmes en grossesse ont un accès au dépistage, aux services les plus simples pour les aider à connaître leur statut sérologique et protéger leurs enfants du VIH/Sida. La campagne vise à montrer au monde que les enfants ont été jusque-là, laissés de côté.

S : Quel type d’actions l’UNICEF mène-t-il au Burkina pour préserver les enfants du Sida et quel type de partenariat avez-vous dans le cadre de ces actions ?

J.F. : Nous avons plusieurs actions avec le gouvernement et les partenaires au développement. Nous travaillons aussi avec le RAJS (Réseau africain des jeunes contre le Sida) et nous avons défini un programme d’appui avec d’autres ministères tel que le MEBA. Nous voulons mener des actions de sensibilisation à l’intérieur des écoles pour les élèves ; le travail avec les adolescents dans les Centres d’éducation de base non formelle (CEBNEF) ayant déjà commencé. Dans notre plan d’action pour la petite enfance, des activités de sensibilisation des parents sont également prévues. Nous participons à la sensibilisation des orphelins et enfants vulnérables (OEV).

D’autres actions permettent de prendre en charge les OEV. Mais au Burkina, le problème pour l’UNICEF est de n’avoir jamais reçu un appui suffisant des donateurs pour nous permettre de prendre en charge les enfants affectés et infectés par le VIH/Sida ou pour la prévention parmi la frange jeune de la population. C’est à ces jeunes que revient la lourde responsabilité de réduire le taux de séroprévalence d’une manière sensible.

S : Donc vous dites qu’il n’y a pas eu suffisamment d’appui pour soutenir les programmes de l’UNICEF en direction de la petite enfance ?

J.F. : Il faut être un peu prudent. L’UNICEF est aussi un partenaire au développement. Je préfère parler des donateurs qui peuvent nous aider à mieux faire, pour mieux soutenir le pays. Il est vrai que l’année passée avec l’ONUSIDA, nous avons fait un plaidoyer à l’endroit du Fonds global contre le Sida, la Banque mondiale. Il y a eu quelques avancées en ce qui concerne l’attention accrue à cette composante mais jusqu’à cette date, il n’y a eu aucune allocation claire des finances pour les enfants. Nous soutenons également les actions de la société civile qui, à travers les conférences et ateliers durant mes trois ans ici au Burkina, a crié fort pour un appui aux enfants. Il en est de même des organisations féminines et des veuves qui ont des programmes pour aider les orphelins mais elles n’ont ni les moyens ni la formation requise pour leur prise en charge. En dépit des efforts du gouvernement en général, du ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale en particulier, il y a toujours des orphelins qui n’ont pas pu intégrer l’école à cause de la faiblesse des ressources et leur statut même d’orphelins.

S : Quel type de partenariat avez-vous avec les associations ?

J.F. : Pour la PTME (Prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant), nous avons un programme avec des structures tels que le Centre médical Saint-Camille, le CMA (Centre médical avec antenne chirurgicale) du secteur 30 de Ouagadougou ou encore le Centre Muraz à Bobo-Dioulasso. Ces programmes encouragent le dépistage chez les femmes enceintes et essayent d’améliorer la prise en charge en cas de séropositivité. La prise en charge des enfants et des femmes séropositives est très faible compte tenu des ressources limitées, mais aussi d’autres éléments liés au manque d’attention.

Par exemple, jusqu’à présent, on attend un dosage correct pédiatrique d’ARV (antirétroviraux) pour les enfants. Cela veut dire qu’il n’y a pas une firme pharmaceutique qui produit des dosages pour les enfants même en Europe. Certaines ont commencé, mais c’est suite au plaidoyer de l’UNICEF et cela n’a pas donné de résultats permettant de prendre plus efficacement en charge les enfants.

Pour ce qui est de la PTME, une seule dose de médicament permet de rompre le cycle de la transmission de la mère à l’enfant. Mais en ce moment, nous n’avons même pas un appui conséquent pour cela. Le manque d’attention des donateurs en ce qui concerne la prise en charge pédiatrique est vraiment scandaleuse.

S : Quelles expériences du Burkina partager avec les autres pays ?

J.F. : En ce qui concerne la lutte contre le VIH/Sida mais aussi toutes les composantes du programme de l’UNICEF au Burkina, l’intégration d’une approche de communication pour le changement de comportement est essentielle. Ici, les habitudes culturelles ne nous amènent pas nécessairement à des pratiques appropriées pour la prévention ni la prise en charge.

Beaucoup d’adultes ne connaissent pas les voies de la transmission du VIH/Sida. Ils ont des idées qui ne sont pas toujours correctes. Parfois, lorsque les enfants sont malades, on dit que ce sont des sorcières. Il y a aussi une part d’irresponsabilité que l’on voit dans les rapports sexuels non protégés avec des partenaires multiples soit à l’intérieur d’un mariage polygame soit dans un mariage dit monogame, mais où généralement le mari, mais parfois aussi les femmes, sortent du couple pour avoir des rapports avec d’autres partenaires. Cela est dangereux. Il faut sensibiliser les populations et dire aux femmes enceintes de protéger leurs enfants et de se protéger elles-mêmes. Parfois les femmes se découragent et se cachent. Elles se disent que si elles avouent leur séropositivité, elles seront marginalisées. A ce niveau, il y a un travail à faire au niveau de la communauté pour l’acceptation de cette maladie comme toute autre maladie et ne pas en faire un motif de discrimination. Au-delà des organisations de la société civile, il faut une implication des Personnes vivant avec le VIH (PVVIH). L’UNICEF a des relations avec plusieurs associations regroupant des PVVIH, mais aussi avec les radios rurales, les groupes de théâtre et les groupements villageois.

Il est vrai que le PIC (Plan intégré de communication) marche très bien, côté jeunes parce que nous avons un réseau avec lequel nous travaillons bien et qui est soutenu par l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population) et d’autres partenaires. Mais nous ne travaillons pas suffisamment avec les moins jeunes, c’est-à-dire ceux qui ont entre 8 et 14 ans. Et aussi pas suffisamment avec les parents. Pour ces groupes de jeunes, nous avons la résistance de certains adultes pour qui ces enfants sont très jeunes. Pourtant le mariage où l’activité sexuelle intervient très tôt au Burkina.

Si on ne sensibilise pas les enfants très tôt, ça devient un problème. Il faut souligner qu’il y a des cas de viol, autour de mythes aussi qui prétendent que plus jeune est la femme, plus la possibilité d’éviter le Sida. Il y a des personnes infectées et mal intentionnées qui cherchent à avoir des rapports sexuels non protégés avec les enfants. Il faut prévenir tous ces dangers à travers la mobilisation sociale. Mais, même cette communication pour le changement de comportement souffre du manque de moyens pour aider les structures de communication, les radios rurales, les troupes théâtrales, les initiatives locales à bien mener leur travail etc. Pour ce qui est de la PTME, nous encourageons l’allaitement maternel parce que dans les pays où l’eau n’est pas toujours salubre, les enfants meurent beaucoup plus d’une mauvaise nutrition à travers les substituts du lait que de l’allaitement maternel.

Néanmoins, une mère ayant accès à un substitut de lait préparé dans des conditions hygiéniques irréprochables peut opter pour l’allaitement artificiel au lieu de risquer de transmettre le virus à son bébé à travers l’allaitement au sein. Certaines personnes nous demandent « Mais pourquoi faire vivre les enfants séropositifs s’ils vont mourir à la fin ? ». C’est une question assez cruelle, mais il faut une réponse. Des enfants infectés continuent de vivre aujourd’hui, au-delà de 15, voire 18 ans, mais ils sont nés séropositifs.

Nous avons l’espoir d’avoir un jour un traitement. Donc, on maintient les enfants en vie en attendant que cette évolution puisse arriver, pour leur permettre de profiter de cette découverte, de ce progrès.

S : Nous savons que vous êtes d’un naturel optimiste, l’êtes-vous toujours au regard de l’immensité de la tâche qui vous attend et des défis qui sont posés ?

J.F. : La campagne en elle-même constitue un élément d’espoir. Le 25 octobre 2005, le monde entier a été informé et interpellé par rapport à cette question. Il y a une mobilisation au niveau mondial avec le leadership de l’UNICEF et des autres agences des Nations unies, dans le cadre de l’ONUSIDA. Donc, j’ai beaucoup d’espoir. Parfois, les gens sont très peu informés. Il faut sensibiliser même les donateurs pour qu’ils puissent mieux aider les enfants à travers les pays. Au Burkina on a 300 000 nouveaux orphelins chaque année. Une bonne partie d’entre eux sont des orphelins du Sida. C’est un sérieux problème qui va jouer sur la capacité de développement du pays. Je vais souvent dans les zones rurales. Il y a deux thèmes qui reviennent à chaque fois que je suis dans un village. Les groupements de femmes me disent : « Mme, pouvez-vous nous aider à mieux prendre en charge les orphelins ? » ou encore « Est-ce que vous pouvez au moins assurer leur scolarité ? ». La question des frais de scolarité est cruciale ; le gouvernement a pris des dispositions pour supprimer les frais de scolarité pour les filles afin de soutenir les familles. Mais le pays doit quand même rembourser des manques à gagner aux associations des parents d’élèves qui utilisaient cet argent pour prendre en charge les frais liés au fonctionnement de l’école.

Notre élément d’espoir c’est qu’avec l’Initiative 3 by 5 (3 pour cinq) de l’OMS et des Nations unies, et avec l’évolution du Fonds global, les femmes et les enfants puissent avoir accès au traitement y compris par les ARV.

Le Conseil national de lutte contre le sida et les IST (CNLS/IST) est aussi notre espoir. Au Burkina c’est très spécial, qu’un conseil national de lutte contre le sida soit présidé par le président du Faso en personne, pas théoriquement. Il participe effectivement aux réunions, oriente et encourage les actions ; il pose aussi des questions de clarification, c’est-à-dire que c’est un président engagé et le CNLS/IST est de plus en plus renforcé pour les activités de coordination des activités. Nous, les agences des Nations unies donnons l’appui possible à ce renforcement.

Il y a déjà une orientation stratégique qui a été mise en place pour lutter plus efficacement contre le Sida. Nous attendons maintenant la mise en place d’un plan d’action qui bientôt sera défini pour assurer que tous les partenaires ont un cadre d’action permettant de cibler leur contribution.

Je voudrais voir dans ce plan beaucoup plus d’attention aux enfants et aux femmes, particulièrement celles enceintes. L’objectif c’est d’avoir la prise en charge d’au moins 80% des femmes ayant besoin d’une aide publique et 80% des enfants ayant besoin d’une aide publique. Aujourd’hui ils sont moins de 10%. Il faut beaucoup d’efforts pour nous aider à aider les enfants infectés et affectés.

Abdoulaye GANDEMA

Sidwaya

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