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Déficit céralier au Burkina : "Il n’y a pas d’état d’urgence alimentaire"

Publié le lundi 18 juillet 2005 à 00h00min

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La situation agricole continue de faire couler beaucoup d’encre. Tout le monde parle de déficit céréalier, de bilan agricole ou d’état d’urgence. S’il faut reconnaître que l’heure est à l’inquiétude pour certaines populations, on ne saurait occulter que tous ceux qui évoquent le sujet ne sont pas forcément ceux qui le maîtrisent le mieux.

C’est dans cette logique que nous avons rencontré Mahama Zoungrana, le Directeur général des prévisions et des statistiques agricoles. A la DGPSA, c’est une lecture de spécialiste de la question agricole qui nous a été faite à travers cet entretien.

"Le Pays" : Que faites-vous pour prévenir les risques de pénuries alimentaires à partir du système d’alerte précoce ?

Mahama Zoungrana (DGPSA) : D’abord, en quoi consiste le système d’alerte précoce ? Il s’agit d’un dispositif de production d’information qui permet de suivre pas à pas l’évolution de la situation alimentaire pour prévenir à temps les risques d’insécurité alimentaire qui pourraient survenir. Contrairement à ce que certains pensent, ce dispositif fonctionne en permanence et pas seulement pendant les périodes de difficultés alimentaires comme c’est le cas actuellement. Il suit la situation alimentaire à travers des analyses d’informations nationales et régionales mais aussi des constats effectués sur le terrain à travers plusieurs sorties où des discussions et des collectes d’informations quantitatives et qualitatives sont effectuées auprès des autorités administratives, techniques d’ONG et projets locaux. Certaines zones sont vulnérables par rapport à d’autres et de ce fait reçoivent fréquemment les visites des équipes du système d’alerte précoce, d’autres non. Le champ d’action du Système d’alerte précoce (SAP) c’est le suivi des phénomènes pouvant avoir des impacts négatifs sur la situation alimentaire des ménages, par exemple les attaques acridiennes, les poches de sécheresse, les inondations, etc. L’on s’intéresse également au niveau de remplissage des points d’eau et autres barrages pour voir si les cultures de contre saison (source de revenus importante pour certains ménages) ne sont pas menacées. Ainsi, les activités du SAP débutent dès le démarrage de la campagne agricole par des missions de suivi sur le terrain pour suivre le déroulement de la campagne agricole et voir si les pluies sont suffisantes partout, si les plantes ont un développement satisfaisant, s’il n’y a pas d’attaques acridiennes, s’il n’y a pas d’inondations graves dans certaines zones, etc. Au cours de ces sorties, des constats sont faits sur la situation alimentaire des ménages (régularité des repas quotidiens, disponibilité des stocks de céréales dans les ménages et les marchés, situation des animaux d’élevage, sources de revenus des ménages, etc.).
Les informations terrain des équipes sont croisées avec d’autres informations telles que les prix des céréales relevés par les systèmes d’information sur les marchés des céréales et du bétail, les informations produites par les services de la météo, les chiffres de production céréalière produits par l’enquête agricole, les bilans céréaliers provinciaux et national, etc.
Avec toutes ces informations collectées, il est alors possible d’identifier des zones ou des populations pouvant être sujettes à des risques alimentaires. Ces informations sont analysées et des recommandations sont faites aux autorités compétentes.
Là également, le rôle du SAP se limite à la production d’informations et recommandations utiles à la décision. Contrairement à ce que certains pensent, les décisions n’incombent pas au SAP mais à des niveaux adéquats, généralement le Conseil des Ministres. Il arrive également que des partenaires techniques et financiers et des ONG prennent des décisions, généralement pour appuyer le Gouvernement.

Comment se calcule le bilan céréalier au terme d’une campagne agricole ?

Le bilan céréalier est l’un des outils que nous utilisons pour suivre la situation alimentaire de notre pays. Apparemment, il me semble que c’est l’outil le plus populaire ne serait-ce que par les nombreuses sorties médiatiques ces derniers temps, abordant le thème. Malheureusement, nous constatons qu’il est mal utilisé.
Le bilan céréalier consiste simplement en la comparaison entre les disponibilités céréalières et les besoins céréaliers au cours de la période couvrant le 1er octobre de l’année courante et le 30 octobre de l’année suivante. Le bilan céréalier ne couvre pas tous les produits alimentaires produits ou consommés dans notre pays. C’est un outil léger permettant de se faire une idée sur la situation alimentaire. Au Burkina, les consommations alimentaires des populations sont composées à près de 90% par les céréales constituées de mil, sorgho, maïs, riz, fonio et blé. Ce qui fait que le bilan se concentre uniquement sur ces produits pour l’instant. Il y a cependant deux sortes de bilans, le bilan céréalier national et les bilans céréaliers provinciaux.
Comment on calcule le bilan céréalier national ? Presque de la même façon que dans la comptabilité d’une société. Ainsi, les postes du bilan comportent d’une part, les ressources ou disponibilités constituées de la production disponible, les importations et aides alimentaires et les stocks initiaux ; d’autre part, les emplois ou besoins constitués de la consommation humaine totale, les exportations et les stocks finaux.
Les données utilisées pour établir ce bilan proviennent de plusieurs sources ; ainsi, l’enquête permanente fournit les informations sur les disponibilités de la production nationale, c’est à dire les quantités de céréales produites, desquelles il faut déduire les pertes et les semences, car toute la production n’est pas destinée à la consommation. L’enquête permanente produit également les informations sur les stocks céréaliers détenus par les producteurs. Toutes les informations des autres postes du bilan céréalier sont fournies par des dispositifs d’autres structures et départements ministériels : c’est le cas par exemple pour les stocks céréaliers détenus par les institutions et organismes, les données sur les exportations et importations de céréales.
Avec ces informations qui doivent être collectées auprès de plusieurs structures tierces, vous pouvez imaginer les efforts de coordination que cela nécessite pour disposer des informations dans les délais en vue d’établir le bilan céréalier.
Une fois que ces informations sont disponibles, on compare les disponibilités céréalières et les besoins, ce qui donne un excédent ou un déficit céréalier selon que les disponibilités sont supérieures ou inférieures aux besoins des populations.
Pour le calcul des bilans céréaliers provinciaux, l’on se contente de faire la comparaison entre les disponibilités issues de la production intrinsèque à chaque province avec les besoins de consommation humaine relative à la population résidente de la province. Dans notre jargon, nous l’appelons taux de couverture des besoins céréaliers par la production dans la mesure où il y a peu d’informations fiables sur les flux de céréales entre les différentes provinces. Ces bilans provinciaux permettent de classer les provinces qui sont excédentaires, en équilibre ou déficitaires.

Les statistiques produites sont-elles validées ? Si oui par qui ?

Il faut souligner que le dispositif statistique agricole du Burkina fonctionne exactement comme les autres dispositifs de l’espace du CILSS. D’ailleurs, ces dispositifs ont été construits de la même façon dans les années 80. Ils ont évolué à la lumière des expériences acquises au fil des années et actuellement, ils arrivent à produire des informations pertinentes en fonction des réalités des pays respectifs. En ce qui concerne la validation des données produites, elle se fait de la façon suivante dans notre pays :
A l’issue du traitement de l’ensemble des fiches centralisées, en interne, plusieurs analyses sont faites sur la cohérence des chiffres à l’aide de logiciels informatiques adéquats. Ainsi, en cas d’erreur effective, des redressements sont opérés soit en vérifiant dans la chaîne de saisie soit en revoyant les mesures opérées par nos équipes sur le terrain.
Après ces tests de cohérence, des rencontres de validation sont organisées et regroupent les Directions régionales de l’agricultures et les structures faîtières des producteurs. Au cours de ces rencontres, les résultats sont présentés et discutés pour s’assurer de leur cohérence avec la réalité dans les provinces.
Une autre rencontre est organisée avec les Directions centrales des ministères impliqués dans le suivi de la campagne agricole, les partenaires techniques et financiers avec les mêmes objectifs que précédemment.
Une validation des chiffres produits est également assurée par une mission circulaire conjointe d’évaluation des campagnes agricoles dans l’espace CILSS. Cette mission est composée d’experts du CILSS (centre Agrhymet), de la FAO, de l’ONG FewsNet et parfois du PAM. Par exemple cette année, à cause de l’invasion acridienne, le PAM a intégré l’équipe d’experts pour cerner les aspects liés à l’impact de ce fléau. Outre l’examen minutieux de la méthodologie et des chiffres produits par l’enquête, cette mission effectue des visites sur le terrain pour vérifier la cohérence des informations produites.
Enfin, une validation régionale des chiffres produits au niveau des pays est faite lors d’une rencontre des responsables nationaux des statistiques des 9 pays du CILSS, les experts du CILSS et les partenaires techniques et financiers. Cette rencontre est organisée par le CILSS et offre l’occasion d’évaluer la production agricole et alimentaire des pays du CILSS et d’envisager les mesures à prendre si la situation alimentaire pose problème. Des recommandations sont faites aux pays mais aussi aux partenaires techniques et financiers.
C’est dire que le dispositif statistique agricole du Burkina est inséré dans un ensemble régional avec des exigences en terme de normes, de méthodologie et de processus. Notre dispositif doit veiller à respecter ces exigences pour garder toujours sa crédibilité. Parlant de crédibilité, je puis vous assurer que le dispositif statistique burkinabè n’a pas à rougir par rapport à ceux d’autres pays, en terme non seulement de fiabilité des informations produites mais aussi en terme de régularité dans la production de ces données. Nous connaissons des pays qui n’arrivent même pas à conduire annuellement les enquêtes agricoles.

Finalement, à quoi servent les statistiques agricoles et quels en sont les principaux utilisateurs ?

Les informations produites par les enquêtes agricoles sont utilisées essentiellement pour le suivi des politiques et programmes du secteur agricole. Ensuite les statistiques agricoles sont utilisées pour l’élaboration des comptes économiques de la nation et la planification macroéconomique. Les données que nous produisons sont aussi utilisées pour le suivi de la situation alimentaire du pays à l’aide des instruments que sont les bilans céréaliers nationaux et provinciaux. Enfin, les statistiques agricoles sont utilisées pour le suivi des indicateurs de la stratégie de réduction de la pauvreté ;
Les principaux usagers des statistiques agricoles sont essentiellement l’administration, c’est dire le dispositif de sécurité alimentaire, les structures chargées de la planification macroéconomique, etc., les organismes internationaux, les instituts de recherche et les universités, les projets et ONG.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la conduite d’une enquête qui touche autant de villages et mobilise autant de personnels chaque année ?

Pour conduire des opérations de ce genre, les difficultés ne manquent pas :
D’abord il y a les difficultés de mobilisation des ressources pour conduire les enquêtes. Comme vous pouvez le constater, les enquêtes mobilisent beaucoup de ressources humaines, logistiques et financières ; ce n’est pas toujours facile de mobiliser ces ressources. En plus, les gens ne s’imaginent pas le coût d’une enquête. Certains pensent qu’on peut produire ces chiffres à partir du bureau. Ils doivent savoir que pour publier un chiffre nos services doivent mobiliser une logistique comprenant enquêteurs, fiches d’enquêtes, cordes, boussoles et pesons, etc. Peut-être qu’un jour, les innovations technologiques nous proposeront d’autres méthodes éprouvées et moins coûteuses.
Il y a aussi que les statistiques constituent un domaine immatériel. Ce sont des chiffres et pas des choses palpables ; et les gens ne manquent pas d’ironiser en disant souvent « on ne mange pas les chiffres » ! . Ces genres de perceptions sont déplorables, mais nous comprenons que dans un pays où tout est prioritaire, le financement de la production de chiffres n’apparaisse pas en première de priorités. Cependant, devant la nécessité et l’obligation de suivre les impacts de nos politiques et programmes, les statistiques deviennent incontournables. En plus, les gens doivent aussi savoir que même pour chercher à manger, il faut manipuler des chiffres fiables.
Ensuite, il y a les difficultés liées au système de panel que constituent les ménages échantillons. Il faut savoir que nous avons un échantillon de 4 500 ménages que nous appelons panel ; ces ménages sont les mêmes enquêtés pendant une période de 3 à 5 ans où ils sont représentatifs des typologies de notre agriculture. Malheureusement, à force de recevoir régulièrement nos enquêteurs, ils finissent par s’agacer. C’est ainsi que des incompréhensions naissent entre enquêteurs et enquêtés, les uns trouvant que les autres les dérangent inutilement.
Nous demandons aux communicateurs que vous êtes, de nous aider à sensibiliser ces ménages concernés et aussi le public sur les enjeux de ces enquêtes pour notre pays et pour eux-mêmes.

L’opinion ne comprend pas pourquoi il y a pénurie alimentaire au Burkina malgré l’excédent céréalier de la campagne 2004-2005 !

En effet, comme nous l’avions publié auparavant, et largement repris dans la presse, la production nationale de céréales en 2004-2005 évaluée par l’enquête permanente agricole telle que je viens de le décrire est de 2 901 973 tonnes. Cette production comparée à celle de l’année écoulée est en baisse de 19% ; comparée à la moyenne des 5 dernières années, elle est en baisse de 2% donc pratiquement similaire. Tenant compte des autres agrégats, dont je parlais tantôt, il se dégage un bilan céréalier national excédentaire de 435 013 tonnes avec une forte proportion des stocks de l’année précédente (plus de 270 000 tonnes).
Je confirme qu’il se dégage un excédent céréalier, contrairement à certaines sorties médiatiques parlant de déficit céréalier au Burkina Faso. De toutes les façons, en cas de situation déficitaire, le même processus d’évaluation décrit tantôt le constate sans problème.
Maintenant pour revenir à la pénurie alimentaire dont vous parlez, je profite de votre micro pour dire que l’excédent céréalier seul n’explique pas la situation alimentaire d’un pays. En effet, la situation alimentaire d’un pays est cernée à travers au moins 3 facteurs qui sont la disponibilité, l’accessibilité et la stabilité de l’offre alimentaire.
Pour être plus explicite, je vous dirai que la disponibilité a trait à l’ensemble des ressources alimentaires disponibles au plan national, régional, local, du ménage ou individuel. Elle tient compte non seulement de la production, mais aussi des importations pour une période de référence donnée. Cette notion fait donc référence à l’offre alimentaire qui peut être suffisante ou insuffisante par rapport aux besoins ou à la demande.
Quant à l’accessibilité, c’est l’ensemble des voies de recours des ménages et des individus pour entrer en possession des produits alimentaires nécessaires. Ces voies sont généralement le prélèvement sur les stocks des ménages, l’achat, l’échange ou l’emprunt. Telle que définie, l’accessibilité fait appel à des notions comme la capacité physique ou financière de se procurer les produits alimentaires. Elle fait référence donc au pouvoir d’achat, au marché et au fonctionnement du système de commercialisation et de distribution des produits.
Pour ce qui concerne la stabilité de l’offre alimentaire, il s’agit beaucoup plus de la durabilité de cette offre. Cette stabilité ne peut être assurée que par des productions suffisantes et continues et des systèmes commerciaux performants. Si les productions alimentaires varient d’une année à l’autre en dents de scie et que les systèmes commerciaux sont médiocres, par exemple une forte spéculation, l’inaccessibilité de certains marchés, etc., alors, l’offre alimentaire devient instable et l’on assiste à des difficultés.

Vous voyez que c’est seulement lorsque sont respectés tous les éléments définis ci-dessus, qu’on peut affirmer l’existence de la sécurité alimentaire dans un pays. A l’inverse, quand l’un d’eux n’est pas rempli au point d’affecter la situation alimentaire d’une communauté, d’un ménage ou d’un individu, on parle d’insécurité alimentaire.
Pour revenir à la situation actuelle dans notre pays que peut-on dire ? La campagne agricole a enregistré les résultats mitigés qu’on connaît à savoir la baisse de production de 19% sur tout le territoire national et plus de 70% dans plusieurs provinces du Nord et du Sahel. Si la situation nationale est excédentaire, il y a que la situation est déficitaire dans 16 provinces avec des niveaux de déficits plus criards dans les provinces du Sahel et du Nord où à cause de l’attaque acridienne, environ 24 000 ménages n’ont pratiquement rien récolté soit près de 300 000 personnes concernées.
Il y a eu également des baisses importantes de production céréalière dans les pays voisins comme le Mali et le Niger. Dans les 9 pays de l’espace CILSS, le Burkina, le Mali et Niger sont les « greniers céréaliers » si je peux m’exprimer ainsi. Donc une chute importante de production dans ces pays engendre un manque à gagner important pour tout l’espace CILSS. Sachez que la production totale de l’ensemble des pays du CILSS a chuté de 19%.
Il faut ajouter que dans les provinces nordiques du Burkina, la situation du bétail, principale source de revenus des ménages n’a pas été reluisante à cause du manque de pâturage et d’eau. Donc, les ménages ont dû brader leur cheptel pour acheter des céréales et aussi pour éviter de les perdre par mortalité ; cette situation accroît évidemment la demande de céréales, ce qui induit des hausses de prix.
Face à cette réalité, certains acteurs céréaliers adoptent des comportements spéculatifs en se disant qu˛7 # Ä
Donc vous voyez que le seul bilan céréalier ne permet pas d’expliquer la situation alimentaire, il y a tout un ensemble de phénomènes croisés qu’il faut considérer.

La situation actuelle est marquée par une hausse des prix des céréales sur le marché. Y a t-il un système de suivi des prix et comment fonctionne-t-il ?

Bien sûr qu’il existe au niveau du Burkina Faso, un système de suivi des marchés céréaliers. Il est communément appelé SIM céréales et est géré par la Société nationale de gestion des stocks de sécurité (SONAGESS).
Il faut savoir que le SIMc a été mis en place depuis les années 1990 et il prend en compte, outre les céréales sèches, d’autres produits alimentaires comme le niébé, le vouandzou, l’igname, la patate douce, l’arachide et le sésame. Le dispositif comporte actuellement 48 marchés de référence répartis sur toute l’étendue du territoire.
Ces marchés sont regroupés en marchés de collecte, marchés de détails et marchés de gros et demi-gros. Les informations produites sont publiées dans des bulletins hebdomadaires mais aussi mises à la disposition du grand public sur les antennes de la radio nationale en 16 langues nationales et en français.

Etes-vous en mesure nous dire si les prix vont continuer à monter ou vont plutôt baisser les jours à venir ?

Vu que la campagne agricole commence à bien s’installer ces derniers jours, j’espère que les prix vont baisser. Surtout en l’absence de menaces acridiennes imminentes comme le prédisent les informations régionales et internationales, on peut s’attendre à ce que les prix baissent. En outre, de nouveaux produits (maïs frais) sont déjà disponibles dans plusieurs zones du pays (on le voit déjà dans les rues de Ouaga par exemple). En plus, la verdure due aux pluies renferme également de nombreux végétaux qui interviennent dans l’alimentation des populations. Tout ceci renforce l’offre alimentaire et par conséquent les prix devraient baisser.

Les stocks de sécurité sont sensés réguler la pénurie de vivres, malheureusement ce n’est pas le cas. Comment ces stocks sont constitués et gérés ?

C’est vrai, il existe un stock de sécurité alimentaire géré par la SONAGESS. Il faut savoir que le niveau conventionnel de ce stock est fixé à 35 000 tonnes. La gestion de ce stock de sécurité obéit à des règles bien précises surveillées par un dispositif à gestion paritaire comprenant les partenaires techniques et financiers et l’administration. Actuellement, le stock national de sécurité est à 100% financé par les partenaires au développement.
Ce stock national de sécurité peut être mobilisé si et seulement si le bilan céréalier national est déficitaire de 5% et si une déclaration de sinistre est faite par le Gouvernement qui fait appel aux partenaires financiers.
Il existe également un stock financier constitué en totalité sur financement extérieur et géré également dans les mêmes conditions que le stock physique de sécurité alimentaire.
Comme vous le voyez, la mobilisation de ce stock de sécurité n’a pas la flexibilité nécessaire pour des interventions en situation excédentaire. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont amené le Gouvernement et les partenaires au développement à adopter de nouvelles dispositions contenues dans un document appelé « cadre général de coopération état partenaire en matière de sécurité alimentaire ». Ces dispositions ont permis au Gouvernement de disposer d’un stock d’intervention également géré par la SONAGESS, et qui permet au Gouvernement d’intervenir en cas de crises alimentaires localisées. Par exemple, cette année, les premières interventions du Gouvernement pour soulager les populations l’ont été à partie du stock d’intervention. Malheureusement, ce stock en raison de sa nouveauté n’avait pas un volume important.

Que peut-on attendre des nouvelles missions assignées à la SONAGESS, en cas de pénuries alimentaires ?

Je pense que le Gouvernement a vu juste en revoyant les missions de cette société. En effet, bâtie sur les cendres de l’OFNACER, les missions de cette société étaient limitées à la gestion du SNS (Stock national de sécurité, ndlr), dont la gestion obéit aux règles que je venais de décrire, c’est-à-dire un bilan céréalier national déficitaire, suivi d’une déclaration de sinistre.
Cependant, depuis plusieurs années, le Burkina enregistre des excédents céréaliers en raison de l’impact des politiques et programmes en direction du monde rural. Ce faisant, les situations de déficit céréalier de 5% et plus deviennent rares, et je pense même que le Burkina est en train de s’éloigner des spectres des déficits céréaliers. Avec cette tendance, le SNS ne sera jamais mobilisé avec les conditions que je viens d’expliquer, alors que tout le monde sait que ces situations excédentaires nationales cachent des déficits localisés que malheureusement, le dysfonctionnement actuel des marchés vivriers ne peut pas résoudre. D’où la décision sage du Gouvernement en conseil des ministres du 22 juin 2005 d’autoriser la SONAGESS à procéder à des ventes ciblées dans les zones en difficultés alimentaires, justement là où le marché libre se trouve dans l’incapacité de soulager les difficultés des populations. Cà, c’est en situation de déficits localisés.
En période d’excédents céréaliers comme c’était le cas en 2003, et où les producteurs étaient obligés de brader leurs productions au risque de les perdre totalement, la SONAGESS fera des achats pour stocker, ce qui aura l’avantage de maintenir les prix à un niveau acceptable pour le producteur. Ces stocks seront gardés et déployés en période de pénuries localisées.
Certains contempteurs affirment sans sourciller qu’on réédite l’OFNACER. Que non ! Parce la SONAGESS contrairement à la défunte OFNACER fait partie d’un dispositif de sécurité alimentaire ; elle n’est pas là pour faire uniquement du commerce.

Qu’est-ce qui a été fait depuis le début de la hausse vertigineuse des prix, pour la juguler ?

Pour faire face à la hausse vertigineuse des prix, le Gouvernement a entrepris depuis novembre 2005, des mesures visant à rendre disponibles, les vivres sur les marchés des zones à risque, mais aussi à satisfaire les besoins en semences au cours de la prochaine saison hivernale. Ainsi de novembre à nos jours, plus de 14 623 tonnes de vivres ont été déployées pour les populations des zones déficitaires et seront soit vendues à prix social, soit distribuées gratuitement aux personnes les plus démunies. En outre, 500 tonnes de semences améliorées ont été remises aux responsables des chambres Régionales d’Agriculture pour faire face aux pénuries de semences ;
A la suite des interventions du Gouvernement, quelques partenaires et un opérateur économique ont apporté leurs contributions pour juguler la crise alimentaire. Ainsi, un peu plus de 30 000 tonnes de vivres ont été mises à la disposition des zones par le Gouvernement et ses partenaires.
A l’heure actuelle, formellement, le stock national de sécurité n’a pas été mobilisé vu les conditions que je viens de décrire, mais le volume de céréales qui a été déployé pour les populations dépasse le volume mobilisable dans le cadre du SNS, qui je dois l’ajouter ne doit pas descendre en dessous du 1/3 de son volume conventionnel.
Toutes ces interventions ont pour effet d’accroître les disponibilités des vivres sur les marchés des zones déficitaires et de stabiliser quelque peu la tendance haussière des prix. Malgré cela, les commerçants ont maintenu les prix élevés dans certaines zones. Maintenant, avec l’installation satisfaisante de la campagne en cours, certains commerçants ont déjà commencé à déverser des stocks dans les marchés. Cela devrait contribuer à baisser les prix.

La situation actuelle au Burkina Faso nécessite- t-elle que l’on déclare l’état d’urgence alimentaire ? Sinon pourquoi ?

La déclaration de l’Etat d’urgence alimentaire, pour emprunter votre terme, dans un pays obéit à des règles précises comme je viens de le décrire pour être crédible aux yeux de la communauté internationale.
Vous savez, l’évolution de la situation alimentaire dans notre pays est suivie pas à pas par les différents dispositifs en collaboration avec l’ensemble des donateurs potentiels en cas d’état d’urgence alimentaire. D’ailleurs, nous venons de rentrer d’une mission conjointe de terrain avec une vingtaine de partenaires composés des PTF, d’ONG, de services gouvernementaux et de projets. Cette mission a confirmé la situation préoccupante dans certaines provinces surtout du Nord et du Sahel nécessitant encore des interventions. Sur la base des constats de ces missions, certains partenaires s’apprêtent à faire des interventions dans les zones les plus touchées. Ce qui veut dire que malgré les difficultés alimentaires réelles dans certaines provinces, nous ne sommes pas dans une situation nécessitant la déclaration d’un état d’urgence alimentaire au Burkina Faso.

L’insécurité alimentaire semble devenir une réalité permanente dans notre pays. Comment se manifeste t-elle et qui touche-t-elle ?

L’insécurité alimentaire dans notre pays revêt deux facettes. Il s’agit d’une part de l’insécurité alimentaire conjoncturelle qui est causée par des facteurs contribuant à diminuer de façon temporelle l’offre alimentaire : mauvaise pluviométrie, attaques parasitaires, inondations, etc. Dans un pays sahélien comme le nôtre, cette forme d’insécurité alimentaire est quasi permanente. Tant que notre agriculture dépendra des aléas pluviométriques, ce sera toujours ainsi. C’est pourquoi, il faut travailler à une meilleure maîtrise de l’eau (ouvrages de captage des eaux pour l’irrigation, renforcement des pluies provoquées, etc.), l’objectif étant d’accroître les disponibilités hydriques et surtout leur stabilité permettant d’organiser convenablement l’activité agricole.
L’insécurité alimentaire structurelle quant à elle trouve sa source dans l’insuffisance de revenus de certaines personnes. Elle est liée au phénomène de pauvreté et concerne des catégories de personnes bien précises. Au Burkina, on dénombre environ 1 100 000 personnes en insécurité alimentaire chronique, composées de personnes âgées, de veuves, d’orphelins, de personnes handicapées, etc. Cette frange de la population se trouve bon an mal an dans l’impossibilité d’assurer convenablement ses besoins alimentaires. La solution à ce problème fait appel à des actions de long terme s’inscrivant dans la réduction globale de la pauvreté dans notre pays.

ENCADRE

Inquiétudes d’un directeur général

Méconnue ou peu connue, la Direction générale des prévisions et des statistiques agricoles est pourtant l’un des se services qu’on peut qualifier de cheville ouvrière du ministère de l’Agriculture, de l’hydraulique et des ressources animales (MAHRH). La DGPSA, située en face de l’hôtel Indépendance, par le biais d’outils scientifiques, d’observations pointilleuses et d’analyses rigoureuses contrôle les campagnes agricoles qui se suivent au Burkina et sont loin de se ressembler. La structure mène ses activités à travers deux fonctions essentielles. Dans un premier temps, on distingue une fonction de production des statistiques agricoles et où se réalisent toutes les enquêtes agricoles et où sont centralisées les statistiques provenant des structures déconcentrées du MAHRH à travers une banque de données. D’autre part, l’institution régule la vie agricole au Burkina, en assurant le suivi et l’évaluation de la situation alimentaire du pays pour faire des recommandations aux décideurs tout en coordonnant le dispositif d’information et d’identification des crises alimentaires.
Au Burkina, les enquêtes permanentes et ad hoc, qui constituent, avec les statistiques administratives et le recensement général de l’agriculture, l’une des 4 sources des statistiques agricoles, sont très coûteuses. Elles comportent un ensemble de logistiques et de moyens humains et matériels dont la mise en branle requiert énormément de ressources financières. Lesdites enquêtes concernent de façon générale les cultures vivrières (mil, maïs, sorgho, riz, fonio) ; les cultures de rente (coton, arachide, niébé, sésame, soja) ; les autres cultures (ignames, patates, vouandzou, niébé) et les produits maraîchers (pomme de terre, carotte, oignons, aubergine, chou, laitues, piments, etc). Chaque année, ce sont environ 4500 ménages échantillons qui répondent aux questions de près d’un millier d’enquêteurs. Et la DGPSA n’a toujours pas les moyens de sa politique, ce qui représente un danger pratiquement pour un pays comme le Burkina dont les populations vivent essentiellement de l’agriculture.

Propos recueillis par Morin YAMONGBE

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