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Bruno Sanou : « Non, les Bobo n’attrapent pas la pluie »

Publié le jeudi 9 juin 2005 à 07h56min

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S’il y a un sujet à polémique à Bobo-Dioulasso, c’est bien ce pouvoir qu’on attribue aux responsables coutumiers bobo mandarè, de dompter la nature et d’empêcher la pluie de tomber durant la période des grandes funérailles. Combien de fois avons-nous entendu dire que les Bobo ont "attrapé" la pluie après que de gros nuages noirs eurent envahi le ciel sans que, par la suite, les vannes du ciel s’ouvrent pour déverser le liquide précieux.

Il ne s’agit en fait que de simples préjugés même si l’on reconnaît aux Bobo mandarè certaines pratiques ancestrales qui leur permettent souvent de forcer le destin et d’agir pour le bien-être de la communauté. C’est du moins ce que nous a confié Doti Bruno Sanou, historien et coordonnateur du Centre africain de recherche pour une pratique culturelle du développement (C.A.D), et pour qui, les Bobo « n’attrapent » pas la pluie, dont ils ont besoin pour vivre comme toutes les autres communautés.

La communauté bobo mandarè procède chaque année à des pratiques coutumières qui s’étalent sur plusieurs semaines. Que représentent pour elle ces différentes cérémonies ?

Dans la communauté bobo mandarè, il y a quelques rites et faits qui jalonnent la vie de la communauté. L’annonce de la saison sèche par exemple se fait à travers des rites. Il y a aussi la fête de fin des récoltes qu’on appelle "Worobigé" en bobo et "Dabadjigui" en jula, où la communauté bobo revient du champ avec les mémoires des vieux qui sont décidés au cours de l’année ou l’année précédente.

C’est une procession qui vient de la brousse, où on procède au battage du mil pour signifier que les vieux qui sont morts étaient des paysans dans l’âme. Cette fête qui rend gloire aux vieux annonce aussi la vie pendant la saison sèche au village. -Ensuite, vous avez d’autres cérémonies telles que le « Kirémakan » ou la fête du village. Elle se déroule avant ou après les grandes funérailles selon les villages.

Il y a ensuite la fête du Do qui est le grand esprit et également les grandes funérailles commémoratives pour rendre hommage aux vieux qui ont été initiés et qui sont décédés après avoir accompli leur devoir pour la bonne marche de la conununauté. Des différentes cérémonies, on pourrait également citer l’entrée du symbole de Do dans la maison et qui met fin à la vie dans la cité.

Cela veut dire que les travaux champêtres vont reprendre et que tout Ie monde se prépare à rejoindre la brousse. Mais avant le départ, chaque famille est tenue de faire des offrandes sur l’autel des ancêtres pour implorer une bonne récolte. C’est dire donc qu’il y a toute une série de manifestations qui jalonnent la vie communautaire et chacun participe à ces différents rites en tant que fils de la communauté.

On remarque que ces cérémonies ne se déroulent pas toutes au même moment dans les différents villages. Y a-t-il alors des particularités entre les différentes localités comme Dioulassoba, Kuinima, Tounouma, Logofourouso, etc. ?

Chaque village a en effet sa particularité par rapport à l’organisation de certaines cérémonies et notamment, celles annonçant le début de la saison agricole. Par exemple à Sya (Dioulassoba), il n’y a pas de manifestations grandioses comme cela se faisait dans le temps avec les mariages collectifs qui symbolisaient Ie début de l’hivernage après les funérailles.

Mais les rites aux autels ancestraux se font normalement et ailleurs aussi ; notamment dans la zone « Vore », sur Ies rives du Kou, il y a le « Sakaro » qui précède le début de la saison agricole et qui se déroule en pompes. C’est pour vous dire alors que chaque village a sa particularité.

Est-ce que selon vous, certaines pratiques culturelles arrivent toujours à garder leur authenticité dans ce monde en pleine évolution ?

Il y a en effet des éléments qui gardent leur authenticité parce que ce sont des pratiques qui évoluent et qui ne sont pas statiques. Et là, il faut savoir faire la différence entre ce qui est authentique et ce qui est originel. Ce sont des coutumes qui ont des siècles, voire des millénaires de vie et qui sont renouvelées compte tenu du fait que l’être humain est par essence un être religieux.

Evidemment, notre civilisation actuelle fait qu’on est plutôt accroché au matériel qu’au spirituel. Mais sachant que l’être humain est d’abord spirituel, le matériel n’est que secondaire. Tous les villages en Afrique et même dans d’autres continents se réfèrent d’abord au spirituel ; et c’est le spirituel qui donne un sens à la vie en communauté.

C’est bien alors que ces pratiques rituelles continuent à rappeler aux communautés qu’elles sont d’abord des êtres spirituels et que la vie ici-bas ne dure qu’un moment. Après cette vie terrestre, il y a cette vie de l’au-delà, que la communauté rappelle à tout bout de champ à travers ces pratiques coutumières.

Faut-il croire qu’avec ce phénomène d’urbanisation, certaines pratiques aient été dénaturées dans des quartiers traditionnels qui sont aujourd’hui gagnés par le modernisme ?

Il y a pour toutes ces cérémonies un aspect spectaculaire que tout le monde vit. Je veux parler par exemple de la danse des masques qui attire du monde d’ici et d’ailleurs. Ça c’est l’aspect ludique que nous voyons. Mais il y a le plus important, c’est-à-dire tout ce qui se passe en dessous avec les vieux et qui n’est pas vu par tous. Ces pratiques demeurent toujours intactes. D’ailleurs, les masques ne peuvent pas sortir sans qu’on ait au préalable accompli certains rites, que le commun des mortels ne voit pas. Et ça, c’est la culture qui s’exprime.

Pour le bon déroulement de certaines cérémonies, on dit souvent que les Bobo « attrapent » la pluie. Quel est votre commentaire à ce sujet ?

Les historiens ont fait une recherche au niveau des pays du Sahel et il est ressorti que pratiquement depuis le moyen-âge, il y a une période de sécheresse tous les 10 ou 13 ans. Je crois que nous sommes actuellement dans cette période et c’est normal que chacun s’inquiète. Je viens de Bamako et j’ai constaté qu’au Mali il ne pleut toujours pas.

On ne dira pas que ce sont les Bobo qui empêchent la pluie de tomber là- bas. Je pense que cette affaire de pluie est une question de période et il faut tenir compte de cette évolution. Mais ce qu’il ne faut pas ignorer est que les Bobo, tout comme la plupart des autres ethnies au Burkina, ont des pratiques en rapport avec la pluie.

Chez les Bobo, il y a des familles qui sont responsables de l’orage et quand il ne pleut pas, ces familles sont consultées afin qu’elles mettent tout en œuvre pour faire tomber la pluie. Je sais par exemple qu’à Sagassiamaso où j’ai passé mon enfance, lorsqu’il ne pleuvait pas, une famille se chargeait d’aller chercher une sorte de plante qu’on malaxait pour attirer la pluie.

L’autre façon de faire tomber la pluie consistait aussi à mettre le feu sous la marmite, la tourner ensuite pour faire monter la vapeur ; et au même moment, les nuages montent pour provoquer la pluie. Ce sont là des pratiques en relation avec l’être supérieur.

Aujourd’hui, nous n’avons plus cette capacité, en tant que citoyen du 21e siècle, d’entrer en rapport avec ces puissances supérieures. C’est pour dire qu’il y a des gens qui peuvent se mettre en rapport avec l’être supérieur et solliciter la pluie. Mais dire que les Bobo "attapent" la pluie, non ; je ne pense pas que cela est vrai. Bien au contraire, ils ont plutôt besoin de la pluie.

Comment expliquer alors ces échecs répétés de ces pluies à Bobo avec ces nuages qui s’amoncèlent et qui finissent par être dissipés par des vents violents, au grand dam de la population ?

La ville de Bobo connaît aujourd’hui une évolution sur le plan de l’environnement. Il y a de cela 10, 15 ou 20 ans, Bobo était ceinturée par des collines qui étaient toutes vertes et c’était normal que la ville reçoive le maximum de pluie. C’était la région la plus humide du pays. Mais allez aujourd’hui aux alentours de Bobo.

Toutes les collines sont déboisée. Allez sur les collines de Pala, de Banakélédaga ou de Nasso et vous constaterez que tout est déboisé. Je dirais même qu’elles sont actuellement décapées pour des raisons d’urbanisation. Donc ne soyez pas étonné que Bobo n’ait plus de pluie comme par le passé.

Les nuages traversent de nos jours la ville de Sya alors qu’à l’époque ils étaient retenus par ces collines et l’eau se déversait sur la ville. Ce n’est plus le cas de nos jours et je crois plutôt que nous devons même nous interroger sur nos besoins en matière d’urbanisation.

Remarquez aussi que dans le temps, Bobo avait le climat le plus doux. Mais de nos jours, la ville atteint par moments 40°. Il faut donc revoir beaucoup de choses. Non seulement reboiser, mais aussi remplacer ces arbres vieillissants.

Jonas Appolinaire
L’Observateur

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