LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Rood Woko : Le calvaire des petits commerçants

Publié le mardi 12 octobre 2004 à 07h18min

PARTAGER :                          

Fermé depuis mais 2003, le marché Rood-Woko n’en finit pas moins d’attirer les Ouagavillois, qu’ils soient vendeurs ou acheteurs. Si pour les premiers, le marché central et ses alentours offrent des opportunités d’affaires plus que n’importe quel autre endroit de la capitale, pour les seconds, c’est le lieu où l’offre en diverses marchandises est la plus importante.

Ajouter à cela le fait que plus d’un commerçant de Bobo-Dioulasso, Koudougou et autres villes continuent de se ravitailler à Ouagadougou et Rood-Woko devient irrésistible.

Pour ceux à l’instar de cette enseignante, Mme Fatoumata Ouédraogo, qui sont à la recherche de manuels scolaires, l’endroit indiqué semble encore Rood-Woko. « Ici, je trouve tout ce que je veux et les prix sont plus abordables. Aujourd’hui, je vais acheter des sacs pour mes deux enfants », dit-elle.

La façade Est du marché est la plus bruyante. Dans un assourdissant vacarme où se mêlent bruits d’engins, coups de klaxons et jurons, les clients se frayent difficilement un passage, assaillis de toutes parts par les vendeurs à la criée. « Moi je vous donne tous ces cahiers pour 1250 (FCFA) », lance un jeune, tenant un lot de 10 cahiers de 100 pages. « Monsieur, venez voir les gourdes ici », crie un autre. Arrive alors un troisième larron, le garçon du parking. Lui ne se fait même pas prier avant de saisir le guidon de votre engin et de l’autre main, vous tend un ticket. Et attention aux pickpockets.

Apparemment, chacun y trouve son compte, quoique la concurrence soit rude. Il faut avoir « le verbe » pour convaincre les clients les plus indécis. Mais tous les commerçants, grands et petits, semblent reconnaître le rôle irremplaçable de Rood Woko, ravagé par un incendie un matin de 27 mai 2003. Accroupis à la devanture de la société Turko-Burkina Import-Export, Ilias Ouédraogo dépoussière ses appareils de musique de seconde main, couramment appelés « Au revoir la France » : téléviseurs, DVD, lecteurs CD, etc.

C’est auprès de cette société turque que Ilias et ses confrères se ravitaillent. Il se souvient du temps où le marché grouillait de monde. Il y a de cela trois ans et ses affaires prospéraient.

« A cette époque, raconte-t-il, un brin nostalgique, quelque soit le prix d’une marchandise, il se trouvait toujours quelqu’un pour l’acheter ». Aujourd’hui, malgré la « cassure » des prix (parfois de moitié), rien ne va.

En fait de France, les appareils sont importés d’Allemagne et de Turquie, comme l’atteste Mustafa Aydin Kemal, un des patrons de Turko-Burkina. « Quand il y avait le marché, nos affaires étaient en plein boom. Maintenant, les activités sont au point mort. Les clients sont partis », dit-t-il.

Un pour tous, tous pour un

Véritable poumon de l’économie burkinabè, Rood Woko et ses alentours, c’est la possibilité de faire de bonnes affaires. Certes. Mais pour les petits débrouillards des abords de Rood Woko, c’est aussi courir le risque de se faire déguerpir de façon musclée par les policiers du « teigneux » maire de Ouagadougou, Simon Compaoré. En plus des montres usagées et neuves (des au revoir Dubaï et HongKong), Pierre Ouédraogo et ses amis proposent des calculatrices et des téléphones aux passants. Pour eux, cette attitude de la police est incompréhensible. « Nous cherchons notre pitance, rien de plus », s’insurge Pierre Ouédraogo. « Les policiers viennent nous chasser constamment, occasionnant des dégâts considérables sur nos marchandises. Alors que c’est pour ne pas verser dans la délinquance que nous sommes ici ».

Les petits commerçants se vantent d’être les moins-disant de la place. « Chez nous tout est moins cher », soutient Pierre Ouédraogo, indiquant une montre « Casio » à 12500 FCFA qui, selon lui, aurait coûté 20 000 dans un magasin.

La situation de certains est loin d’être enviable. Rasmané Ilboudo (38 ans), marié, père de trois enfants, ne peut même plus faire des recettes de 3000 FCFA par jour et l’on se demande comment il s’y prend pour entretenir sa famille et renouveler son stock.

Conscients de la précarité de leur situation, les petits commerçants ont un seul credo : « Un pour tous, tous pour un ». A midi, sur l’aire naguère réservée aux cyclomoteurs, ils se retrouvent autour du même plat de riz fumant. Une solidarité qui se manifeste au-delà du marché pour s’étendre à tous les événements de la vie sociale.

Ousmane Tiendrébéogo, vendeur de sacs d’écolier, dit comprendre l’autorité municipale dans sa tentative de rendre Ouaga belle ; mais aucune alternative n’aurait été offerte aux petits débrouillards qu’ils sont. Depuis 2003, il essaye de s’accrocher « afin de ne pas trébucher ». Pour ce faire, il loue une boutique à Sankariaré, mais sa situation financière était devenue si catastrophique qu’il est revenu à Rood-Woko. Même pour avoir à manger, c’était difficile, confie-t-il.

« Nous sommes las de toute cette situation. Parfois les policiers ramassent nos affaires et nous devons débourser chacun 15 000 FCFA pour rentrer en possession de nos biens. Avouons que c’est suicidaire ».

On libère son génie

En lieu et place des tables, d’aucuns présentent leurs marchandises sur des charrettes. En cas de descente policière, on emballe le tout rapidement et on se tire.

Les jeunes commerçants choisissent les marchandises en fonction de la période de l’année. Actuellement, Rasmané Zidnaba vend des fournitures scolaires. En temps normal, il est un négociant en chaussures. Il avait espéré une reconstruction rapide du marché pour reprendre ses activités en léthargie. Car la majorité des jeunes commerçants sont actuellement désœuvrés, ils viennent au centre ville, guettant la moindre occasion pour proposer leurs services. D’autres ont choisi des voies peu recommandables. Prévisible.

Pour Zidnaba, Rood Woko mérite son nom. « C’est un marché qui ne désemplissait pas. Aujourd’hui encore, les gens finissent par se rabattre sur ses abords pour leurs achats. On y trouve tout ce qu’on veut, du textile aux produits de grande consommation, en passant par les cosmétiques. »

Les commerçants grossistes se servent de ces jeunes vendeurs à la criée pour écouler leurs marchandises. Sur une charrette ou sur la tête, ils transportent des articles à travers toute la ville, jusque dans les confins des quartiers périphériques. Un travail harassant, mais qui donne droit à la pitance… en attendant des lendemains qui chantent. Car, pleins d’espérance, tous sont convaincus d’une chose : « seule la mort transforme la vie de l’homme en destin ».

La plupart des jeunes qui étaient allés s’installer ailleurs reviennent peu à peu au centre ville. D’autres se sont installés sur les sites de petits marchés improvisés, mais non loin de Rood Woko. « Allez-y voir à Nabiyaré par exemple, explique Rasmané Zidnaba. On y a relogé des commerçants mais la plupart ont fui car ils n’y ont pas trouvé leurs comptes. Certains sont revenus ici. »

Pendant que son pourtour grouille de monde, Rood Woko ressemble à l’antre d’un fantôme avec ses tonnes de gravats, ses murs calcinés, ses tas de ferrailles noircies ; un labyrinthe où les chauves-souris et les rats règnent en maîtres absolus.

A l’Ouest du marché, une station-service a « fermé ses pompes » et ce sont : une « dèguètière », un vendeur de cyclomoteurs et un parqueur qui en sont devenus les nouveaux locataires. La station aurait fait faillite à cause du manque d’affluence consécutive à la fermeture de Rood-Woko. Une information que nous n’avons pas pu vérifier.

C’est en ces lieux que nous avons rencontré Issa Ouédraogo. Chauffeur de taxi de son état, Ouédraogo desservait l’axe Rood Woko-Tampouy. Pour lui, la fermeture du marché a été un désastre. La première des choses, c’est que la clientèle est devenue rare et la seconde, les tracasseries policières. De plus, Issa Ouédraogo doit verser des recettes journalières de 8000 FCFA à son patron. « Si jamais nous prenons des marchandises, nous avons chaud avec les « enfants de Simon », qui nous « taxent » pour surcharge. Ils retirent nos papiers que nous ne pouvons récupérer qu’après avoir acquitté la somme de 4800 FCFA. »

Abdoulaye Gandéma
Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique