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« Le syndrome du Nègre des palais nègres » : Franklin Nyamsi ou les graffitis d’une plume mouillée au gombo et au sang

mercredi 12 février 2014.

 

I- D’abord un souvenir

Chers lecteurs, Vendredi 16 octobre 1987, j’avais 11 ans et j’étais élève au Cours moyen 2. Ce matin-là, je parcourrais comme chaque matin les six kilomètres qui séparent Minkama, mon village natal et l’arrondissement d’Obala (35 km de Yaoundé, Cameroun), où se trouvait mon école primaire. De ma maison jusqu’à mon école, je n’ai vu de bosquet habité ni de carrefour qui ne soit en proie à de discussions passionnées sur la mort d’un parfait inconnu pour moi : Thomas Sankara.

Ici, des hommes révoltés devisaient autour d’un verre de vin de palme, les machettes parfaitement aiguisées prêtes à en découdre avec les cabosses de cacao ; là, des femmes analphabètes affichaient des rictus de désapprobation ou étaient carrément secouées de sanglots au récit des prouesses et de la virilité de ce lointain mâle et dont je ne saurais jamais décider si elles regrettaient la révolution ou la naturelle séduction. Quoi qu’il en soi, toute la matinée, je fus perturbé par ce singulier événement. À midi, je décidai d’en avoir le cœur net et allai m’enquérir de la situation auprès de mon grand-frère, élève en Seconde au Lycée d’Obala et grand amateur de RFI.

Je trouvais tous les locataires du foyer La Foulou en grève. Mon grand-frère, tout en larmes, asséna : « Monti, ils ont assassiné Sankara ! On a tué l’Afrique ! » Ces lycéens avaient refusé d’aller au cours et s’apprêtaient à aller défendre celui qu’on a assassiné !? Ce fut une poignante révélation. Jusque-là, je savais que l’Afrique est une carte. Je croyais que la géographie était un objet livresque, c’est-à-dire un ensemble de cartes, de continents, de pays, de reliefs, etc. susceptibles d’être retenus dans la mémoire, en somme une histoire qu’il fallait réciter, comme la science, l’éducation civique, l’histoire ou la catéchèse. Je ne comprenais pas qu’elle était la réalité de la vie où chacun devait se projeter réflexivement.

Ce traumatisme ne m’a jamais quitté . Et l’intérêt de l’écrasante majorité des Camerounais pour les Burkinabè datent de ces années glorieuses de la Révolution et de la mort de Sankara, son principal initiateur. Et lorsqu’un Camerounais parle du Burkina Faso, il prend appui sur ces inaltérables réminiscences historiques. Comment comprendre donc que mon compatriote, M. Nyamsi, vienne parler avec une telle légèreté, sinon davantage ? D’où vient cet individu, qui vient ratiociner sur un « président légal et légitime du Faso », alors que le peuple burkinabè crie que trop c’est trop ? De quel droit un jeune diplômé en philosophie comme moi peut-il prétendre donner une Grande leçon à un vrai Professeur qui nous dépasse de loin et en tous points de vue ? Comment peut-il pertinemment espérer dire un mot sensé, dès lors qu’il renie l’esprit critique qui commande de juger par soi ? Comment peut-il se défaire des chaînes acérées de l’opinion commune s’il admet, sans le démontrer dialectiquement, « la légalité et la légitimité de la réforme de l’article 37 de la constitution burkinabè » ? Comment expliquer que lorsqu’au mépris de leurs propres engagements des partisans de la modification de la constitution débitent à longueur du jour de ridicules inepties, un cuistre vienne s’en mêler ? Quels arguments avance-t-il pour démontrer « la force de frappe du pouvoir et celle de la proximité du peuple envers le président… » ?

II- Pourquoi je réagis ?

Je réagis aux graffitis de M. Nyamsi pour deux raisons : 1) en tant que Camerounais, puisque ce cuistre me fait honte et qu’il fait honte à presque tous ses compatriotes ; 2) parce qu’il utilise frauduleusement la philosophie qu’il n’a pas suffisamment assimilée pour des causes perdues, pour des buts infâmes et cyniques. Il foule aux pieds l’humilité chère aux philosophes, et même le « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » de Socrate, que les non-philosophes savent si bien réciter, il l’a oublié il y a belle lurette. Puisqu’il ne peut supporter la discipline de la géométrie – rappelons-nous le « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ! » de Platon –, c’est-à-dire les règles strictes de l’autocritique (notamment la remise en cause de nos sentiments et de nos sensations) et de l’analyse dialectique en vue de l’approfondissement du vrai, cheminement que suit le philosophe, il tente de prendre l’arène philosophique au dépourvu, en l’infiltrant par des raisonnements captieux. Il aspire à la grandeur du héros, mais ne réussit qu’à se débattre dans ses rentables turpitudes. On n’entre jamais dans l’histoire d’une discipline académique par effraction.

Certains internautes parmi vous l’ont traité de fou cravaté qui a quelque chose qui ne va pas dans son cerveau. D’autres ont cru savoir que c’est un foulosophe, etc. Vous voyez juste : c’est un enseignant formé pour dispenser des cours de philosophie – Agrégé de philosophie – dans les lycées en France qui utilise sa petite formation non pas pour conjurer la bêtise humaine comme cela est de rigueur, mais pour encenser les miasmes malodorantes et aliénantes de l’imposture. En fait il souffre d’une pathologie que je désignerai volontiers par un groupe de mot : « Le syndrome du Nègre des palais nègres ». Pour comprendre à quoi renvoie ce terme, il faut revisiter l’histoire du Négro-Africain. Par la notion de syndrome du Nègre des palais nègres, je désigne le stade actuel de ce complexe millénaire qui se multiplie en désordre comme des cellules cancéreuses.

III- Nyamsi, une autre espèce de Nègre ?

Jusque-là, l’histoire de notre peuple nous révèle en effet trois principales figures du Nègre : le Nègre assimilé ou « Le bon Nègre », le « Nègre des Champs » et le « Nègre des maisons ». En son temps, Césaire avait fait une rigoureuse description du « bon Nègre » dans les vers suivants : « C’était un très bon nègre, la misère lui avait blessé poitrine et dos et on avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui qu’on ne prend pas au collet ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin ; qu’un Seigneur méchant avait de toute éternité écrit des lois d’interdiction en sa nature pelvienne ; et d’être le bon nègre ; de croire honnêtement à son indignité, sans curiosité perverse de vérifier jamais les hiéroglyphes fatidiques ». Les deux autres types de Nègres ont été systématisés par Malcom X.

Dans un discours, il affirme :

Vous devez lire l’histoire de l’esclavage pour comprendre ceci. Il y avait deux types de "Nègre". Il y avait le "Nègre de maison" et le "Nègre des champs". Le "Nègre de maison" prenait toujours soin de son maître. Lorsque le "Nègre des champs" s’éloignait un peu trop, il le retenait et le renvoyait à la plantation. Le "Nègre de maison" pouvait se le permettre car il vivait mieux que le "Nègre des champs". Il mangeait mieux, il s’habillait mieux, il vivait dans une meilleure maison. Il vivait juste à côté de son maître, dans le grenier ou au sous-sol. Il mangeait la même nourriture que son maître et portait même ses vêtements. Et il pouvait parler comme son maître, avec aussi une bonne diction. Et il aimait son maître, plus que son maître ne s’aimait lui-même. C’est pourquoi il ne souffrait pas de le voir blessé. Si le maître tombait malade, il lui disait : "Qu’est-ce qu’il y a Patron, nous sommes malades ?" Lorsque la maison du maître prenait feu, il essayait d’éteindre le feu, il ne voulait pas que la maison de son maître soit brûlée. Il n’a jamais souhaitée que la propriété de son maître soit menacée. Et il la défendait plus que le maître ne le faisait. C’était le "Nègre de maison". Mais vous aviez quelques "Nègres des champs", qui vivaient dans des huttes et n’avaient rien à perdre. Ils portaient les pires vêtements, mangeaient la pire nourriture. Ils vivaient l’enfer et subissaient les coups de fouet. Ils détestaient leur maître. Oh oui, ils le détestaient. Si le maître tombait malade, ils priaient pour qu’il meure. Si la maison du maître prenait feu, ils priaient pour qu’un vent fort s’abatte et attise le feu. Voilà la différence entre les deux. Aujourd’hui, vous avez toujours des "Nègres de maison" et des "Nègres des champs". Je suis un "Nègre des champs" .

Ces Nègres dont parle Césaire et Malcom X sont comme vous et moi, avec le sentiment du beau, du vrai et du digne en moins. Le bon Nègre et le « Nègre des maisons » sont complémentaires et partagent une structure génétique unique. C’est de sa mutation que procède le type nouveau que nous connaissons à travers un personnage comme M. Nyamsi et d’autres avant lui, à savoir le « syndrome du Nègre des palais nègres ». Par cette notion, je désigne un ensemble de comportements contradictoires, permissifs, froids et sophistiques que cultivent certains diplômés des universités et grandes écoles de notre temps. Ce syndrome consiste d’une part à s’accommoder et à profiter des privilèges dont périssent les citoyens, et d’autre part à justifier ces forfaits par une rhétorique imperturbable, sans sourciller.

Comme tous les syndromes, le syndrome du Nègre des palais nègres n’obéit pas à un diagnostic aisé. Chez mon compatriote Nyamsi, plusieurs symptômes manifestent ce dysfonctionnement de la tête, du ventre et des poches . D’abord, il y a une persistante amnésie par rapport aux événements historiques. Ici, la revendication de la fierté révolutionnaire des héros des indépendances est mise à contribution pour mieux en circonscrire les enjeux de libération actuels et une rhétorique nationaliste bien calibrée est mobilisée pour ne pas heurter la sensibilité des maîtres de l’ombre qu’on sert docilement . À ce niveau, la valorisation outrancière des institutions et de la culture de l’ex-puissance coloniale est frappante.

Ensuite, il y a une logorrhée verbale ayant pour principal ressort un pédantisme débridé et enfantin , le dénigrement et l’argument ad hominem . Ceci passe, entre autres, par des dénonciations calomnieuses de sédition (pour incitation à la répression si le Maître est au pouvoir) ou appel à la rébellion contre la dictature (si le Maître veut accéder au pouvoir, à travers notamment un appel à témoins de la « Communauté internationale », diverses mesures d’intimidation et/ou recours effectif à des acteurs officiellement impartiaux, c’est-à-dire aux forces coalisées), par un goût prononcé pour la confrontation, le bruit de la gâchette et des explosions et par l’absence notoire d’élégance envers la gent féminine .

À la fin, on se dit qu’il y a quelque chose de sorcier dans ces pays des Blancs, notamment dans la nation par excellence des droits de l’homme, la France. J’y ai éprouvé une féroce vanité, par exemple lorsque je m’exprimais à la Sorbonne en juin 2010, à l’occasion des conférences annuelles du « Groupe d’études sartriennes ». J’avais soudain eu l’impression d’être enfin quelqu’un, une célébrité dont je ne pouvais que rêver auparavant. Je suis convaincu que certains frères africains, qu’ils vivent en France ou ailleurs, ont éprouvé (et continuent d’éprouver) comme moi cette maladie des déracinés et des parvenus. Je la désignerais volontiers par quelques mots : le complexe de l’humaniste abstrait. Ceci requiert un long apprentissage du cynisme. De ce point de vue, M. Nyamsi n’est pas seulement philosophiquement inclassable/inconnu ; il est en outre essentiellement douloureux ; surtout, il devient pathétique.

À SUIVRE

Bruxelles, le 02 février 2014
Fridolin NKE, Ph. D.
Docteur en philosophie et Lettres de l’Université de Liège,
Doctorant en Sciences de l’information et de la Communication, ULB
Belgique

1. Ces réactions n’étaient pas isolées. Elles étaient visibles partout au Cameroun. Le 18 juillet 1988, celui qui avait succédé au Président Thomas Sankara fut interpellé par Le Messager, au 24e sommet des chefs d’Etat de l’OUA à Addis-Abeba. La journaliste lui demanda : « Pendant les évènements du 15 octobre et les semaines d’après, j’étais au Cameroun où les gens semblent bien vous connaître. J’ai constaté que les gens là-bas étaient très choqués. Est-ce que vous ne pensez pas que la révolution Burkinabé a perdu son image de marque le jour-là ? » Il répondit : « Vous savez nous, ce n’est pas l’image de la révolution qui nous intéresse » : http://accypresse.over-blog.com/article-le-messager-fait-parler-blaise-compaore-quand-on-sert-un-etat-on-n-a-pas-peur-de-coup-d-etat--38645841.html.

2. Un syndrome est l’ensemble de plusieurs symptômes ou signes en rapport avec un état pathologique donné et permettant, par leur groupement, d’orienter le diagnostic

3. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1983

4. Discours de Malcom X : http://www.youtube.com/watch?v=IAgLORiZqcc

5. Symptôme : phénomène subjectif qui révèle un trouble ou une lésion.

6. « Ces questions sont livrées aux mois à venir », Voir sa « Grande leçon de sérénité démocratique burkinabè : un 18 janvier 2014 bien ordinaire… ». Je suis un Expert des questions éducatives et je sais par expérience qu’on paye lorsqu’on a livré le travail… Par ce lapsus, mon compatriote se trahirait-il ? À qui va-t-il livrer ses prestations au cours des prochains mois ?

7. Dans son commentaire du 23 janvier, un Internaute – Hum ! – utile une notion juste pour caractériser l’état d’esprit de mon compatriote : « la culture de la reptation ». Quelle justesse d’analyse, mon Diable !

8. « Devant ce type de dérive, où sous un semblant d’objections intellectuelles, se cache en réalité la chose abjecte de l’Afrique contemporaine, à savoir un anticolonialisme dogmatique mâtiné de xénophobie archaïque, nous ne pouvons rester la plume en poche, comme d’autres resteraient l’arme au pied. Il importe de toute urgence de remettre, pour toute l’intelligentsia africaine intéressée par l’actualité burkinabè, les pendules à l’heure de la réalité institutionnelle effective de ce pays ». Qui l’a désigné analyste politique du Burkina Faso ? Qui lui a dit qu’il sait ?

9. « … il faut dire que [Roch Christian Kaboré te Simon Compaoré] inspireront difficilement confiance à grand monde… l’ultranationaliste Etienne Traoré… » (« Grande leçon … bla bla »).

10. Voir « Etienne Traoré, porte-flingue de la pensée identitaire burkinabè contre la médiation-Soro »

11. « une opposition… potentiellement implosive » ; « Jusqu’où iront-ils dans la confrontation avec le pouvoir CDP… la confrontation violente ou non » ; « opposition insurrectionnelle » « confrontation para-constitutionnelle avec le pouvoir », (« Grande leçon … bla bla »).

12. « … quelques politiciens et intellectuels burkinabè lunatiques, tels Madame Saran Sérémé… l’inélégance truculente de dame Sérémé… » (Ibidem).



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