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Mali : La victoire d’IBK est d’abord l’échec du front anti-junte.

vendredi 16 août 2013.

 

La République du Mali, au lendemain du deuxième tour d’une présidentielle à hauts risques, est-elle sortie de cette ambiguïté dans laquelle elle se complait depuis trop longtemps ? La promotion inattendue du capitaine Amadou Haya Sanogo au grade de général de corps d’armée, au-delà du grotesque de l’affaire* (cf. LDD Mali 096/Mercredi 14 août 2013), oblige à se poser bien des questions.

Existe-t-il dans ce pays un lobby militaire tellement puissant que le nouveau pouvoir entend se le concilier ? Comment se fait-il que ce lobby militaire, capable de renverser un président-général qui, autrefois, s’est illustré dans la chute d’un régime dictatorial, n’ait pas été capable d’endiguer la rébellion de groupuscules touareg ? Si ce lobby militaire n’a pas les moyens de faire la guerre, que fait-il : seulement des « affaires », la sécurisation des trafics mafieux ? Peut-on évoquer (toutes proportions gardées) une militarisation de la société malienne à l’instar de l’Algérie, de l’Egypte… avec un lobby militaire qui tirerait les ficelles politiques et économiques ? Si ce lobby militaire existe qui en sont les patrons ? Et pourquoi donc ces patrons, nécessairement politiquement et financièrement puissants, ont-ils propulsé sur le devant de la scène un petit capitaine sans charisme particulier ? Quelles sont les connexions entre ce lobby militaire et certains éléments de la classe politique et de la société civile maliennes ? Ces connexions, si elles existent, fondent-elles un réseau politico-social qui serait un groupe d’influence occulte dont l’impact se situe au-delà des partis ?

Dimanche 11 août 2013, deuxième tour de la présidentielle. Lundi 12 août 2013, d’emblée Soumaïla Cissé reconnaît sa défaite et fait allégeance à son vainqueur, Ibrahim Boubacar Keïta. Mardi 12 août 2013, alors qu’IBK garde le silence, Cissé déclare que, compte tenu de la « fragilité » de la situation du Mali, il ne déposera aucun recours devant la Cour constitutionnelle ; il appelle à « un comportement vertueux ». Mercredi 13 août 2013, Sanogo est promu, en conseil des ministres, général de corps d’armée. Jeudi 15 août 2013, le ministre de l’Administration territoriale, le colonel Moussa Sinko Coulibaly, ancien directeur de cabinet de Sanogo quand celui-ci se prenait pour le chef de l’Etat, annonce les résultats du deuxième tour. Vendredi 16 août 2013, Dioncounda Traoré, président par intérim, se rend à Ouaga 2000 pour y rencontrer Blaise Compaoré, président du Faso et médiateur dans la crise malo-malienne.

En quelques jours, l’histoire de la République malienne s’est accélérée. L’événement majeur n’est pas tant la victoire annoncée d’IBK que « l’ample »** défaite de son challenger : plus de 77,6 % des voix pour IBK et moins de 22,4 % pour Cissé alors que le taux de participation, plus faible qu’au premier tour, est resté à un niveau exceptionnel pour une présidentielle malienne : plus de 45 % d’électeurs !

C’est dire que Cissé ne fait guère mieux que le plein de ses électeurs du premier tour, tandis que la victoire d’IBK a des allures de « tsunami » qui doit combler d’aise le colonel Coulibaly qui avait annoncé, prématurément, sa probable victoire dès le premier tour. Or, il ne faut pas se le cacher : IBK était le candidat de l’armée dès lors que Cissé était un des plus farouches opposants à la junte militaire. Une junte qui, en prenant le pouvoir le 22 mars 2012, a mis fin au règne de l’ADEMA, le parti présidentiel, dont le candidat, Dramane Dembélé, n’est pas parvenu à se qualifier pour le second tour. Si Dembélé a soutenu IBK pour le second tour, l’ADEMA, quant à elle, a choisi le camp de Cissé.

C’est dire que la physionomie politique du Mali a radicalement changé. L’armée a permis une alternance politique et la victoire d’un homme qui, jusque là, avait échoué à plusieurs reprises dans sa conquête du pouvoir ; dans le même temps, le parti qui a rassemblé la classe politique malienne autour de deux présidents (Alpha Oumar Konaré puis Amadou Toumani Touré), l’ADEMA, sort désintégré de cette consultation électorale.

IBK se pose-t-il la question de savoir « qui l’a fait roi » ? Pour les Maliens, pas de doute, c’est le peuple qui l’a massivement consacré président de la République. Fallait-il dès lors, dans la foulée de cette élection-consécration, porter aux nues le capitaine Sanogo auquel le gouvernement de transition avait déjà accordé le statu « d’ancien chef de l’Etat » ? Tout le monde semble le penser. Soit que les partisans de cette promotion reconnaissent dans Sanogo l’homme qui a mis par terre un régime ATT à bout de souffle. Soit qu’ils considèrent qu’elle est une porte de sortie pour un homme bien encombrant.

A Ouagadougou, L’Observateur Paalga écrivait dans son éditorial, au lendemain du deuxième tour de la présidentielle (12 août 2013), que « de toute façon, que ce soit IBK ou Cissé, au-delà de la manière dont le rideau tombera sur Sanogo, l’histoire commande qu’il passe à la trappe ». Une trappe quatre étoiles avec les émoluments en conséquence. L’argument avancé étant qu’il est essentiel que Sanogo sorte de son camp militaire de Kati, QG des « bérets verts ». Certains, qui ne sont pas du genre à oublier les exactions et autres provocations du capitaine, prônaient plutôt quatre balles que quatre étoiles mais ce n’est pas vraiment une façon de faire « politiquement correcte ». Sauf en Guinée ; mais même là-bas, le capitaine Moussa Dadis Camara, dégommé par un des siens, est parvenu à s’en sortir.

Reste que bien des questions se posent aujourd’hui. L’Afrique « démocratique » est-elle plus compréhensive à l’égard des militaires putschistes que des étudiants et des travailleurs qui manifestent dans la rue contre leurs conditions de vie ? Quid des compagnons de Sanogo lors du coup d’Etat du 22 mars 2012 ? Installé au pouvoir, il pouvait jouer au Père Noël de l’armée malienne. La « transition » lui a permis de mettre en coupe réglée le Mali utile et aux militaires de se remplir les poches ; le laxisme de la hiérarchie a favorisé les petits trafics de la troupe.

Les beaux jours sont-ils finis pour l’armée malienne : on sait que le chaos est toujours propice aux trafics ? La Côte d’Ivoire en a été l’expression pendant une douzaine d’années. Le coup d’Etat contre ATT, son départ du Mali avec « armes et bagages » (ou, plus exactement, famille et magot), son silence depuis dix-huit mois, n’ont pas été des opérations improvisées mais, aussi, le résultat de négociations. Le capitaine Sanogo n’a été que l’instrument d’une hiérarchie politico-militaire qui, en mettant sur le devant de la scène un officier subalterne qui se proclamait « patriote » et dénonçait la « corruption » de la classe politique, a amené la population et même une frange de l’intelligentsia à soutenir un coup d’Etat que l’on aura présenté, abusivement, comme populaire. Mais il faudrait être un imbécile pour ne pas penser que Sanogo a été le capitaine qui cachait la forêt de colonels et de généraux maliens qui se sont adonnés avec délectation bien plus aux pratiques mafieuses qu’à la préparation au combat.

Il y aussi que l’armée française, qui s’est employée sur le terrain et a perdu des hommes, a été témoin de ce laxisme et de ces trafics. Elle n’a pas la mémoire courte. Comment va-t-elle pouvoir expliquer qu’elle a été là pour se faire « casser la gueule » tandis que les planqués de l’armée malienne gravissent les échelons de la hiérarchie plus vite qu’ils ne se sont repliés devant les agresseurs de leur propre pays… ?

* Amadou Haya Sanogo a gravi, en un seul conseil des ministres, six échelons : commandant, lieutenant-colonel, colonel, général de brigade, général de division. Le voilà général de corps d’armée, 4 étoiles, et vu son âge, il devrait achever sa carrière militaire comme général d’armée, 5 étoiles. Autant dire qu’il fait mieux, beaucoup mieux, que son modèle, Charles De Gaulle qui, entré
à Saint-Cyr en 1909, n’a été promu capitaine qu’en 1915 (en pleine guerre) et général de brigade, 2 étoiles, « à titre temporaire », qu’en 1940. L’autre question qui se pose est de savoir s’il existe une armée malienne et même un corps d’armée.

** C’est le président de la République française, François Hollande, qui a utilisé le qualificatif « d’ample » pour caractériser la victoire d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique