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Dr Dramane Konaté : « Ce qui est édifiant dans les recherches que nous avons effectuées, c’est l’omniprésence de la dimension triadique »

vendredi 11 janvier 2013.

 

Au terme d’une soutenance le samedi 22 décembre 2012, Dramane Konaté est jugé digne du titre de docteur avec la mention très honorable à l’unanimité du jury. La thèse portant sur les « Théories de la connaissance universelle », Dr Konaté revient ici sur un bref résumé du travail, aborde les enjeux de l’étude, expose les conclusions de la recherche et parle de ses perspectives.

Dites-nous brièvement en quoi a consisté votre travail de recherche ?

La thèse portant sur les « Théories de la connaissance universelle » consiste en une application sémiotique pour l’étude des représentations cognitives, culturelles et axiologiques de l’humanité (sous-titre). Globalement, cette thèse considère le vaste champ d’étude des civilisations comme un système langagier. De façon schématique, les universaux de la connaissance sont les suivants par ordre classificatoire en bibliologie : généralités (0), philosophie-psychologie (1), religion (2) société (3), langues (4), sciences exactes (5), sciences appliquées (6), arts (7), littérature (8), histoire-géographie (9). Il y a lieu de préciser que le paradigme cognitif de la société regroupe entre autres les sciences sociales, la culture, l’éducation, le droit, l’économie, la politique, etc. J’avais déjà montré le lien diachronique entre les 10 ordres du savoir fondamental dans mes travaux antérieurs ; il restait à procéder à une analyse des signifiants intellectuels, spirituels et culturels dans le cadre de la thèse de doctorat.

Quel est l’apport de ce travail de recherche en matière de création de la connaissance ?

Eurêka ! C’est de montrer que la tripartition du signe en sémiotique procède de la rationalité de la dimension triadique de la connaissance dans toutes les cultures et les civilisations.
C’est difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas du domaine. J’évoquerai volontiers quelques exemples si vous m’en donnez l’occasion. Cependant, notre thèse n’a pas pour ambition de « créer la connaissance » ce qui est évidemment prétentieux, mais de faire « découvrir les lois » ou encore les « fondements de la connaissance » à partir des universaux tels que déclinés dans la réponse à votre première question. De nos jours on parle plutôt des « enjeux » de la recherche et non d’un simple « apport » qui relèverait du stade élémentaire d’un assez long processus. Parfois même une confusion s’établit dans les esprits entre le but de la recherche qui est évidemment de « trouver » ou de « comprendre » et les objectifs qui en découlent. Il y a la dimension fondamentale de la recherche dans laquelle s’inscrit pleinement notre travail, et les autres dimensions qui ne sont rien d’autres que les objectifs stratégiques : l’application, l’action ou l’évaluation. Nous retrouvons le plus souvent ces volets dans le domaine des sciences pures, exactes ou appliquées : santé, agriculture, économie, physique, génie civil, ingénierie, architecture, etc.
En regard de ce préalable, les enjeux de notre travail sont d’ordre scientifique, heuristique et critique, parce que cette thèse consiste prioritairement en l’application des outils de la sémiotique en vue de l’interprétation des signifiants cognitifs, des schèmes de pensée ainsi que des représentations culturelles de l’humanité. C’est pourquoi les sciences du langage convoquent nécessairement les méthodes de la sociosémiotique, de la psychosémiotique et de l’ethnosémiotique. L’analyse de la thèse dans ces différents ordres sémiotiques faite par le Pr Yves Dakouo en tant que co-directeur et membre du jury est fort édifiante.
La partie critique se rapporte à la remise en question de certains fondamentaux de la connaissance, c’est-à-dire des évidences jusque-là admises par la communauté scientifique ou même simplement par l’opinion publique. Cela relève de l’audace, ce que le Pr Guy Lavorel de Lyon 3 n’a pas manqué de qualifier d’inattendus, de curiosités ou de mystères sur les chemins de la connaissance. Justement, cela vous étonnerait lorsque vous découvrez par exemple que la démocratie n’est pas une invention de la société politique ou civile, mais de l’armée en Grèce antique ! De même, la tyrannie était un absolutisme nécessaire à l’épanouissement de la cité et des hommes. Pour preuve, le long règne du Tyran Pisistrate (521-528 av. J.-C.) sera le garant de la démocratie. Cela vous étonnerait aussi de savoir qu’il existe l’évangile de Judas, un texte rare, authentifié et classé comme apocryphe. Nous l’avons lu, mais pas exploité d’autant que ce n’est pas un écrit canonique, c’est-à-dire une version admise par l’Eglise. Bref, cette thèse est un compendium (et non une compilation) qui comporte entre autres des extraits de textes rares, éléments du corpus, soit environ une trentaine de pages sur l’ensemble des 3 volumes. Le reste de la thèse est consacré à l’analyse sémiotique et herméneutique (interprétative) des variants et invariants des universaux de la connaissance, qu’elle soit d’obédience épistémique, philosophique, anthropologique, culturelle, religieuse, etc. C’est pourquoi le Pr Joseph Paré, qui a dirigé d’une main de maître ce travail, et à qui je rends un vibrant hommage pour sa haute stature intellectuelle, parle de « thèse à tendance encyclopédique » portant sur un sujet qui suscite de l’intérêt et de la curiosité. La preuve, la plateforme d’échanges de votre rédaction a presque battu le record de discussion en fin d’année, ce qui honore la société savante à plus d’un titre, nous faisons fi bien sûr des commentaires de bas étage (rire) !

Quelles sont les conclusions auxquelles vous êtes parvenu ?

Les déductions (après observation et analyse des données) sont de trois ordres.
Premier ordre déductif : la rationalité de la connaissance repose avant tout sur les signes inducteurs de la logique formelle qui s’établit autour des réseaux organisés et hiérarchisés du monde, autrement dit, les items de connaissance sont en relation avec l’évolution des sociétés. Mais ce qui est édifiant dans les recherches que nous avons effectuées, comme nous l’avons signalé, c’est l’omniprésence de la dimension triadique (semiosis) de la connaissance dans toutes les cultures et les sociétés. Déjà dans l’Antiquité, la triade thébaine se composait d’Amon-Rê, le père ; Mout, la mère, et Khonsou, le fils. La triade osirienne regroupe Osiris (le père), Horus (le fils) et Isis (la mère ou l’esprit saint). L’homme comprenait trois entités : Khet, le corps ; Ba, l’âme ; Ka l’esprit. En philosophie, les pythagoriciens parlaient de la dimension ternaire du monde : métacosmos, microcosmos et macrocosmos. Blaise Pascal distingue trois instances du savoir en l’homme qui sont la chair (sensation), l’esprit (raison) et le cœur (passion). Montesquieu établit une trilogie du pouvoir : le législatif fait les lois, l’exécutif les applique et le judiciaire les protège. Freud trouve trois instances psychiques : la conscience (le moi), le subconscient (le surmoi) et l’inconscient (le ça).

En religion, dans la Thora (Loi), nous avons la trilogie Eloha (Dieu), Neebim (Ecrits) Ketoubim (Prophètes) ; dans le christianisme il ya la trinité le Père, le Fils, le Saint-Esprit ; en islam, nous retrouvons le lien ternaire Allah, le Coran, le Prophète. J’ai pu visiter quelques temples en Asie. Le principe bouddhique repose sur trois préceptes fondamentaux : L’Eveillé (Buddha), la Loi (Dharma), le Culte (Samgha). Sur un autre registre, idéologiquement, au temps de la guerre froide, il y avait trois blocs : le bloc occidental, le bloc soviétique et les non-alignés (le Tiers-Monde). En sciences du langage, Le juridisme universel repose sur la pierre angulaire du droit à la vie, du droit à la liberté et du droit à la paix. Bien sûr qu’il existe des déclinaisons de cette triade juridique. Les théories de l’éducation médiévale ont commencé par le trivium grammaire, rhétorique et logique. Mgr Anselme Titiaman Sanon identifie trois systèmes de valeurs dans la société : le culturel, le cultural et le cultuel. L’initiation en Afrique est une modalité ternaire virtualisante, qualifiante et réalisante. Les sociétés secrètes, à l’instar de la franc-maçonnerie, ont en usage plusieurs symboles triadiques de la géométrie sacrée (référence aux pyramides d’Egypte), tels que l’emblème du compas mi-ouvert imbriqué dans l’équerre, l’hexagramme (sceau de Salomon) ou le pentagramme avec une projection de figures coniques, ou encore le credo ternaire liberté-égalité-fraternité. Dans le postmodernisme, avec la phénoménologie de la mondialisation et de la cyberconnaissance, nous assistons à un tryptique de crises : la crise du réel, la crise du sens et la crise des valeurs…Vous voyez donc qu’on pourrait multiplier les exemples à l’infini par l’exercice de la sémiotique triadique appliquée à la connaissance universelle.

Deuxième ordre déductif : aucune civilisation au monde ne peut prétendre disposer de toutes les connaissances de l’humanité, encore moins aucune génération ne peut se targuer d’épuiser toutes les sources du savoir. Juste pour relever les insuffisances de la classification universelle des connaissances établie par les bibliologues occidentaux, où les savoirs en Afrique n’occupent que la portion congrue sur près d’un millier répertoriés et repartis dans les dix principales catégories. Subséquemment, il s’agit aussi de répondre au déni hégélien du nègre doué de raison et de balayer d’un revers de main l’affront occidental d’une Afrique qui n’est pas assez entrée dans l’histoire, ou encore cette arrogance aux relents racistes qui tient que toutes les civilisations ne se valent pas. Cette deuxième conclusion rencontre l’assentiment du Pr Georges Sawadogo qui a réalisé une brillante instruction de la thèse.
Troisième ordre déductif : la consécration de la diversité culturelle en tant que fondement premier du Village planétaire et partant, l’apport de l’Afrique à la civilisation de l’Universel. Le Pr Salaka Sanou a été très attentif à cette vision, d’autant qu’il est un spécialiste remarquable de littérature et de cultures africaines.

D’aucuns dont des membres du jury ont relevé l’étendue de votre thèse. Quel commentaire faites-vous de cela ?

« D’aucuns », c’est qui au juste ? Je ne savais pas que l’éminent jury en toute souveraineté s’était associé d’autres voix en dehors du cadre de la soutenance pour délibérer avant de nous octroyer la « mention très honorable à l’unanimité » ! C’est la presse qui me l’apprend et j’en suis très flatté (rire) !

Bref, la théorie de la mesure a été développée par Protagoras où l’homme est l’actant premier. Fondamentalement, la science admet trois dimensions dans l’univers (encore la sémiotique triadique) : hauteur, largeur, profondeur. Einstein y a travaillé particulièrement pour établir sa théorie de la relativité simple et complexe, en l’adaptant (temps-espace-vitesse). Une quatrième dimension existerait, peut-être même une cinquième, avis donc aux chercheurs si ce n’est déjà trouvé !

Pour revenir à votre question, des trois dimensions, l’opinion s’intéresse plutôt à la deuxième, c’est-à-dire l’étendue ou si vous voulez la dimension spatio-temporelle de la thèse. Pourtant, dans une démarche scientifique cohérente il faudrait dans la méthodologie associer la profondeur des analyses et la hauteur de vue, cette dernière étant la distance entre le chercheur et l’objet de recherche. Dans le champ paradigmatique de la connaissance universelle, il faut savoir procéder à l’identification et à l’analyse des items ou des unités dans le temps et dans l’espace, au regard des contingences et convergences historiques faites de ressemblances et de dissemblances, de fusions et d’oppositions d’idées, de syncrétismes et d’antagonismes socioculturels. Peut-on parler de philosophie ou de mythologie sans remonter à l’Antiquité ? Peut-on aborder la question de la connaissance en islam sans remonter à la source, c’est-à-dire au Moyen Age qui a vu son émergence ? Comment par exemple, la langue française s’est-elle universalisée de la Renaissance au siècle des Lumières, s’affranchissant progressivement du latin et du grec, mais s’enrichissant d’autres langues ? Au regard de l’évolution de l’humanité, peut-on parler de signes évidents de la connaissance dans les sociétés préhistoriques ou primitives comme le soutient l’anthropologue Claude Lévi-Strauss ? Vous comprendrez qu’on ne peut aborder ces questions sans revisiter l’histoire à travers le langage des signes (semiosis). C’est cela le rôle du chercheur, aller en profondeur pour ne pas naviguer en surface. Et Joseph Paré, le professeur le plus ancien dans le grade le plus élevé au sein du département, a d’autorité indiqué à la soutenance publique que les différentes périodes telles que déclinées dans la thèse sont conformes à l’histoire de l’humanité.

Maintenant que vous avez soutenu votre thèse de doctorat, quelles sont vos perspectives ?

Vous me permettrez de ne pas parler de ma carrière mais plutôt des projets qui pourraient découler de cette étude. Là nous abordons les aspects liés aux objectifs de la recherche.
Le premier projet serait de faire une double publication du travail, d’abord en l’état pour les besoins de la recherche, et ensuite dans une version simplifiée (élaguée du jargon scientifique) pour que ce soit de portée générale. Nous souhaitons que cette œuvre soit notre modeste contribution ainsi que celle de notre pays, à la connaissance de la Francophonie et de la diversité culturelle qui la compose : Africains, Arabes, Asiatiques, Occidentaux, etc. Senghor, l’un des pères fondateurs, sinon le plus emblématique du mouvement, disait qu’il importe en Francophonie de « s’enrichir de nos différences en vue de converger vers l’universel ».

Logiquement, l’on pourrait se demander quelle serait la plus value d’une telle thèse pour notre pays en dehors de sa teneur scientifique.

Eh bien ! Le deuxième projet serait de travailler sur l’économie du livre au Burkina Faso, autrement dit, la part de la main invisible du marché des savoirs. Notre expérience en bibliologie, qui regroupe des disciplines telles que la bibliothéconomie, la bibliographie et la psychologie de la lecture nous permet de mener cette étude. Nous comptons également aborder la problématique des thèmes émergents dans les productions littéraires burkinabè en rapport avec l’évolution de la société. Dans la même lancée, Nous envisageons de publier deux de nos œuvres de création.

Pour le troisième projet (toujours la logique triadique), comme vous le savez, je préside aux destinées d’une organisation de la société savante, en l’occurrence la Société des auteurs, des gens de l’écrit et des savoirs (SAGES). Aussi, avec l’appui des premières autorités du pays, des partenaires et de la communauté scientifique, nous ambitionnons d’élaborer l’Encyclopédie du Faso. Ce sera une grande œuvre qui va prendre du temps, du volume et mobiliser les ressources et les compétences nécessaires à sa réalisation. L’encyclopédie au siècle des lumières a mis vingt-cinq (25) ans pour atteindre une édition intégrale ! Mais l’essentiel au Burkina Faso serait de consacrer les savoirs locaux pour les générations futures, en mettant à contribution les trésors humains vivants, ces érudits qui sont nos savants en Afrique.

Interview réalisée par Aminata Ouédraogo (stagiaire)

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