Retour au format normal
lefaso.net

Youssouf Ouédraogo, patron de la diplomatie burkinabè

Pas plus conformiste en diplomate qu’en Premier ministre
lundi 3 novembre 2003.

 

Cet homme jeune (il a à peine cinquante ans) appartient à la génération qui a changé le cours de l’Histoire en Haute-Volta.

Il est de ceux qui ont forgé le Burkina Faso. Avec détermination. Mais, aussi, beaucoup de rigueur. Youssouf Ouédraogo est de ces hommes bien formés. Politiquement et intellectuellement. Et qui s’attachent à accomplir leur mission en allant jusqu’au bout de leurs convictions.

C’est à Tikaré, dans la province du Bam, à environ 200 km au Nord-Ouest de Ouagadougou qu’est né l’actuel patron de la diplomatie burkinabè. Ce n’est pas un diplomate de carrière. Mais un économiste de formation. Il est titulaire d’un doctorat de troisième cycle en marketing et analyse des comportements socio-économiques, obtenu en octobre 1981 à l’université de Dijon. A son retour en Haute-Volta, il sera nommé professeur à l’Ecole supérieure des sciences économiques (Essec) de Ouagadougou. Pour peu de temps.

Le 4 août 1983, Thomas Sankara prend le pouvoir et l’appelle à la présidence comme chargé de mission pour les affaires économiques. Quelques jours plus tard, le 31 août 1984, il sera nommé ministre de la Planification et du Développement populaire dans le premier gouvernement du Burkina Faso. Le président du Faso avait pris l’habitude de changer, chaque année, en août, le gouvernement. Le camarade Youssouf Ouédraogo fera partie de ceux qui conserveront leur portefeuille en 1985, en 1986, en 1987 (mais lors du dernier renouvellement opéré par Sankara, le 4 septembre 1987, le concept de développement populaire est supprimé).

L’élimination de Sankara et la mise en place de la politique de Rectification ne remettent pas en question sa participation à l’équipe gouvernementale formée, le 31 octobre 1987, par Blaise Compaoré. Il est nommé ministre du Plan et de la Coopération. Il quittera l’équipe dirigeante le 25 avril 1989 étant remplacé par Pascal Zagré, une autre forte personnalité politique et intellectuelle burkinabè, hélas trop tôt disparu. Il est alors nommé président du Conseil révolutionnaire économique et social. Il quittera ce poste à la suite de son élection comme député de sa province natale, le Bam, sur la liste du parti présidentiel : l’Organisation pour la démocratie populaire et du Mouvement du travail (GDP-MT).

Il entame une carrière strictement politique alors qu’il était présenté comme "le meilleur économiste du Burkina Faso" (il est considéré comme le père de la planification burkinabè), une étiquette flatteuse mais restrictive qui a le don de l’exaspérer : Youssouf Ouédraogo est un militant politique qui s’est toujours efforcé d’avoir une vision globale de son action. Cette démarche militante qui caractérise le Burkina Faso contemporain a eu pour résultat d’en faire l’unique pays de la zone francophone qui puisse s’enorgueillir d’avoir changé de physionomie au cours des vingt dernières années.

Le 16 juin 1992, Compaoré appelle, à nouveau, Youssouf Ouédraogo au gouvernement. Mais pour en être le Premier ministre, une fonction qui avait été supprimée, en Haute-Volta, en 1980. Il se retrouvera ainsi en charge de la mise en place de la démocratisation politique et de libéralisation économique qui étaient le "cours nouveau" du Burkina Faso. Un challenge qui convenait à son caractère volontariste, pragmatique et peu doctrinaire. Le 19 juin 1992, il formera son gouvernement et y accueillera quelques leaders des partis de l’opposition.

Sa nomination sera bien accueillie. "Il [Compaoré] a choisi le meilleur [...] écrira un hebdomadaire local. Il n’est ni timoré, ni extrémiste, ni un foudre de guerre, ni un sectaire. C’est un homme de synthèse". La Révolution était pour lui, me dira-t-il, en 1993, "un héritage positif". "Chaque pays, me précisera-t-il, a sa culture, chaque pays a son propre rythme et ses valeurs fondamentales. Quelle que soit la dynamique d’un système de gouvernement, elle est toujours teintée par les valeurs fondamentales du pays. Pour ce qui nous concerne, c’est d’abord le travail émancipateur. C’est, ensuite, la rigueur et la volonté de réussir. Et de pouvoir mobiliser, rassembler le peuple pour aller dans une direction qui lui permette de s’émanciper, de résoudre ses problèmes fondamentaux à partir, essentiellement, de ses propres moyens et de sa propre mobilisation ".

Son discours de politique générale s’était articulé alors autour de trois mots-clés : discipline, travail et liberté. Il s’attaquera au rétablissement des équilibres macro-économiques et macro-financiers, stimulera le secteur privé en désengageant l’Etat du secteur productif, s’efforcera de redonner ses lettres de noblesse au secteur public (il a été un des promoteurs de la première Conférence annuelle de l’Administration publique en 1993). "Nous devons, me dira-t-il alors, -toujours nous organiser davantage pour accroître la capacité d’absorption des financements obtenus, éliminer toutes les lourdeurs administratives, les lenteurs décisionnelles, supprimer les actions redondantes et les pertes de temps à tous les niveaux [...] Chaque Burkinabè doit se sentir concerné. La dynamique de probité, de rigueur, d’efficacité doit passer par la participation et la transparence".

Y. Ouédraogo et Colin Powell

Son souci de rigueur, il ne parviendra pas toujours à le faire partager à tous les membres de son gouvernement et de l’administration. Le discours passe bien ; sa mise en oeuvre effective est plus délicate. Et le 12 janvier 1994, la dévaluation du franc CFA va compliquer la donne. Compaoré, qui n’en voulait pas dans les termes imposés par Paris, était monté au créneau depuis plus d’un an déjà. En vain. La dévaluation, conçue sur mesure pour sauver la Côte d’Ivoire où Bédié venait de succéder à Houphouët-Boigny, sera présentée comme un échec du gouvernement. Les passions vont s’exacerber au sein du parti présidentiel ODP-MT. Le 16 mars 1994, Youssouf Ouédraogo va présenter sa démission de Premier ministre. C’est Marc-Christian Roch Kaboré (actuel président de l’Assemblée nationale) qui prendra sa succession. A 42 ans, Youssouf Ouédraogo va connaître une (relative) traversée du désert : ambassadeur à Bruxelles.

En janvier 1999, il revient au gouvernement. Au portefeuille de ministre des Affaires étrangères (il est désormais ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale). Il est ainsi le dix-neuvième burkinabè à se voir confier la responsabilité de la diplomatie. Il est en passe de battre un record de longévité à ce poste : il vient d’entrer dans sa cinquième année ; seul Lompolo Koné a fait mieux que lui avec plus de cinq années du 7 septembre 1960 au 8 janvier 1966. Mais il est vrai que depuis la Révolution du 4 août 1983 pas moins de dix ministres ont été les attributaires de ce portefeuille.

La nomination de Youssouf Ouédraogo à la tête de la diplomatie (c’est la première fois qu’une personnalité aussi éminente obtient ce poste alors que les relations extérieures sont du domaine du chef de l’Etat, le ministre des Affaires étrangères n’étant qu’un simple gestionnaire du personnel diplomatique) s’inscrit dans un contexte particulier. Le 8 juin 1998, à l’issue du 34ème sommet de l’OUA qui s’est tenu à Ouaga, Compaoré en a été nommé président (il y prenait la suite de Mugabe) ; il entendait s’y consacrer à plein temps. Youssouf Ouédraogo, compagnon de la première heure, était bien placé pour gérer la diplomatie burkinabè pendant que Compaoré gérait la diplomatie africaine.

La chute de Bédié, l’accession de Gueï au pouvoir, l’élection de Gbagbo puis la guerre civile vont être des dossiers prioritaires pour le ministre des Affaires étrangères. Qui, par ailleurs, a du faire face à la mise en quarantaine de Compaoré par les partenaires internationaux à la suite de l’affaire Zongo. Ainsi, ce n’est que le jeudi Il octobre 2001, après trois années de quarantaine, que Compaoré a pu revenir en visite officielle à Paris.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique