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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (15)

Publié le samedi 1er octobre 2005 à 09h26min

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Sommet France-Afrique à Ouagadougou

C’est la fin d’une époque. Marquée par la XVlllème conférence des chefs d’Etat de France et d’Afrique, qui s’est tenue à Biarritz à la fin de l’année 1994. Mais personne, bien sûr, ne veut en prendre conscience. La France vit sa deuxième cohabitation.

François Mitterrand (qui entame sa dernière année à la présidence de la République) est à l’Elysée et Edouard Balladur à Matignon. C’est Alain Juppé qui est le patron du Quai d’Orsay. Rue Monsieur, Michel Roussin, qui a conduit la dévaluation du franc CFA quelques mois auparavant, a dû céder la place à Bernard Debré nommé ministre de la Coopération le dimanche 13 novembre 1994.

Le génocide rwandais a bouleversé l’opinion publique internationale et montré l’inanité des organisations internationales qu’il s’agisse de l’OUA, incapable de faire le ménage chez elle, ou de l’Onu, incapable de faire le ménage chez les autres. Paris a encore plus mal géré l’affaire que tous ses autres partenaires.

Kigali va, dès lors, être le point de départ de bouleversements majeurs en Afrique centrale ; après la mise à feu et à sang du Zaïre, ce sera la longue guerre civile au Congo tandis que l’Angola n’arrivera toujours pas à trouver le chemin de la paix et de la réconciliation. En Afrique de l’Ouest, chacun pense que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes puisque tout va bien, semble-t-il, en Côte d’Ivoire où la transition entre Félix Houphouët-Boigny et Henri Konan Bédié s’est passée, officiellement, dans de bonnes conditions.

Au Burkina Faso, le président Blaise Compaoré avance, pas à pas, sur la ligne qu’il s’est fixée. Une Constitution (2 juin 1991), un gouvernement d’ouverture (25 juillet 1991), une présidentielle (1er décembre 1991), des élections législatives (24 mai 1992), un Premier ministre (16 juin 1992 ; elles étaient prévues initialement le 12 janvier 1992), un autre Premier ministre (20 mars 1994).

Plus encore, le changement politique s’accompagne non seulement de la mise en place d’institutions qui fonctionnent effectivement mais également d’un changement économique. C’est, en l’espace de quelques années, la grande métamorphose du Burkina Faso. Les 12 février et 19 mars 1995, dix-neuf partis politiques, de la majorité présidentielle comme de l’opposition, vont franchir une nouvelle étape : les premières élections municipales. Pour Compaoré, il était essentiel de montrer que la vie politique du pays ne se déroulait pas seulement à Ouaga mais qu’elle concernait l’ensemble du territoire national.

Dans la foulée des municipales, un vaste remaniement gouvernemental est opéré le 11 juin 1995 : il touche près de la moitié des ministères. Si Hermann Yaméogo demeure ministre d’Etat en charge de l’Intégration et de la Solidarité africaine, le patron de la Défense, qui était également ministre d’Etat, Kanidoua Nabaho, cède son portefeuille (sans le titre de ministre d’Etat) à l’ancien chef d’état-major général des Armées, le colonel Badaye Fayama.

Un second ministre d’Etat fait son apparition : c’est Salif Diallo qui était ministre chargé de mission auprès de la présidence ; il se retrouve en charge de l’environnement et de l’eau, deux secteurs essentiels des "Engagements nationaux" définis par Compaoré le 2 juin 1994 à l’occasion du Forum national sur la production. Si Zéphirin Diabré et Ablassé Ouédraogo conservent leurs portefeuilles (Economie, Finances et Plan pour l’un, Affaires étrangères pour l’autre), c’est un nouveau venu qui prend en charge le ministère de l’Administration territoriale, en l’ occurence Yéro Boli qui était, jusqu’alors, ambassadeur à Tripoli.

Quelques semaines avant le changement de gouvernement à Ouaga, le dimanche 7 mai 1995, Jacques Chirac a été élu président de la République française. Dix jours plus tard, le mercredi 17 mai 1995, il a pris officiellement ses fonctions. Mitterrand, au pouvoir depuis quatorze ans, quitte l’Elysée où Compaoré n’a jamais connu que lui. Alain Juppé est à Matignon, Hervé de Charette au Quai d’Orsay et Jacque Godfrain rue Monsieur.

A l’occasion des cérémonies du 14 juillet 1995, Compaoré est le seul invité africain du chef de l’Etat français. La presse française va se précipiter pour interroger un chef d’Etat qui n’a pas la réputation de rechercher le contact avec les médias et les journalistes.

Zyad Liman et François Soudan, dans Jeune Afrique (3-9 août 1995) dressent en quelques lignes le bon portrait : "A 44 ans, il est déjà chef d’Etat depuis huit ans. Révolutionnaire devenu pragmatique, militaire devenu civil, Blaise Compaoré semble à cheval entre deux générations africaines.. celle qui a vécu les déchirements et les désillusions des années quatre-vingt et celle qui doit maintenant reconstruire".

Blaise Compaoré fait donc la "cover" de JA, interdit pendant plusieurs années en Côte d’Ivoire au lendemain des événements du 15 octobre 1987 (Félix Houphouët-Boigny y avait été mis en cause dans l’opération visant à l’élimination de Thomas Sankara).

Depuis 1987, bien des choses ont changé. Et les journalistes de JA ne manquent pas de le souligner : "Vous êtes quand même le seul à être aussi chouchouté par la France, les ONG, les organisations internationales", disent-ils à Compaoré. Qui, en bon Mossi, joue la modestie : "Les résultats sont là, répond-il, visibles sur le terrain, et nos partenaires apprécient. Compte tenu de la modicité de nos ressources, nous avons fait beaucoup d’efforts dans l’organisation, la gestion. Et puis, sur le plan intérieur, il y a un environnement de liberté qui se consolide chaque jour un peu plus".

Modeste mais déterminé : "Il faut se baser sur l’efficacité, le concret, pas sur la doctrine. Cela ne m’empêche pas de défendre la souveraineté de mon pays, de rejeter les étouffements dont vous parliez tout à l ’heure [les journalistes de JA avaient suggéré qu’une
"amitié française aussi démonstrative peut paraître étouffante"]. J’essaye de rester, je fais tout pour rester indépendant [...] Nous avons nos orientations, notre latitude d’actions et il faut accepter cela".

J’avais passé les derniers jours de 1994 au Cameroun pour assister à Foumban, en pays Bamoun, au Nguon 94 qui célébrait les 600 ans d’histoire de ce peuple dont le nouveau roi (il avait pris la suite de son père en 1992), le Sultan El-Hadj Ibrahim Mbombo-Njoya ayant été ministre et ambassadeur sous le président Ahmadou Ahidjo et ministre plus encore sous le président Paul Biya, n’était pas un inconnu pour moi. 1995 m’éloignera de chez moi pendant de longs mois : Cameroun et Gabon à plusieurs reprises, de très longues semaines à Bata et Malabo, en Guinée équatoriale, et surtout plusieurs mois en Côte d’Ivoire où Henri Konan Bédié, qui n’est encore que le successeur constitutionnel de Houphouêt-Boigny, engrange les bienfaits de la dévaluation.

Le lundi 2 octobre 1995, à quelques encablures de la présidentielle ivoirienne, un gigantesque forum a été organisé sur le thème : "Investir en Côte d’Ivoire". Jacques Godfrain y est présent. Et Paris s’engagera auprès du chef de l’Etat, ne doutant pas de son prochain succès.
"La France sera a vos côtés pour la grande période qui s’ouvre devant vous", affirme Godfrain à l’adresse de Bédié. Paris ne sait pas encore que le paradis ivoirien se trouve alors aux portes de l’enfer.

Début janvier 1996, via Bruxelles et Brazzaville, je débarque à Baïlundo, en Angola, dans le fief de Jonas Savimbi. Du même coup, je rate l’événement majeur, à Ouaga, début février 1996. L’Organisation pour la démocratie populaire (ODP-MT), parti présidentiel créé en 1989, s’est transformée en Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) qui se réclame de la sociale-démocratie. Du même coup, l’opposition libérale se regroupait en Alliance pour la démocratie et la fédération (ADF) sous la conduite de Hermann Yaméogo, toujours ministre d’Etat.

La création du CDP va être l’occasion, pour le Premier ministre, de donner son congé. La fin de l’année 1995 avait été difficile pour Roch Marc Christian Kaboré ; la presse ne manquait pas d’évoquer une "crise de confiance" entre le président du Faso et son Premier ministre.

A suivre
Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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