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Présidentielle 2005 : Les appréciations de Basile GUISSOU, DG du CNRST

Publié le jeudi 22 septembre 2005 à 07h58min

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Pr Basile Guissou

Maître de Recherches en sociologie politique, Basile GUISSOU est le directeur général du Centre national de recherches scientifique et technologique (CNRST). C’est une lapalissade que de dire que cet homme est averti de la « chose politique ».

Les discussions actuelles sur le sondage du CGD et l’article 37 de la Constitution nous offrent l’opportunité d’ouvrir nos colonnes à cet observateur bien trempé de la scène politique nationale pour recueillir ses appréciations sur des sujets aussi passionnants que passionnés. L’homme ne s’est nullement dérobé et cette interview qu’il a acceptée est riche d’enseignements.

Pour la première fois dans notre pays, un sondage d’opinion vient d’être réalisé sur des intentions de vote à des élections. Que pensez-vous de cette initiative ?

Pr. Basile GUISSOU (B.G.) : Il fallait qu’on y arrive un jour pour forger des instruments de mesure à même de dire à chacun ce que le sondage dit de lui. Il faut être fair-play et accepter toutes les réactions et encourager l’équipe du Pr. LOADA à mieux faire. Chacun doit chercher à comprendre cela, ça aide.

A quoi servent les sondages en politique ?

Pr. BG : Les sondages sont la preuve d’une volonté d’approche scientifique et mesurable des intentions de l’électorat en démocratie. C’est en quelque sorte une photographie en miniature de notre espace politique et de ses principaux acteurs. Chacun doit chercher à comprendre cela sans porter de jugement de valeur.

En tant que Maître de Recherche en sociologie politique, vu la démarche utilisée pour entreprendre ce travail, croyez-vous que les résultats auxquels les sondeurs sont parvenus sont fiables.

Pr. BG : Absolument ! C’est comme ça partout dans le monde. Les résultats sont fiables et c’est un travail qu’il faut continuer et améliorer. Les techniques sont les mêmes, universellement connues et éprouvées. Je pense que c’est un travail scientifique bien mené et qu’il faut savoir s’en servir.

Néanmoins, on a vu des élections démentir des sondages. Est-ce qu’on peut se fier effectivement aux résultats des sondages ?

Pr. BG : Ecoutez, si je prends l’exemple de la France, personne n’avait prévu LEPEN au deuxième tour des dernières présidentielles françaises. Ça veut dire que les sondages ne figent pas un électorat. Au contraire, c’est pour cela, que je dis que tout dépend de l’usage qu’on en fait.

On peut justement, parce que le sondage donne une certaine indication, travailler à faire évoluer l’électorat dans telle ou telle direction.
C’est donc un indicateur. Ça ne veut pas dire forcément que ce qui est sorti comme résultat d’un sondage, sera effectif le jour des élections.

Ne pensez-vous donc pas que les résultats auxquels on est parvenu peuvent avoir une influence sur l’élection à venir ?

Pr. BG : Pas forcément. Tout dépend. Je pense que tout dépend de l’usage pratique qu’on fera de ces résultats pour corriger, changer et imaginer d’autres démarches et engager des transformations en profondeur de tel ou tel côté. Ce n’est pas parce qu’on vous a donné vainqueur au sortir d’un sondage qu’il faut dormir. Si vous ne faites rien du tout en vous disant que vous avez par exemple 80 % des électeurs, il faut savoir que le jour des élections, ces 80 % peuvent dormir aussi.

Pour certains, le CGD n’est pas un institut spécialisé de sondage et par conséquent, il n’a pas pu garantir l’impartialité et le bon déroulement du travail, donc ses résultats sont nuls et non avenus, quel commentaire faites-vous de cette affirmation ?

Pr. BG : En fait ce sont des prises de position politiques. En tant que sociologue tout ce que je peux dire, pour être un institut spécialisé il faut avoir commencé un jour pour pouvoir se spécialiser dans la durée. Donc ça ne tombera pas du ciel. Cette spécialisation, on ne la maîtrise que par l’expérience. Il faut donc saluer le CGD d’avoir commencé et souhaiter que ça dure. C’est dans la pratique qu’on acquiert l’expérience. Je pense que cela va nous permettre d’arriver un jour à une maîtrise plus grande de la technique du sondage. Il faut donc encourager le CGD pour son travail.

Si on avait une opinion globale sur les tendances générales, on est quand même surpris de constater les piètres résultats de certains dirigeants de l’opposition. Comment jugez-vous ce fait. Et si on vous demandait des conseils pour les aider à améliorer leur notoriété, que leur diriez-vous.

Pr. BG : En tant que sociologue, il ne m’appartient pas de juger des résultats comme bons ou mauvais. C’est un fait politique que j’observe et que j’analyse. En militant politique, je peux me permettre d’apprécier et de juger. Mais savoir comment faire pour améliorer les performances de mes camarades à moi. Je ne m’occupe pas de juger ou de sanctionner les résultats de mes adversaires. Mon affaire, c’est de voir où sont les failles et de les exploiter. Parce que tout compte fait, seules les urnes décident, et non les sondages parce qu’ils ne constituent pas un vote.

Et si on vous demandait d’analyser, en tant qu’observateur, les performances des acteurs comme Blaise COMAPORE, Hermann YAMEOGO, Bénéwendé SANKARA etc. ?

Pr. BG : Ecoutez, moi c’est seulement pour mon candidat Blaise COMPAORE que je peux et dois publiquement me prononcer en tant que militant. Le reste n’est pas mon problème.

Que pensez-vous donc de la performance de Blaise COMPAORE ?

Pr. BG : Je suis satisfait. Mais je pense qu’il ne faut pas baigner dans l’autosatisfaction béate. Ce ne sont que des indications qui invitent chacun à savoir comment faire de telle sorte que le résultat du sondage soit aussi sinon confirmé par le haut c’est-à-dire par le résultat des élections.

Pour certains opposants, ce sondage est une manœuvre de votre candidat qui utilise le CGD comme un instrument pour légitimer les éventuelles fraudes qui pourraient subvenir aux prochaines élections présidentielles. Votre avis ?

Pr. BG : Bien sûr que je ne suis pas d’accord avec ce jugement péremptoire. Tout le monde sait qui est le professeur LOADA et ce que le centre représente dans notre pays. Je pense que c’est de la mauvaise foi que de vouloir partout voir la main de tel parti ou de telle personnalité politique.

On ne peut pas s’empêcher de vous demander votre avis sur la candidature de Blaise COMPAORE d’autant que l’article 37 qui parle des conditions d’éligibilité est très discuté actuellement ?

Pr. BG : Quel article est très discuté ? Par qui ? Si ce n’était pas légal et légitime, mon candidat ne l’aurait pas fait. Il a ma totale confiance. Pour moi, il connaît les textes comme nous tous, comme chaque citoyen. S’il veut être candidat, il se garantit qu’il remplit les conditions pour être candidat.

Maintenant ceux qui estiment que pour qu’ils gagnent il ne faut pas que mon candidat soit candidat, c’est leur affaire. Je pense que le reste c’est une fausse querelle sauf entre juristes. Les juristes peuvent toujours ergoter.
Rappelez-vous quand on faisait le fameux code français qu’on appelle le code Napoléon. Napoléon a dit à ses juristes : « Faites le clair-obscur de telle sorte que seul celui qui a le pouvoir l’interprète à sa faveur ». Que les juristes ergotent là-dessus, je trouve ça tout à fait légitime, mais pour tout le reste, je pense que chacun voit midi à sa porte.

Mais pour nombre d’opposants le Conseil constitutionnel qui doit trancher sur la question n’est plus qu’un appendice du parti au pouvoir et va donc décider dans son sens. Que pensez-vous de cette opinion ?

Pr. BG : Je répète que c’est une fausse querelle et je ne me sens pas concerné.

Une autre première pour ces élections, c’est l’informatisation du ficher électoral par la CENI.
Pensez-vous que cette attitude va crédibiliser davantage l’institution et les élections ?

Pr. BG : Bien sûr. Ce sont des techniques modernes et scientifiquement prouvées qui améliorent la qualité du travail. Donc automatiquement qu’on le veuille ou non c’est un plus. Oui, la CENI va se crédibiliser plus avec l’informatisation du fichier électoral.

Des voix s’élèvent pour dénoncer des insuffisances dans l’élaboration de ce fichier, croyez-vous vraiment que cette initiative de la CENI va empêcher la fraude au cours de ces présidentielles ?

Pr. BG : Ecoutez-moi depuis 1946, on vote dans notre pays. Et les vainqueurs ont toujours été accusés d’avoir triché et d’avoir fraudé. Ça n’a rien de nouveau ou de particulier.

Il faut avancer et travailler positivement pour éliminer la fraude qui n’utilise que les failles du système. Moins il y aura les failles moins il y aura les fraudes. Voilà ma position de principe. Sans être un connaisseur en la matière, je pense seulement que vaut mieux prévenir que guérir.

Les Burkinabè de l’étranger, parlons-en, ne votent pas. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

Pr. BG : Nous avons des techniciens, comme je le dis, qui se chargent des élections. Pour un observateur extérieur, c’est peut-être facile de dire qu’il faut que tout le monde vote. C’est un principe. Je ne vois pas pourquoi je peux m’opposer à ce qu’un citoyen burkinabè ait le droit de vote là où il réside hors du Burkina. Mais est-ce que techniquement et financièrement nous avons la capacité d’organiser et de réussir cela. Je prends un exemple précis. Aujourd’hui comment on peut aller à Bouaké où à Abidjan organiser les élections pour les Burkinabè.

Vraiment ne faisons pas dans la démagogie, il y a des techniciens, qui s’en occupent. Là où c’est possible et si nous en avons les capacités, je pense, que c’est faire en sorte que l’ensemble de la classe politique ait intérêt à faire participer tous les Burkinabè au jeu politique national. Je ne crois pas que ça soit une volonté délibérée d’éliminer Pierre ou Paul.

Les élections à venir ont une autre particularité, il y aura une multitude de candidats, est-ce là le signe patent de l’ancrage de la démocratie dans notre pays ?

Pr. BG : Ecoutez-moi, je vous ai dit que depuis 1946 on vote. La démocratie n’a pas commencé en 1990 au Burkina Faso. En 1978, il y avait plusieurs candidats à la présidentielle que je cite : Joseph KI-ZERBO, Joseph OUEDRAOGO, Macaire OUEDRAOGO et Sangoulé LAMIZANA. Il y a eu deux tours à la présidentielle après ballottage. Et LAMIZANA l’a remportée sur Macaire OUEDRAOGO d’une courte tête, environ de 100 à 200 000 voix.

En 1998, il y a eu plusieurs candidats. Ce n’est pas parce que les gens ont dit qu’ils ne vont pas aux élections qu’il faut dire qu’il n’y a pas plusieurs candidats. Il y a eu trois candidats qui étaient Ram OUEDRAOGO, Frédéric GUIRMA et Blaise COMAORE. Il faut être objectif. Qu’ils soient des candidats que les autres traitent d’accompagnateurs, de gâteaux ou de bifteck, ils ont été, on a voté pour eux et les résultats sont sortis des urnes. Et personne ne va gagner une élections à laquelle il n’a pas participé.
C’est un principe en démocratie.

Je ne peux pas dire que je ne pars pas aux élections mais j’ai gagné les élections parce qu’il y a eu 20 % d’abstention donc ces abstentions sont mes voix. Ce sont des méthodes qui ne sont pas bien comme démarche. Ce n’est pas sain.

Cette année nous sommes à une quinzaine de candidats, de toute évidence certaines de ces candidatures sont farfelues. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

Pr. BG : Actuellement nous avons 15 candidats, est-ce meilleur pour la démocratie ? Je suis plutôt sceptique. Je pense plutôt que ça frise la foire.

Il appartient à la classe politique elle-même de civiliser son organisation de rationaliser la lecture de la scène politique pour l’électeur que je suis. Parce que quand vous prenez les législatives, il y a eu 28 listes. Comment voulez-vous que l’électeur moyen qui n’est pas dans les arcanes de la politique tous les jours puisse se retrouver. Imaginez la feuille même des 15 candidatures qu’on va présenter à l’électeur pour faire son choix. Je pense que quelque part il y a du travail à faire pour rationaliser la procédure de choix et limiter aussi dans une certaine mesure les candidatures farfelues comme vous le dites.

Mais, pour certains analystes, cela marque la faillite de la classe politique dans son ensemble voir aussi de la société civile au sein de laquelle certains de ces candidats sont sortis.

Pr. BG : Je ne fais pas de commentaires particuliers là-dessus. Ce que je peux dire, c’est la presse qui doit commenter. En tant que sociologue, j’analyse les faits politiques, et faillite c’est trop fort selon moi. Je pense qu’il faut positiver pour dire simplement qu’il faut tirer les leçons du passé. Je prends un exemple simple. En 1978, le principe qui a été adopté par la classe politique c’était qu’on laisse tous les partis politiques compétir pour les législatives et au sortir des urnes, on retient les trois premiers, partis comme les partis légalement reconnus. C’est une formule. Et je ne pense pas que la classe politique d’aujourd’hui n’est pas plus bête que celle de 1978.

Elle est capable de s’asseoir et de trouver des mécanismes qui clarifient la lecture de la scène politique pour l’ensemble de l’électorat. Vous vous connaissez les nuances, moi personnellement si on me demande aujourd’hui de donner la signification des sigles de 15 partis sur la centaine qui existe, je n’en serai pas capable. Bien que ça soit mon métier de travailler sur la chose politique et je ne parle pas de ceux qui ne sont pas de spécialistes. Donc je pense que nous avons les capacités et les moyens d’améliorer la visibilité sur la scène politique.

Le CGD annonce un autre sondage mais cette fois-ci au niveau national. Pensez-vous que les résultats seront fondamentalement différents de celui de Ouagadougou ?

Pr. BG : Pourquoi ne pas attendre et voir aux résultats ? Local ou national, un sondage est un sondage. Il dit ce qu’il doit dire à ceux qui veulent prendre la peine de les analyser froidement, sans état d’âme et sans passion. Comme nous le disions à la Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France lorsque j’étais étudiant à Paris, nul n’a tort d’avoir parlé, à celui qui écoute de savoir en tirer son profit.

Entretien réalisé par Cheick Ahmed
Retranscription : Drissa TRAORE

L’Opinion

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