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Lettre ouverte au Premier ministre : ces prédateurs qui rongent

Publié le mardi 20 septembre 2005 à 07h12min

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A travers cette lettre ouverte adressée au Premier ministre, cet opérateur
économique revient sur la visite de Paramanga Ernest Yonli en Malaisie et
dénonce les lourdeurs procédurières, voire les blocages qui empêchent les
initiatives tendant à exercer librement le petit commerce. Il fustige, au
passage, la fermeture des petites unités industrielles.

NDLR : Pour des raisons d’éthique et de déontologie, nous avons remplacé
certains passages par des points de suspension entre parenthèses.

L’autre jour, devant le petit écran, nous devisions lorsque le journal télévisé
fut annoncé. Nous avons alors momentanément interrompu notre
conversation pour le suivre.
Le journaliste nous fit suivre en direct son collègue qui se trouvait quelque
part en Malaisie où une délégation de très haut niveau conduite par le
Premier ministre devait vendre l’image du Burkina par des échanges
commerciaux. Le correspondant disait aussi que les commerçants burkinabè
devaient profiter de l’occasion pour nouer des contacts avec leurs
homologues malais, pour des opportunités d’affaires. A ces mots, un de mes
voisins, commerçant de son état, bondit sur la télécommande et arrêta l’
émission.

Devant notre étonnement, il nous expliqua à peu près ceci :
« Nos dirigeants nous prennent pour des nez percés car la dernière fois,
j’étais avec une délégation semblable en Asie. J’ai pu y rencontrer quelqu’un
avec qui nous avons convenu que j’importerais son huile de soja au Burkina.
En retour, je devais être son intermédiaire pour qu’il ait certains produits
burkinabè.
De retour au pays, je me rendis au ministère du Commerce pour les
formalités d’importation. On m’y fit savoir qu’il fallait une autorisation spéciale
du ministre lui-même. J’en fis la demande, mais je n’ai jamais reçu de suite.

L’huile, que j’avais déjà fait embarquer, a été vendue à Lomé à des Maliens,
à perte."
C’est en lisant le journal "Le Pays" n°3459 du 14/09/05, en page 3, que je me
suis rappelé cette histoire. En effet, M. le Premier ministre, depuis la Malaisie,
a déclaré : "Dans dix ans, notre pays sera la première puissance économique
ouest-africaine, avec comme recette puiser une bonne dose de stratégies
dans l’expérience de la Malaisie."

Monsieur le Premier ministre,

Vous n’ignorez pas que l’Asie, et particulièrement la Malaisie, est une grande
productrice d’huile et que la plus grande opportunité d’affaires passe par ce
produit. Qu’espèrent importer les opérateurs économiques de ce pays, en
dehors de l’huile ?

"Nous ne sommes pas dupes"

Quand on sait que votre ministère du Commerce est très frileux quand on
parle d’huile ou de sucre (protection de certains intérêts oblige), que peuvent
attendre ces opérateurs économiques de cette virée, si ce n’est admirer le
paysage ?

Monsieur le Premier ministre,

A titre d’exemple, vous savez que l’Asie ne doit pas son essor économique à
des industries lourdes, mais bien à de petites unités artisanales bien
encadrées. Le Burkina étant un pays producteur de coton, une unité
artisanale d’huile peut y être une source de résorption du chômage.
Alors, si ce n’est pour protéger, non pas la santé du consommateur, mais
plutôt les intérêts de certains actionnaires qui rêvent toujours du système de
monopole :
- Comment comprendre alors que votre tout-puissant ministre du Commerce
ferme des unités artisanales au lieu de les encadrer ?
- Comment comprendre qu’au lieu de les fermer, on n’ait pas invité la CITEC,
pétrie d’expérience, à les encadrer et à établir entre eux un système de
partenariat ?

En refusant d’encadrer ces jeunes dans la production locale, votre
gouvernement les envoie à l’aventure, dont les conséquences sont parfois
désastreuses, comme ce fut le cas de ces rescapés au Cameroun. C’est alors
à ce moment que des larmes de crocodiles sont versées !
Bien sûr, la raison officielle invoquée est celle de la qualité, mais personne
n’est dupe.

La fermeture des unités artisanales de production d’huile est en
réalité une injonction de certaines unités existantes. Pour s’en convaincre, il
suffit de revoir le film de la Télévision nationale présentant la fermeture d’une
unité artisanale de production d’huile dans un quartier de Ouagadougou (...).
Pensez-vous que cette forme de gestion "à la République bananière" puisse
faire progresser l’économie d’un pays ?

La fermeture des unités artisanales par le ministère chargé de l’Artisanat est
un comble ! En effet, au lieu de les encadrer, de leur prodiguer des conseils
afin qu’elles produisent sainement, on les ferme. Lors du reportage de la
Télévision nationale sur cette opération, on a pu entendre un artisan justifier
sa « clandestinité » par le fait que des autorisations sont données à certains et
pas à d’autres, sans justification. Autre exemple :Au motif de régulation, les
petits commerçants n’ont plus droit de cité dans le commerce de l’huile, du
sucre, leur importation étant réservée à une poignée d’amis. Nous renions
par là nos propres textes sur la liberté de concurrence. C’est ainsi que des
cartons de sucre ont été saisis par ledit ministère, sous prétexte qu’il s’agissait
de produits fraudés(...).

"Ils n’ont pas honte de parler de légalité"`

Je vous suggère alors ceci :
- Puisque le ministre ne veut pas d’artisan, que ce mot soit rayé de la
dénomination du ministère.
- Puisque, sous prétexte de régulation du marché, la commercialisation du
sucre et de l’huile est confiée à des potes, les mots Commerce et Entreprise
n’ont plus leur place. On pourrait alors désormais dénommer ce ministère, le
ministère de l’Huile et du Sucre.

Monsieur le Premier ministre,

Vous savez, mieux que quiconque, que pour devenir une puissance
économique :
1- Les responsables malaisiens n’ont pas mis de l’argent sous les lits car la
thésaurisation tue l’économie ;
2- Les députés malaisiens ne se sont pas octroyé des kilogrammes d’argent,
contrairement aux nôtres, qui votent des lois à raison de 30 000 F CFA/jour, et
ne se sont pas octroyé des retraites sur la base du nombre de mandats. A ce
propos, un de nos illustres représentants expliquera qu’ils n’ont fait
qu’appliquer la loi. Or, cette loi a été votée par eux-mêmes ! Voilà des gens
qui se chatouillent pour rire.

- Au moment où le prix du carburant monte ;
- Au moment où les salaires des fonctionnaires sont bloqués depuis
pratiquement 2001 ;
- Au moment où nos braves paysans affontent la famine ;
voilà des gens qui augmentent leur butin et n’ont pas honte de parler de
légalité.
Enfin, au sujet de ces termites du Trésor public d’un autre genre, ouvrons
une parenthèse pour dire que la seule fois où nos braves députés auraient
pu briller, c’est lors des travaux de la commission d’enquête sur la qualité des
produits de grande consommation au Burkina Faso. Au lieu d’aller dans les
villages voir si l’eau des forages et autres puits est potable, nos enquêteurs
nous ont parlé de la qualité de l’eau minérale et du sel de table comme si le
commun des Burkinabè mangeait à table en buvant de l’eau minérale !

3 - la Malaisie n’a exclu aucune intelligence, aucune force ; elle a donné sa
chance et sa place à tout un chacun.

Monsieur le Premier ministre,

Ce sont là quelques faits qui pourraient compromettre votre optimisme.
Sachez que ce que les dirigeants pouvaient faire gober hier n’est plus
possible aujourd’hui car, comme on le dit, les gens ont les yeux ouverts. Et
comme donc demain se prépare aujourd’hui, commencez par faire de la
probité, de l’impartialité et du non-affairisme vos mots d’ordre, et
départissez-vous des prédateurs et autres affairistes. Alors seulement, le
Burkina espèrera compter parmi les puissances économiques dans dix ans.

Le Pays

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