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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (12)

Publié le vendredi 23 septembre 2005 à 10h27min

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2 juin 1994, lancement des Six engagements en réaction à la dévaluation du F. CFA

En octobre 1993, je suis dans le Sourou avec le député de Tougan, Sanné Topan, et le directeur général du Fonds national pour la promotion de l’emploi (Fonape), Ousmane Jean-Marie Sourabié.

Le projet d’Aménagement et de mise en valeur des périmètres irrigués du Sourou (AMVS) vise la "colonisation" de cette vallée par des "diplômés" de l’université sans emploi.

Ils sont volontaires ; ce qui ne résoud pas les difficultés mais comme le disait l’un d’entre-eux : "Il faut gérer les réalités qui sont les nôtres. Nous sommes totalement maîtres de notre destin ici" ; un autre ajoutait : "Je sais aujourd ’hui que l’on peut faire beaucoup de choses rien qu’avec la volonté". Pas de rogne ni de grogne devant "l’étranger".

Mais il est évident que l’implantation n’est pas facile. On ne devient pas agriculteur du jour au lendemain. Plus encore quand on a aspiré à autre chose. Alors on fanfaronne : "Dans la vie, il ne faut pas désespérer. Il faut prendre exemple sur l’expérience américaine. Les agriculteurs sont à la base de la vie politique aux Etats-Unis. Nous aussi nous ferons fortune et nous pèserons sur la vie politique du Burkina Faso". Il Y a douze ans de cela. Ces garçons et ces filles approchent aujourd’hui de la quarantaine. Que sont-ils devenus ? Qu’est devenu le Sourou et son rêve ? Quand à Topan, qui a été directeur du cabinet du président du Faso, il est actuellement ambassadeur à Bamako.

La question reste posée de savoir comment l’Etat peut susciter la création d’emplois sans s’impliquer totalement. En 1993, j’avais suivi également, sur le terrain, les réalisations de l’agence Faso-Baara (littéralement : "Bâtissons le Faso J’J, spécialisée dans les travaux d’intérêt public à forte intensité de main-d’oeuvre. J’avais vécu des expériences similaires partout dans la sous-région. Avec des résultats mitigés. C’est Seydou Idani qui en était alors le patron. Il a été confronté à bien des difficultés. Là encore, douze ans plus tard, le bilan reste à établir.

C’est dans toutes ses composantes que la société burkinabè bouge en ces années 1990. Dans le bon sens. Avant d’aller dans le Sourou,j’avais assisté, parmi plus de 1.500 délégués, à la première Conférence annuelle de l’administration publique (Caap 93).

Cinq jours de débats et de travaux pour amener l’administration burkinabè à tendre vers l’excellence. Elle n’était pas la pire du continent, bien au contraire ; mais, au fil des années, elle avait perdu de son efficience. Et la fin de l’Etat providence obligeait à reposer la question de son rôle et de son mode de production. L’objectif était de dresser un "bilan sans complaisance de l’action administrative" et de "définir de nouvelles orientations".

C’est le type de manifestation que les Burkinabè savent réussir. La classe politique est omniprésente, ministres et députés, etc. ; ainsi que la haute administration et les représentants des fonctionnaires ; mais aussi l’armée et la société civile à travers ses organisations : Ligue des consommateurs, Chambre de commerce, syndicats, etc. Le débat est riche, dense, contradictoire ; on ne parle pas pour ne rien dire ; à la tribune les interventions sont strictement limitées. Pas question de "frimer" ou d’occuper le terrain ; il s’agit d’être efficace et cohérent.

C’est incontestablement le plus formidable travail "politique" auquel il m’ait été permis d’assister. Juliette Bonkoungou, ministre de la Fonction publique et de la Modernisation de l’Administration, a fait un travail formidable. Quand je le lui dis, saluant sa résistance, elle me répond simplement : "Nous avons la faiblesse de penser que notre peuple est exceptionnel". Juliette Bonkoungou n’est pas la seule a être montée au front pendant la Caap 93.

Le Premier ministre, Youssouf Ouédraogo, n’a pas ménagé sa peine, loin de là. Il avait, dès l’ouverture, dégagé les perspectives ; il dressera le bilan. "La réussite, dira-t-il, c’est de savoir qu’il n y en a pas, et que tout doit être remis en cause chaque jour [...] J’ajouterai que notre chance au Burkina" et on ne le mesure pas souvent assez, c’est d’avoir la chance de pouvoir nous asseoir périodiquement ensemble non seulement pour nous remettre en cause mais également pour rechercher les solutions concertées à nos problèmes [...] C’est cela aussi la culture du dialogue social et professionnel. C’est cela aussi la culture de la démocratie consensuelle, telle que développée par le Programme de large rassemblement".

La fin de l’année 1993 et le début de l’année 1994 vont avoir un impact considérable sur l’évolution future du Burkina Faso. C’est, tout d’abord, le 7 décembre 1993, l’annonce officielle de la mort du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny ; né un mardi (kouadio en baoulé), il est mort un mardi. Hospitalisé à Paris puis à Genève, le "Vieux" avait regagné la Côté d’ Ivoire le 19 novembre 1993. Il sera resté absent 189 jours ; il avait renouvelé sa confiance à son Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara, avant de quitter Abidjan. La mort du chef de l’Etat ivoirien ouvre la porte à la dévaluation du franc CF A.

Dans cette opération, le Burkina Faso (au contraire de son puissant voisin, exportateur de nombreux produits mondiaux) n’a rien à gagné ; mais beaucoup à perdre. Dès 1992, Compaoré avait conduit le front des" antidévaluation" à Dakar puis à Paris ; il est vrai qu’il présidait alors l’Umoa (future Uemoa). Compaoré a entre les mains un rapport confidentiel intitulé "Aperçu sur l’impact de la dévaluation du franc CF A dans l’Umoa et ses conséquences au Burkina". Ce document d’un quarantaine de pages a été rédigée en août 1992 (pour sa première version ; il y en aura d’autres) par mon ami Pascal Zagré, ancien ministre et alors conseiller aux Affaires économiques au ministère délégué chargé du Plan.

Ouaga acceptera la dévaluation au nom de la "solidarité monétaire". Dès le 17 janvier
1994 (la dévaluation a été annûncée le mercredi 12 janvier à Dakar à 20 heures 50), le Premier ministre, Youssouf Ouédraogo, va s’adresser aux députés du peuple à l’occasion d’une session extraordinaire. Le chef du gouvernement est préoccupé par les "risques de dérapages sociaux et politiques qui pourraient apparaître [...] compte tenu des effets inflationnistes induits et de la baisse subséquente du pouvoir d’achat des travailleurs".

Annonçant les premières mesures prises, il en appelera au "sens élevé de solidarité nationale, de civisme et de re.sponsabilité pour
permettre au Burkina Faso de retrouver rapidement les chemins de la croissance et du progrès". Je vais vivre en vraie grandeur cette dévaluation. Je suis alors au Burkina Faso où, le jeudi 13 janvier 1994, j’ai assisté à la cérémonie d’inauguration du barrage hydroagricole et hydroélectrique de Bagré, dans la province du Boulgou.

La dévaluation n’est pas une véritable surprise ; mais elle ne manque pas de créer bien des désagréments quand on est un "étranger", plus encore un Français habitué à vivre, en Afrique noire francophone, en francs français. C’est à la station Shell de Tenkodogo que je vais en faire l’expérience ; le pompiste encaisse des francs français au nouveau cours et rend la monnaie à l’ancien cours. Le samedi j’explique l ’habile jeu financier à Youssouf Ouédraogo (qui est, bien sûr, à son bureau pendant le week-end - nous sommes ici au Burkina Faso) alors que nulle part on ne veut changer les francs français contre des francs CF A, pas même dans les banques.

La dévaluation au Burkina Faso a été vécue comme un examen important que le pays aurait raté. Sans session de rattrapage ou un possible redoublement. On n’y apprécie guère non plus que ce soit à Ouaga que Michel Roussin, notre ministre de la Coopération, ait choisi d’annoncer que les Africains "étaient maîtres de leur monnaie" et qu’une éventuelle dévaluation était de leur "seul ressort". "Jamais la France ne pourra y avoir la moindre influence" avait-il déclaré le vendredi Il décembre 1993 à l’issue de la V ème session de la grande commission mixte de coopération franco-burkinabè. "Si le Burkina Faso est maître de sa monnaie, que faisait Michel Roussin à Dakar ?" me demandera-t-on.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La dépêche Diplomatique

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