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Décentralisation burkinabè : Les profondes ambiguïtés d’une évolution

Publié le lundi 12 septembre 2005 à 06h51min

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Depuis la France où il réside, Mahamoudou Siribié dit Perez continue de suivre de près l’actualité du "Pays des hommes intègres". Dans l’article ci-dessous, il s’intéresse à la question de la décentralisation.

A l’époque coloniale,le gouverneur était le représentant de la métropole dans une colonie. D’aiileurs, au temps fort de la colonisation française en Algérie, Jacques Soustelle était nommé le 1er février 1955 gouverneur général de l’Algérie en remplacement de Roger Léonard.Quatre jours plus tard,c’est-à-dire le 5 févier 1955, intervenait la chute du gouvernement de Pierre Mendès France.A partir de 1958,avec la naissance de la Vème République française,le général Charles de Gaulle favorisa l’accès des anciennes colonies à l’indépendance. Une page de l’histoire d’une partie de L’Afrique était tournée et avec elle,celle des gouverneurs des colonies.

Cependant, à l’aube du XXIème siècle, quarante ans après " le soleil des indépendances", l’esprit du "gouvernorat" refait surface au Burkina dans le cadre de l’actuelle politique de Décentralisation. Certes,les acteurs ont changé,mais la manière de penser et d’agir est la même.Une telle pratique politique met en évidence les évolutions ambigues de la décentralisation burkinabè. Le citoyen burkinabè participe-t-il activement aux prises de décisions dans cette nouvelle donne politique ? "La décentralisation à la burkinabè" ne cache-t-ele pas des enjeux politiques sous-jacents ?

En lieu et place d’une véritable décentralisation,
ne va-t-on pas vers une dérive centralisatrice du régime de la IVème République ? Autant de questions qui suscitent réflexions et analyses.

Les autorités de la IVème République semblent être soudain frappées d’une amnésie providentielle par rapport à leur programme de " développement solidaire" lancé dans les années 90. Ce programme de "développement solidaire" a été sacrifié sur l’autel d’une politique ultra-libérale économique avec ses conséquences sociales désastreuses. Paradoxalement, cet ultra-libéralisme n’est pas accompagné d’un véritable libéralisme politique qui implique la redistribution du pouvoir décisionnel par le truchement de la démocratie participative, l’un des éléments de la démocratie procédurale, c’est-à-dire la participation électorale.

Et, c’est la décentralisation à travers la politique des collectivités territoriales ou locales qui allait être le socle de cette impulsion participative des citoyens burkinabè à la gestion de l’action publique. Mais la réalité est toute autre : la décentralisation burkinabè est appliquée à l’envers. Je vais le démontrer à travers des exemples récents liés à la gestion des communes et la politique de régionalisation dans le cadre de la décentralisation.

La participation du citoyen est inexistante

Le citoyen burkinabè participe-t-il aux prises de décisions dans cette nouvelle donne politique ? La réponse est non. En effet,les collectivités territoriales dans la voie de la décentralistion sont des structures adiministratives, distinctes de l’administration de l’Etat. Les collectivités territoriales doivent prendre en charge les intérêts de la population d’un territoire précis. Une collectivité territoriale n’est pas un Etat dans un Etat.

Elle jouit d’une autonomie administrative. Ainsi, une commune,par exemple la commune de Ouagadougou, est-elle chargée des intérêts des personnes vivant sur son territoire. Le conseil municipal est élu par la population(la démocratie procédurale) et le maire investi du pouvoir exécutif,prépare les décisions du Conseil municipal. A ce niveau-là,une première étape est franchie:l’étape des élections.

Toutefois,la décentralisation burkinabè ( Loi n° 041/98 AN du 6 août 1998 modifiée par la loi n° 13/2003/AN du 2 juillet 2003),si elle n’était pas appliquée à l’envers aurait permis d’aller au-delà de cette première étape de la démocratie procédurale.
L’absence de démocratie locale pose donc le problème de la place du citoyen dans la vie des collectivités territoriales ou locales.Comment un citoyen peut-il participer et contrôler l’action des élus locaux ?
Dans le cadre des collectivités décentralisées,la participation du citoyen aux décisions locales est inexistante.

Or,cette participation du citoyen est conçue comme un corrollaire nécessaire du processus de décentralisation. L’accès à l’information,préalable indispensable à toute participation,les différentes consultations locales telles que les commissions locales du débat public ou encore le budget participatif, sont autant d’éléments liés à l’idée de décentralisation.Par exemple, l’idée du budget participatif consiste à laisser aux habitants d’une ville l’action de gérer le budget de la ville.Ce sont eux, en effet,qui décident quelles rues doivent être goudronnées en priorité et où doivent s’ouvrir des centres de santé.Leur parole est souveraine quant à la manière et au moment où l’argent doit être dépensé.

Cela a pour avantage de donner une gestion saine et transparente des collectivités locales.Les récentes révocations des bourgmestres de certaines
villes du Burkina sont une parfaite illustration de "cette symphonie inachévée qui s’apparente à une cacophonie enchevêtrée" qu’est la décentralisation. Mais en sanctionnant ces élus locaux,les autorités sanctionnent leur propre politique de décentralisation mal ficélée ! C’est une reconnaissance implicite des nombreuses défaillances des structures décentralisées. Et on n’a pas le courage de le reconnaître publiquement.L’approche des élections municipales du 12 février 2006 y est pour quelque chose.

La participation absente, le citoyen ne dispose d’aucun moyen de contrôle de l’action des élus locaux,qui est une composante essentielle de la vie démocratique locale. Ce pouvoir de contrôle découle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui édicte le droit, pour tous les citoyens,"de constater,par eux-mêmes ou par les représentants,la nécessité de la contribution publique et d’en suivre l’emploi"(article 14) et qui stipule que"la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration"(article 15).

Sinon comment peut-on expliquer des problèmes"d’attribution des parcelles à Ouahigouya ?"(le Pays n°8086 du 18/08/2005) ou peut-être dans d’autres localités passées sous silence, ou encore ces"querelles foncières sur parcelles politiques à Koudougou"(Journal du jeudi n°724 du 4 au 10 août 2005). Comment comprendre
ces"deals de parcelles" dans la commune de Bobo-Dioulasso selon le Rapport REN-LAC de 2004 ? Un travail intéressant du REN-LAC. Mais qu’en est-il de "la corruption politique à grande échelle" occultée dans ce rapport ? Un sujet sensible que l’on évite d’aborder à l’approche de l’élection présidentielle du 13 novembre 2005,car s’il y a "un corrompu,il y a forcément un corrupteur".

Il faudra bien en parler car la décentralisation, c’est aussi l’éthique et l’honnetêté politique.La liste est longue.En réalité,"le mal de la décentralisation burkinabè" est profond, très profond.Aujourd’hui, la refonte de la décentralisation s’impose.Il faut réconcilier les burkinabè avec la décentralisation. Que se passe-t-il au niveau de la politique de régionalisation ?

Une déconcentration territoriale renforcée

La nomination des gouverneurs des 13 régions du Burkina, deuxième axe de mon analyse doit susciter aussi inquiétudes et incertitudes. Pourquoi ? Pour la simple raison que la démocratie territoriale dans le cadre de la décentralisation est également absente de cette politique de régionalisation.Quel est le rapport qui existe entre la décentralisation et la régionalisation ? Tout d’abord, la décentralisation est un transfert de compétences de l’Etat à des institutions distinctes de lui, les collectivités territoriales ou locales. Celles-ci bénéficient alors d’une autonomie de décision et de leur propre budget (c’est le principe de la libre administration). Il ne faut pas confondre la décentralisation avec la déconcentration territoriale.Celle-ci consiste aussi en une délégation de compétences à des agents ou organismes locaux,mais appartenant à l’administration d’Etat.

A la différence de la décentralisation,ils(les préfets,les haut-commissaires et autres) sont soumis à son autorité et ne disposent d’aucune autonomie.Au Burkina,il existe un" ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation" dirigé par Moumouni Fabré.Ce ministère avait pour mission de lancer un mouvement de décentralisation qui aurait contribué, j’en suis convaincu, à transformer la société burkinabè. Avec le transfert de pouvoirs nouveaux aux élus locaux,la démocratie territoriale aurait vu le jour,les attentes s’exprimeraient mieux et des réponses plus concrètes seraient apportées.

Mais en lieu et place de la décentralisation,on assiste plutôt à la mise en place d’une déconcentration territoriale renforcée avec la nomination des gouverneurs de régions.On est donc très loin de l’idée de la décentralisation dont font partie les régions. Dans la voie de la décentralisation,les gouverneurs de régions sont issus du suffrage universel.Ils ne sont pas nommés.En clair,ils sont élus par les citoyens pour une durée déterminée.

Le conseil régional issu du suffrage universel transfère le pouvoir exécutif au gouverneur du Conseil régional et établit que le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région avec la participation et le contrôle du citoyen burkinabè.Or les autorités de la IVème République en posant le primat exclusif des gouverneurs par la voie de la nomination(1) comme moyen de "développement" et de"progrès" des régions,dénient aux acteurs sociaux,premiers concernés de toute action de développement la capacité participative à l’action.

Pouvoirs accumulés et mal exercés

La politique de régionalisation devrait associer les acteurs burkinabè à l’effort d’une puls ample réflexion sur les projets de développement pour pouvoir passer à l’action."Le devoir de chaque citoyen est de rechercher le bien et l’intérêt de la nation" disait Beaumarchais, dramaturge français du XVIII siècle. La distribution du pouvoir décisionnel par la voie de décentralisation est l’une des bases d’une transformation politique,sociale et économique.

La déconcentration territoriale renforcée,c’est-à-dire la décentralisation appliquée à l’envers débouche inévitablement sur les pouvoirs accumulés et mal exercés par l’Etat."La verticale du pouvoir donne naissance à la concentration et assassine le pouvoir".(2)Comment concevoir en plus le cumul d’une fonction nominative avec une fonction élective dans un système démocratique ? C’est le cas par exemple du"préfet-maire" de Bérégadougou dans la région des Cascades.L’angélisme du"gouvernorat" n’est pas la solution au développement du Burkina.

Au contraire,il est l’un des symboles de la régression démocratique:la très forte centralité étatique et politique,source de conflits socio-politiques ;l’exclusion des populations due à un manque d’émancipation politique,source de violences protestataires ;les profondes ambiguïtés du système du"gouvernorat" avec ses nominations et ses limogeages(le limogeage récent du gouverneur de la région de l’Est,le commandant Victor Emmanuel Kam,remplacé par le colonel Kilmité Théodore Hien)...la Décentralisation de la IVème République au lieu d’instituer une transparence de la vie publique burkinabè est plutôt utilisée comme une épée de Damoclès sur les préfets, les hauts-commissaires, les gouverneurs, les maires. Et pendant ce temps,les citoyens désabusés,assistent impuissants à la "comédie du pouvoir".

Ce que nous faisons aujourd’hui nous engage durablement ; autant agir en toute clarté et bâtir une authentique décentralisation républicaine car il s’agit de l’intérêt de nos concitoyens. L’autre exigence est celle aussi de préparer l’avenir en investissant le champ de l’innovation sociale,politique,économique,culturelle,citoyenne, pour conduire des politiques publiques de développement audacieuses,conformes aux valeurs de démocratie et de solidarité,respectueuses des capacités contributives des burkinabè.

Mahamadou SIRIBIE (siribiemahamadou@wanadoo.fr)

Le Pays

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