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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (2)

Publié le lundi 12 septembre 2005 à 08h25min

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Entretien en tête-à-tête avec le capitaine Blaise Compaoré le 18 juin 1989 (cf LDD Burkina Faso 062/Lundi 15 août 2005). Il est tendu quand j’aborde les questions politiques ; moins crispé quand j’évoque la vie quotidienne.

L’objectif du Front populaire, me dit-il, est
"une démocratisation très large de notre société et la transparence dans la composition des appareils de direction de l’Etat". Selon lui, par le passé, le Conseil national de la révolution (CNR) a évolué dans" la clandestinité" et les Comités de défense de la révolution (CDR)"fermaient l’accès à la direction politique du pays". Il veut que "les militants connaissent les hommes qui les dirigent, que l’on sache qui fait quoi au sein de la direction politique".

La vision qu’il a de la gestion des affaires publiques est encore très militante, structurée, organisée. C’est un "comité exécutif" qui est chargé "de concevoir, d’orienter, de préciser la politique à suivre". Le gouvernement est chargé de l’application. Un ministre assure la jonction entre le "comité exécutif" et le gouvernement et veille à une bonne communication. Voilà pour les orientations politiques dont l’objectif est "le renforcement de la démocratie", non pas dans le pays mais au sein de son appareil dirigeant.

Au plan économique, c’est le capitalisme d’Etat, le libéralisme ayant "montré, partout, ses limites" et "le retour à la privatisation [étant] prôné par ceux qui ont mis en place un capitalisme d’Etat mais l’ont mal conçu et mal organisé". Compaoré prône également l’intégration régionale. "Le Burkina, malgré ses efforts, ne pourra se développer que s’il s’engage, avec les autres Etats de la sous-région, dans une politique commune de développement. C’est un impératif. De la même façon, nous ne pouvons pas développer notre pays sans mettre en place une infrastructure de base".

Il évoque alors les projets de chantier des barrages de Bagré et de Noumbiel, l’interconnexion électrique avec la Côte d’Ivoire et le Ghana. Il souligne également que "souvent, notre service de la dette [il parle pour l’Afrique en général] représente le double de nos recettes d’exportation. Mathématiquement, il ne nous est pas possible de payer. Dans cette impasse, il faut trouver des formules nouvelles, afin que nos pays ne disparaissent pas économiquement".

Quand j’évoque avec Compaoré la manière dont il vit sa présence à la tête de l’Etat, il me répond : "Nous appartenons à des pays où l’Etat n’est pas encore une machine bien huilée. .Je me retrouve donc avec une forte concentration de responsabilités : chef de l’Etat, chef du gouvernement, responsable des armées, président du comité exécutif, chargé de la coordination de la préparation du congrès [il s’agit du congrès du Front populaire qui s’est tenu en janvier
1990]. Hélas, plutôt que le travail, c’est le temps qui me manque". Il ajoute : ".Je dois effectivement reconnaître que je ne suis pas toujours bien organisé entre les tâches gouvernementales, les rencontres internationales, les tournées en province, les meetings, etc. ".

Par la suite, la démocratisation de la vie politique et la mise en place des institutions permettront de déconcentrer le pouvoir. Compaoré, certes au sommet, n’aura plus cette omniprésence qui, alors, compte tenu du passé récent du pays, pouvait paraître pesante même si le chef de l’Etat burkinabè n’avait rien d’un tribun, ni d’un maître absolu. De la même façon, l’organisation interne de l’Etat, sa place dans la vie économique du pays, l’intégration sous-régionale, les grands projets, etc. resteront des constantes de ses discours et de son action.

Il faut, surtout, ne pas perdre de vue le contexte historique. Nous sommes à la mi-juin 1989. Il n’y a pas encore deux ans que Compaoré a accédé au pouvoir dans des conditions dramatiques. La situation politique est loin d’être stabilisée même si elle tend à être apaisée (mais il est encore difficile, pour un journaliste, de travailler efficacement hors du contexte "officiel" compte tenu des multiples tracasseries administratives et policières qui restent la règle).

Au plan international, c’est l’ancien patron de la CIA, George Bush, qui a pris la suite de Ronald Reagan à la Maison Blanche. A Berlin, le mur n’est pas encore tombé. A Paris, François Mitterrand entame tout juste la deuxième année de son deuxième septennat et ce n’est que l’année suivante, en 1990, qu’il prononcera son "discours de La Baule". Certes, l’Afrique bouge mais personne n’imagine encore que la décennie 1990 va être celle des grands séismes.

Dans ce contexte national et international, Compaoré n’est pas encore en rupture avec le passé. Bien au contraire. Il me l’affirme : "Le Front populaire n’est que la continuité de la Révolution. Nous n’avons jamais nié notre passé. Nous avons toujours cité le Dop [le Discours d’orientation politique du 2 octobre 1983]. Nous assumons notre passé sans problème. Un événement, aussi douloureux qu’il soit, ne peut être une entrave morale ou spirituelle à la marche en avant du processus révolutionnaire. Nous avons frôlé l’impasse en 1987. Notre peuple a vécu dans une situation de misère morale telle que nous avons cru vivre la fin du
processus révolutionnaire. Mais, grâce à l’énergie, aux potentialités, aux initiatives créatrices du peuple, nous sommes parvenus à remettre le processus révolutionnaire sur les rails et à aller au-delà de ce que nous avions déjà réalisé".

"Aller au-delà de ce que nous avions déjà réalisé".
Cette phrase exprime plus qu’aucune autre ce qui me semble motiver Compaoré (et son équipe). Et marquer la différence entre ce qui se fait au Burkina Faso et ce qui ne se fait pas ailleurs : une vision développementaliste du pouvoir ! Aller de l’avant en intégrant les expériences du passé : c’est l’acquis majeur de la Révolution burkinabè. Jusqu’à présent les pouvoirs en place à Ouagadougou (comme trop souvent ailleurs en Afrique) avaient une vision patrimoniale de la tâche à assumer : au mieux, on gère l’existant ; Compaoré entend révolutionner la société burkinabè. Et, me précise-t-il, "nous n’avons aucun complexe à rectifier ce qui a constitué des erreurs du passé ".

Par ailleurs, le passé révolutionnaire de Compaoré lui a apporté une certaine vision du monde contemporain qui influe sur son action nationale et internationale sans pour autant l’influencer. C’est-à-dire qu’il a conscience des rapports de force qui régissent le monde mais n’en fait pas un casus belli : c’est ce qui le différencie du capitaine Thomas Sankara qui aimait affirmer de façon tonitruante (mais parfaitement "gauchiste") ses convictions idéologiques.

Ainsi, évoquant avec Compaoré le langage toujours radical des responsables politiques burkinabè, il me précisait : "Les souffrances qu’endurent les pays du Tiers Monde aujourd’hui, sont le résultat de l’impérialisme, c’est-à-dire d’une domination économique et politique. C’est une réalité, ce n’est pas un langage d’extraterrestre [...]. La situation que vivent actuellement les producteurs de matières premières, nos agriculteurs, qu’est-ce que c’est si ce n’est pas de l’impérialisme ? Nous sommes dans une civilisation de la marchandise. Nous sommes régis par des mécanismes anonymes. Ce ne sont pas Mitterrand, Bush ou Tatcher qui pourront y changer quelque chose. Ce phénomène insaisissable brise les hommes et détruit les Etats ".

Pour Compaoré, pas question de "mettre son drapeau dans sa poche". Pas question, non plus, de n’être qu’un drapeau. Avant d’être un leader, il entend être un chef d’Etat qui s’efforce de construire l’avenir. Si "Mitterrand, Bush ou Tatcher" ne changeront rien à la donne internationale, c’est donc aux Burkinabè de prendre en charge, eux-mêmes, leur destin. C’est ce que sous-entend l’affirmation de Compaoré. Mais ce ne sera pas, pour autant, une chose facile. C’est que la société burkinabè, comme toute société, est traversée de multiples contradictions et c’est aussi que les luttes d’influence ne manquent pas au sein de l’appareil de direction du pays.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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