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Elections au Sénégal : Pouvoir et oppositon à couteaux tirés

Publié le jeudi 8 septembre 2005 à 08h05min

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Le report des élections législatives de 2006 au Sénégal et leur couplage avec la présidentielle de 2007 envisagés par l’homme du "Sopi", divisent la classe politique du pays.

Pour justifier sa décision, le président de la république, Me Abdoulaye Wade, invoque l’impérieuse nécessité de faire prioritairement face aux drames des inondations de Dakar avant de penser aux échéances électorales. Les fonds qui devraient servir à l’organisation de ces législatives, explique-t-il, vont être affectés à la construction de nouveaux logements pour les sinistrés dakarois. A ces ressources financières, viendront s’ajouter d’autres, précédemment destinées à la célébration de la fête nationale de l’indépendance. Au total, c’est environ 52 milliards de francs CFA qui seront mobilisés pour affronter la calamité.

De leur côté, les opposants au chantre du "Sopi" estiment que la décision de jumeler les deux élections est inacceptable. Prise unilatéralement, elle est, selon eux, contraire aux dispositions constitutionnelles stipulant la séparation de la tenue desdits scrutins ; des dispositions que le président Wade aurait, lui-même, contribué à mettre en place quand il était encore dans l’opposition. Pour Moustapha Niasse, ancien Premier ministre, "tout report des législatives, à une période se situant au-delà des échéances prévues par la loi, est une violation de la Constitution qui fixe la durée des mandats des députés et du président de la République, de manière précise".

Si le jumelage des législatives avec la présidentielle semble traduire, chez le successeur d’Abdou Diouf, une volonté de prendre à bras le corps une question sociale non prévue par la loi fondamentale parce qu’imprévisible, il représente pour les opposants, une stratégie du Parti démocratique sénégalais (PDS), en profonde crise avec l’affaire d’Idrissa Seck, pour redorer son blason. A leur avis, loin des réelles préoccupations des sinistrés, le plus célèbre chauve de Dakar entend plutôt se servir de leur détresse pour séduire l’électorat et partant, remporter les scrutins à venir.

A travers le report et le couplage, le pouvoir sénégalais vise, selon eux, à inverser la tendance en sa faveur, le parti présidentiel étant,en ce moment, en proie à une certaine déliquescence liée à des dissensions internes. Or, toujours selon leur logique, le maintien des échéances électorales initiales leur aurait été plus favorable au regard des difficultés actuelles du PDS. D’où cette farouche opposition des adversaires politiques du président Wade.

Les leaders de l’opposition sénégalaise, à force de s’opposer à la volonté affichée de l’un des pères du NEPAD de reculer la tenue du scrutin au profit d’une cause sociale, ne vont - ils pas finir par se mettre à dos les populations ? Ils courent en effet le danger de ne pas être sur la même longueur d’ondes que ces dernières.
Certes, une élection est une chose et une inondation en est une autre. Il est vrai aussi que le pays de Léopold Sédar Senghor regorge d’hommes et de femmes éclairés à même d’avoir une lecture objective de la situation.

Mais tous les Sénégalais touchés de près ou de loin par la catastrophe sauront-ils se départir de leurs émotions et faire la part des choses même si les récriminations des opposants sont, dans une certaine mesure, compréhensibles en ce sens qu’en dehors du report du scrutin, d’autres alternatives, comme le prélèvement d’un impôt spécial sur les revenus, pouvaient être explorées par le pouvoir ? Les membres de l’opposition sénégalaise ne risquent - ils pas de paraître, aux yeux de leurs concitoyens, comme des personnes préoccupées par la conquête du pouvoir au détriment de la résolution des problèmes du peuple ? Cela est fort probable.

Qu’à cela ne tienne, les opposants du Sénégal font là, preuve d’un courage qui mérite d’être salué à sa juste valeur. Ailleurs, sur le continent, cette décision du report et du jumelage des deux scrutins serait passée comme une lettre à la poste. Le présent débat sur les échéances électorales au Sénégal fait, en effet, penser à ce qui s’est passé au Burkina où le pouvoir a décidé d’inverser le calendrier électoral pour des raisons, semble t- il, de trésorerie, sans qu’il y ait une réaction similaire de la part des opposants.

Ces derniers se sont contentés de dénoncer du bout des lèvres la mesure.
Or dans le cas du Sénégal, l’opposition a tellement mis la pression sur le pouvoir que le sujet sera au coeur de la prochaine rencontre entre le président Wade et elle. D’ailleurs, elle n’écarte pas la possibilité de descendre dans la rue et de recourir à tous les moyens légaux possibles si le chef de l’Etat s’entête à maintenir sa décision.

On le voit, tout cela est fonction de la qualité des opposants sénégalais, peu enclins à toute compromission avec le pouvoir. Ayant les moyens de leurs ambitions politiques, ils ne s’en laissent pas conter par le pouvoir. Et lorsque Moustapha Niasse dit qu’il ne rentrera dans aucun gouvernement du président Abdoulaye Wade, ce n’est pas du bluff. C’est une question de conviction pour lui. Une chose très rare sous nos cieux. Comme sont rares également des députés de l’opposition qui refusent toute prolongation de leur mandat pour quelque prétexte que ce soit.

Mais au-delà des opposants, c’est l’ensemble du système démocratique sénégalais qu’il faut saluer. Ainsi, malgré les pouvoirs que lui confère la constitution pour diriger le pays, le président Wade privilégie systématiquement le dialogue avec son opposition sur les grands sujets d’intérêt national. Cette maturité de la classe politique sénégalaise, gage de cohésion nationale et de stabilité politique, fait malheureusement défaut dans beaucoup d’Etats du continent.

Le Pays

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