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Lettre aux médias sur le sondage politique réalisé par le CGD

Publié le mercredi 7 septembre 2005 à 08h22min

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Le CGD a réalisé un sondage politique qui est en train de faire l’objet d’une très grande médiatisation. Il y ressort principalement que Blaise Compaoré devrait remporter au premier tour, et haut la main, les élections du 13 novembre prochain.

Revenons un peu sur ce sondage (annoncé par certains comme la merveille qu’on attendait) pour laisser l’opinion juger de ce travail au vu des réflexions et des questions ci-dessous qu’il inspire.

Considérations générales

En admettant qu’il y ait eu totale volonté de transparence de la part du Centre, ce qui reste à vérifier comme nous le verrons plus loin, il faut souligner que tout le monde ne prend pas les sondages comme paroles d’Evangile. Il faut les relativiser car souvent largement relayés par les médias, les enquêtes sont réputées par une partie de l’opinion comme confisquant la légitimité des acteurs politiques et celle de la base en affirmant détenir la "véritable" opinion publique alors qu’il ne saurait exister "une" opinion publique et une seule. Plus spécifiquement, peut-on se fier à un sondage politique réalisé dans un pays où règne une pseudo-démocratie pour ne pas dire une dictature voilée ?

Déjà que dans les pays de liberté, les répondants ont une certaine tendance à tricher avec la réalité et à ne pas dire avec franchise leurs choix quand ils sont des partisans de mouvements extrêmes ou même des abstentionnistes convaincus, à n’en pas douter, au Faso, ils auront encore plus tendance à ne pas exprimer avec franchise leurs choix ! Rappelons-nous que certains citoyens se sentaient obligés de voter pour le parti au pouvoir juste parce qu’on leur avait dit qu’il fallait faire "attention à bien choisir" dans l’isoloir, le pouvoir ayant des techniques pour pouvoir lire à travers l’enveloppe ! En recevant des sondeurs, ou même en les entendant au téléphone, on peut comprendre que les sondés aient du mal à dire du bien des opposants et encore plus à dire qu’ils vont voter contre le régime en place !

Par ailleurs, on doit relever qu’il n’y a pas au Faso de commission de sondages comme dans les pays de démocratie avancée (France, USA, Suisse...) pour veiller à l’impartialité et au bon déroulement des sondages. Dans ces pays, les instituts de sondage sont regroupés dans des associations professionnelles et obéissent à des directives très strictes pour la réalisation de sondages politiques, surtout ceux destinés à être publiés avant les scrutins. L’absence d’une telle commission et de telles directives ôte forcément de la crédibilité aux sondages effectués dans ces conditions.

Sans compter que d’une manière générale, et de plus en plus dans les pays où les instituts font des sondages politiques, il est noté une volatilité de l’électorat et un nombre d’indécis qui atteint des niveaux inquiétants. Les sondages en France notent souvent qu’à quelques jours des élections, on peut trouver des taux de 40% d’indécis ou de personnes susceptibles de changer d’avis. Aucun sondage, malgré les techniques pointues qui existent en France n’avait prévu que Le Pen viendrait en ballottage avec Chirac.

En outre, il y a que le CGD n’est pas un véritable institut de sondage, comme on en rencontre dans les pays occidentaux avec des moyens et des compétences idoines pour effectuer un tel travail. En France, on sait que la SOFRES est un institut de sondage et rien que cela ; il n’est pas un organisme qui lutte pour la bonne gouvernance, pour la démocratie. Lisez d’ailleurs sa mission : "Notre métier est centré sur une expertise forte : l’étude des opinions, des attitudes, des motivations et des comportements des citoyens, des consommateurs et des cibles professionnelles, pour aider les décideurs à piloter leurs stratégies marketing et de communication, que celles-ci concernent des marques, des produits, des idées, des hommes, des entreprises ou des institutions". Il se contente de sonder les gens, de publier les réponses précises à des questions précises et limitées sans en analyser les résultats.

Mais quand on examine la mission fondamentale du CGD, ainsi qu’on peut le lire sur son site, ce n’est pas de faire des sondages, c’est "de promouvoir la gouvernance démocratique, c’est-à- dire les principes et les processus de la démocratie, ainsi que les institutions de la bonne gouvernance, qui favorisent la participation, la transparence, l’imputabilité, l’efficacité, l’Etat de droit et la recherche du consensus autour des choix économiques, sociaux et politiques". C’est vrai que rien ne lui interdit de faire des sondages mais le faire à une période si proche des élections, avec un nombre anormalement élevé de questions, laisse interrogateur !

Sur un autre plan, le fait d’accoler, sur la couverture du rapport le nom du Centre culturel américain qui a appuyé le travail financièrement, amène à penser qu’il cautionne les résultats et donne en tout une bonne image à ce sondage. Cette mention aurait pu apparaître en petits caractères, en deuxième page, voire à la fin du sondage. Ça n’a pas été le cas !

Il y a enfin que tout le monde sait que le Pr Loada, patron du puissant et florissant CGD, a eu une position première claire concernant l’article 37 et que par la suite, il s’est tu, plongeant le peuple dans moult interrogations. De là à estimer que le Centre n’était pas le mieux placé pour réaliser un sondage à vocation politique en toute impartialité, il y a un pas que beaucoup ont franchi !

Voilà pour les considérations générales

Sidérations spécifiques

Ce rapport contient en premier lieu, des contradictions et aussi des appréciations tendancieuses. Comment se fait-il par exemple, ainsi que l’a relevé le Pr Ibriga dans l’Opinion, que tout le monde veuille voter pour celui qu’ils estiment avoir fait leur malheur au niveau de la pauvreté, de l’insécurité ? Faut-il être absurde ? Et les résultats laissent encore plus perplexes quand on sait que ce sondage a été réalisé dans la région du Centre, région où les résultats des élections de 2002 étaient très serrés. A quel score faut-il donc s’attendre pour Blaise Compaoré lors de la diffusion du sondage national en octobre : 85 % ? On peut le croire !

Pour ce qui est des appréciations tendancieuses, le rapport fait par exemple état de phrases injurieuses vis-à-vis d’un opposant radical, qui ont obligé les sondeurs à arrêter leur interview. Pourquoi en avoir fait état ? Pour mettre dans l’esprit des gens que la majorité elle, n’a pas d’ennemis ? On peut le penser et du coup, aller même jusqu’à penser qu’une injure faite à l’endroit du candidat du parti au pouvoir n’aurait peut-être pas été relevée !

Dans son introduction également, le Centre affirme que la CENI "reste le plus consensuel des organismes électoraux qui se sont succédé sous l’actuelle 4e République". Quand on se rappelle qu’en 2002, il y avait 57 élus du CDP contre 54 se réclamant de la différence, et qu’aujourd’hui, le pouvoir a récupéré par le fait de corruption et de scissions commanditées par lui, environ 30 élus, il faut en conclure que forcément la CENI (qui n’a pas connu de réaménagements dans sa composition, laquelle faisait déjà l’objet de critiques), est loin d’être une structure consensuelle ! Quand on pense par ailleurs que cette dernière n’a pas accepté les demandes de Alternance 2005 au sujet de la loyauté des scrutins à venir, on peut se poser des questions sur cette prise de position du CGD.

Lorsque le Centre estime que si le parti au pouvoir a regagné le terrain perdu en 2005, c’est parce que les partis d’opposition burkinabé "ont été confrontés à des dissidences et défections internes qui les ont affaiblis, illustrant ainsi l’une de leurs principales faiblesses, à savoir l’absence de sens tactique et stratégique, et surtout, son incapacité à s’unir", on peut raisonnablement y voir un jugement de valeur en faveur du pouvoir.

Même si on se dit que certains de ces aspects existent à l’opposition, il n’était pas loyal de les monter en neige à l’occasion de cette enquête même si on imagine que c’est exactement ce que voulait le pouvoir qui lui, s’en repaît, surtout si en plus, on ne retrouve rien à dire contre la majorité. La majorité n’a pas fauté, elle ? Pourquoi a-t-elle accepté tant de partis ? Est-ce la faute des opposants ? Que dire des coups d’Etat faits avec la complicité du MATD aux partis d’opposition (PAI, ADF-RDA..) ?

Que dire de toutes les régressions en matière démocratique dénoncées régulièrement par les opposants depuis 2002, de l’implantation anti-républicaine de structures du parti-Etat dans l’administration, mesure justement dénoncée par le PDP/PS.. ? Et ces médias presque tous récupérés par le pouvoir, cette TNB aux ordres qui tue dans l’œuf la démocratie...?

Pour ce qui est de l’enquête elle-même, on se serait normalement attendu à la grande question du moment : Blaise Compaoré a-t-il ou non le droit de briguer plus de deux mandats ? Elle n’a pas été jugée capitale par le Centre pour la gouvernance démocratique. C’est dommage et ça devrait donner à réfléchir !

Il y a aussi que le rapport a souligné que ce sondage a connu un réel "engouement" de la part des populations, tout le monde voulant répondre, enlève un peu de crédibilité à cette enquête que d’aucuns pourraient assimiler à un micro-trottoir à partir duquel on aurait extrait les gens répondant aux critères recherchés : sexe, âge, profession... En tout état de cause, il aurait été utile d’expliquer comment les choses se sont passées exactement.

Il ressort qu’il n’y a pas eu, et c’est là l’une des plus grandes défaillances de cette enquête, de questions clairement posées aux sondés. En tout cas, c’est ce qui ressort du rapport. Il s’est agi de constats. Et, pas moins de 12 constats affirmatifs et tous positifs concernant Blaise Compaoré. Parmi ces constats, il fallait choisir par "d’accord, pas d’accord, ne sait pas ou sans réponse" : et alors, au niveau de la formulation, c’est du pain béni pour le pouvoir. Lisez plutôt quelques constats : "Le président Compaoré fait beaucoup de bonnes choses pour le Burkina" et encore "le Président Compaoré est un vrai-démocrate" ou toujours "le Président Compaoré tient ses promesses" etc.

A ce stade, on a envie de dire que la cause est entendue, tant le parti-pris est manifeste d’amener le sondé à répondre par l’affirmative. Outre que ça ne semble pas professionnel, c’est scandaleux. On note d’ailleurs que les constats relatifs à tous les candidats sont formulés différemment, ils sont froids. Il faut juger de leurs "actions passées, présentes ou futures" avec ce panel de réponses : "beaucoup, quelques, très peu, aucune, ne sait pas ou sans réponse".

Par ailleurs, on comprend qu’on ait posé des questions sur les bilans passés et présents pour le candidat Compaoré mais ces questions ne s’imposaient pas pour les autres candidats qui n’ont pas du tout géré le pays : Ali Lankoandé, Laurent Bado... ou qui n’ont participé qu’à des gouvernements de coalition ou d’ouverture, où donc ils n’ont pas eu tout le loisir de faire ce qu’ils entendaient : Hermann Yaméogo, Ram Ouédraogo... On aurait pu surtout poser des questions simples aux sondés, sans risque de les embrouiller, du style : Souhaitez-vous ou non le changement ? Ça n’a pas été le cas.

Nombreuses questions...

Mais bien d’autres questions viennent ensuite à l’esprit dont celles ci-dessous.

Qui a commandé le sondage ? C’est important à savoir car le commanditaire, qui est le payeur, espère bien voir sa position confortée suite au sondage ! On ne le sait. Si le Centre l’a fait de son propre chef, il aurait pu garder les résultats par- devers lui pour une étude générale à publier après les élections, ce qui se fait fréquemment en Europe pour éviter d’influencer l’électorat surtout qu’il n’est pas un institut spécialisé de sondage et qu’au Faso, ces enquêtes en sont à leurs balbutiements. Ça n’a pas été le cas.

Peut-on se fier à un sondage politique réalisé seulement dans une ville même si c’est la capitale ? Mais plus grave, ce sondage ne va-t-il pas influencer et le sondage national prévu pour septembre et le vote lui-même ? Beaucoup pourront le penser.

Le choix des sondés laisse aussi à désirer. Pense-t-on vraiment qu’à Ouagadougou, la capitale, il puisse y avoir, sur 1200 sondés, 383 paysans ? La question a d’ailleurs été soulevée par l’Evénement .

Par ailleurs, ne serait-ce que sur ces sondés- agriculteurs, on imagine que peu parlaient la langue de Molière ; il a fallu forcément traduire du français en langue vernaculaire et vice-versa, reprendre les constats, donner peut-être des explications. Avec une telle liberté de manœuvre, on peut parfaitement, si l’on n’est pas au-dessus de tout soupçon, arriver à dénaturer les résultats. Ce n’est pas pour jeter la pierre aux sondeurs, mais il faut reconnaître que cette faculté d’influencer le sondé est loin d’être à négliger surtout dans nos contrées du fait de l’analphabétisme et du faible niveau d’éducation..

Pourquoi, alors qu’on parle de présidentielle, on parle de ceux qui ne sont pas candidats à la présidentielle : Simon Compaoré, Salif Diallo, Roch Marc Christian Kaboré et Paramanga Yonli... ? Ils viennent dans cette enquête comme un cheveu dans la soupe, comme pour perturber le sondage. Pourquoi n’avoir pas parlé d’autres opposants comme Alain Zoubga, Marlène Zébango, Derra Adama, Ba Sambo...?

Conclusion

Même si le CGD "tient à rappeler que les résultats présentés ici doivent être interprétés comme des rapports de force à la période de l’enquête du 27 juin au juillet 2005 et, en aucun cas, comme prédictifs des résultats le jour du vote" ce sondage, tel qu’il a été fait, tel qu’il est en train d’être médiatisé (la dépêche circule dans le monde entier. la PANA, jeune Afrique l’Intelligent...), peut être assimilé à une tentative de légitimer le président sortant inconstitutionnel avant même les élections, avec ce message à en déduire en filigrane :

"Avis à tous, de l’intérieur comme de l’extérieur. Blaise Compaoré qui peut parfaitement se présenter, va passer au 1er tour. Et en interne seulement : sachez donc choisir le bon camp ! "

Ouédraogo Rasmané,Etudiant

Sidwaya

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