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Alternance 2005 : périple pédagogique au coeur de la crise ivoirienne

Publié le dimanche 4 septembre 2005 à 00h00min

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Du 25 août au 1er Septembre 2005, " ALTERNANCE 2005 " a, sur invitation du Professeur Mr Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, effectué une visite d’amitié et de travail dans ce pays en crise depuis plusieurs années.

Représenté par son Coordonnateur Monsieur Issa Tiendrébéogo, Secrétaire général du GDP et par Me Hermann Yaméogo, Président de l’UNDD, ce groupe était accompagné par trois journalistes, à savoir Messieurs Liermé Somé, Directeur de publication de l’Indépendant, Yacouba Ouédraogo, Directeur de publication du " Citoyen " et Mathieu N’Do, Directeur gérant du journal San Finna.

LES RAISONS D’UNE TELLE VISITE

Pourquoi avoir invité des partis politiques de l’opposition burkinabé ? Qui, mieux que l’initiateur de l’entreprise, en l’occurrence Mr Mamadou Koulibaly, pouvait situer le cadre de cette visite ? "La diplomatie parlementaire est telle qu’on ne peut pas se contenter d’inviter seulement les hommes de pouvoir. Il faut aussi, par rapport à notre situation particulière et par rapport à la vie démocratique en Afrique, et à la liberté de l’Assemblée nationale, inviter l’opposition. Avant la visite d’ALTERNANCE 2005 en Côte d’Ivoire, l’Assemblée nationale a reçu, à mon invitation, le président de l’Assemblée nationale du Burkina, Mr Mélégué Maurice Traoré. Ce n’est donc pas nouveau ". " D’ailleurs ", a-t-il ensuite ajouté, " Quand Laurent Gbagbo était dans l’opposition, il a toujours été l’invité de Blaise Compaoré. Il n’y a pas de raison de rompre avec ces belles traditions ".

Et du côté d’ALTERNANCE 2005, pourquoi avoir accepté une telle invitation ? Issa Tiendrébéogo explique : " Nous sommes venus avant tout pour délivrer un message de paix à nos frères ivoiriens et contribuer à notre modeste niveau, à la recherche de solutions à la crise ivoirienne dont les conséquences se répercutent négativement sur l’ensemble de la sous-région. L’objectif d’ALTERNANCE 2005 est d’intercéder auprès des autorités pour qu’elles ne fassent pas d’amalgame entre les Burkinabé en les confondant systématiquement à des assaillants ; son souci est de visiter les compatriotes, de rencontrer la classe politique sans distinction, FPI comme G7. Son but n’était donc pas de pratiquer de l’ingérence car, comme allait le préciser par la suite Hermann Yaméogo, " l’ingérence est justement ce que nous ne cessons de dénoncer au Burkina Faso ".

DES AUTORITES DISPONIBLES AU DIALOGUE

La première visite de la délégation fut rendue au Ministère de la Réconciliation nationale de Côte d’Ivoire. Le premier responsable Mr Tanoh Djédjé, reçut ses visiteurs en compagnie des députés ivoiriens William Attébé et Emile Giéreoulou, représentant le président Mamadou Koulibaly. Après les salutations d’usage, Mr Issa Tiendrébéogo prit la parole pour situer le cadre de la visite, présenter la délégation burkinabé. Il fit également un bref historique d’ALTERNANCE 2005, sa composition et ses objectifs.

Me Hermann Yaméogo prit ensuite la parole pour ajouter que l’opposition burkinabé, dès les premiers moments, avait axé ses propositions de sortie de crise sur la nécessité d’une recherche de solutions économiques et sociales pour gérer les flux migratoires vers la Côte d’Ivoire en invitant les institutions financières internationales à promouvoir l’emploi dans les pays à fort taux d’immigration comme le Burkina. Il insista sur la nécessité pour les autorités ivoiriennes d’adresser des signaux forts " qui rassureraient nos compatriotes vivant en Côte d’Ivoire ".

Dans sa réponse, le professeur Djédjé exprima sa fierté devoir des hommes politiques burkinabé venir à eux dans le cadre d’une recherche de solutions à la crise. Son Ministère, dira-t-il, a déjà entrepris plusieurs actions visant à harmoniser les rapports entre autochtones et allogènes là où des discordances existent, et dans le cadre des problèmes liés au foncier, mettre en application les lois votées par l’Assemblée nationale. Des comités de réconciliation et de paix ont été institués pour aider à ce travail. Me Yaméogo avança alors l’ idée d’un tête-à-tête Laurent Gbagbo/Blaise Compaoré car pour lui, la recherche d’une paix sous-régionale exige une concertation avec les protagonistes extérieurs, supposés ou avérés.

La délégation se rendit ensuite à l’Ambassade du Burkina Faso en Côte d’ivoire. Elle fut reçue par son Excellence Mr Ilboudo Emile, en présence de Mr Tiaré Eric, Conseiller général et de Mr Ambroise Balima, Consul général du Burkina en Côte d’Ivoire. En dépit des sourires qui s’affichaient, on ne peut pas dire que cette visite fut la plus chaleureuse du séjour. La nervosité était visible chez nos diplomates. Mr Issa Tiendrébéogo explique que le groupe était à Abidjan dans le cadre d’une invitation du Président de l’Assemblée et qu’il avait pour intention de rencontrer les compatriotes. A son tour, Me Yaméogo prit la parole, félicita l’Ambassadeur et son équipe pour le travail abattu en dépit des difficultés.

Il expliqua que le souci du groupe était d’apporter une contribution et il expliqua qu’en s’adressant aux compatriotes, les membres du groupe leur diront que s’ils contribuent économiquement au développement du pays, il était temps qu’ils y contribuent politiquement en prenant part à la vie politique nationale. Puis, Issa Tiendrébéogo s’enquit de leur situation actuelle, ce à quoi le conseiller Tiaré répondit que s’ils avaient été informés plus tôt de la visite d’ALTERNANCE 2005, ils auraient préparé des documents y relatifs. A ce stade, on peut se demander s’il y avait besoin de temps et de documents pour confier, ne serait-ce que ces impressions, sur la situation des Burkinabé résidant en Côte d’Ivoire. La presse burkinabé et ivoirienne a pu constater jusqu’où était poussée l’obsession du secret d’Etat !

La visite se poursuivit au Port autonome d’Abidjan. Cette visite, non prévue au départ, fut effectuée sur demande expresse de son directeur général qui, ayant appris la présence d’hommes politiques burkinabé, tint à leur présenter cette structure gigantesque dans laquelle travaillent nombre d’opérateurs économiques burkinabé. Un tour du propriétaire fut effectué par bateau, après les présentations d’usage. La délégation fut surprise d’apprendre que le trafic global des marchandises du Burkina, après une chute vertigineuse en 2002, 2003, connaît des hausses spectaculaires depuis 2004. Les chiffres des sept premiers mois de l’année 2005 offrent une hausse de 42,8 % par rapport à 2004. La visite du port s’achèvera par un déjeuner offert par le Directeur général, Mr Marcel Gossio.

Du port, la visite se poursuivit au Conseil économique et social. Le patron de la grande institution, Laurent Dona Fologo, lui-même une quasi institution, reçut ses visiteurs. Après les discours d’entrée d’usage, il expliqua qu’il était peut-être l’un des hommes les mieux placés pour parler de la crise car n’étant pas du FPI et ayant suivi de bout en bout, en tant qu’acteur, l’évolution des événements. Il le fit de façon circonstanciée pour finir par dire que le Burkina et de la Côte d’Ivoire sont deux pays qui forment un couple auquel est interdit le divorce et qu’entre les deux peuples, il ne saurait y avoir de mésentente sérieuse.

La boucle de cette journée marathon fut bouclée par la visite rendue à Mr Mel Eg Théodore, ministre de l’Intégration régionale. Il dit entre autres être heureux de constater la similitude des idées sur la question de l’intégration sous-régionale et sur la nécessité d’engager des actions de résorption de l’immigration incontrôlée. Il révéla que son Ministère étudiait en ce moment même un projet de création de zones de transit sur les frontières entre la Côte d’Ivoire et le Burkina et entre le Ghana et la Côte d’Ivoire ; ces zones devant servir par exemple à l’installation d’usines qui fourniraient de l’emploi et contribueraient ainsi au freinage des flux migratoires.

LES GRANDES ETAPES DU PERIPLE

Avant d’affronter l’intérieur du pays, les représentants d’ALTERNANCE 2005 ont d’abord rencontré le 27 Août, les compatriotes d’Abidjan sans exclusive, partisans ou non de l’opposition. Ceux-ci, en délégations venues d’Anyama, Abobo, Adjamé, Marcory, Koumassi, Anoumambo, Sans-fil, Trechville, Bingerville, Grand-Bassam et Yopougon, ont voulu entendre leurs hommes politiques.

Echanges sans tabou qui ont porté sur le racket, le droit de vote, l’article 37, les déclarations de Me Yaméogo sur RFI que quelques-uns ont voulu dénoncé ou comprendre. A toutes ces questions, des réponses satisfaisantes ont été apportées. Des langues s’étant déliées, des révélations seront faites sur les multiples actions de sabotage, l’instrumentalisation de relais au sein des Burkinabé vivant à Abidjan pour tenter de les dissuader de venir à la rencontre et à l’écoute de leurs élus, en leur faisant croire qu’ils ne reviendraient pas vivants ? C’est que la visite d’ALTERNANCE 2005 n’était pas désirée par tout le monde, surtout au Burkina.

Ainsi, apprendra-t-on également que le séjour du président togolais à Yamoussoukro avait entre autres objectifs, de dissuader son Homologue ivoirien de laisser venir les opposants en Côte d’Ivoire. Mais quoi qu’il soit plus facile de détruire que de construire, la " mayonnaise " de la destruction n’a guère pris. Dans toutes les localités visitées, les Burkinabé de Côte d’Ivoire se sont mobilisés et d’une manière si massive qu’à elle seule, cette mobilisation signe l’échec de ceux qui ont usé de tous les artifices pour tenter de ternir le succès de ce périple.

Après Abidjan, la tournée à l’intérieur du pays débuta le 28 Août par San Pedro, ville portuaire de la pointe sud-ouest du pays, située à 450 km d’Abidjan. San Pedro abrite une forte communauté burkinabé, bien structurée en associations diverses, coiffées par Mr Amédée Ouédraogo, installé dans la localité depuis plus de 50 ans. La rencontre toujours ouverte permit des échanges également sans complaisance. Puis ce fut au tour de Soubré, plus particulièrement Meagui.

Cette localité est réputée pour un fait : les ressortissants burkinabé surpassent en nombre les populations autochtones ; ils y détiennent l’essentiel de l’économie, ils y prospèrent dans le café, le cacao, l’huile de palme. Il y aurait plusieurs milliardaires parmi eux. Après quoi, la délégation s’est rendue à Garango, à Koupéla, Tenkodogo et Bouaflé. Après une nuit à Yamoussoukro, ce fut l’apothéose à Koudougou, localité qui rassembla un monde fou venu des villages environnants visités la veille. C’est à peine si on se serait senti en Côte d’Ivoire avec les noms de ces villages, les parents retrouvés..

" CE QUE NOUS SOMMES VENUS VOUS DIRE "

La très grande mobilisation des Burkinabé de Côte d’ivoire, à chacune des rencontres, oblige au constat que ceux-ci avaient besoin d’entendre et d’être entendus par rapport à leur situation. Et de fait, depuis le déclenchement des évènements, c’est la première fois que l’occasion leur était donnée d’échanger avec des hommes politiques venus du pays. Nos ressortissants n’ont donc pas boudé leur plaisir et ont ainsi conféré aux échanges, un très grand intérêt. Mais qu’est-ce qu’ALTERNANCE 2005 a dit à ses compatriotes ?

- d’abord, le groupe a donné des nouvelles du pays : la pluviométrie assez bonne cette année, le déficit alimentaire très grave, l’apparition du choléra mais aussi l’insécurité grandissante avec des attaques à main armée même en plein jour

- puis, il a présenté le groupe et parlé de ses objectifs et ambitions. Il a présenté les trois candidats et expliqué la stratégie électorale

- le groupe a ensuite parlé de sa vision de la crise ivoirienne : documents à l’appui, il a dénoncé les ingérences du pouvoir burkinabé dans les affaires intérieures des autres Etats et expliqué qu’il avait été le premier à dénoncer la tentative de renversement des institutions et à proposer des solutions de crise mettant l’accent sur la mise en œuvre de mécanismes de financement des pays enclavés et défavorisés pour parvenir à une résorption progressive de l’immigration

- le groupe leur a également parlé du nécessaire droit de vote des Burkinabé de Côte d’Ivoire, eux qui contribuent de manière si importante au développement de leur pays en y injectant chaque année, pas moins de 20 à30 milliards de fcfa. Les responsables d’ALTERNANCE 2005 leur ont fait savoir qu’ils méritent en définitive d’être même représentés à l’Assemblée nationale afin que leurs problèmes spécifiques y soient débattus et résolus.

- Me Yaméogo a spécifiquement expliqué la nécessité, pour le processus de réconciliation, d’initier une rencontre entre Blaise Compaoré et Laurent Gbagbo à laquelle participeraient l’opposition et la société civile de chacun des deux pays.

LES PRINCIPALES PREOCCUPATIONS DE NOS COMPATRIOTES

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les problèmes fonciers qui préoccupent le plus les Burkinabé mais les tracasseries des forces de l’ordre. Comme l’a si bien exprimé un compatriote à Méagui, lorsqu’ils négociaient des lopins de terreaux autochtones, aucun homme de loi n’était présent. Le marché se concluait sous un arbre. Aussi, lorsque des problèmes d’ordre foncier sont survenus, c’est sous le même arbre qu’ils discutent pour s’entendre. Ils ont reconnu qu’avec la pression démographique de plus en plus grande, les problèmes fonciers se posent de manière générale mais ne sont pas spécifiques aux Burkinabé. Les autochtones eux-mêmes entre eux (Baoulé et Bété par exemple) connaissent de nombreux conflits liés à l’occupation des terres. Ce qui préoccupe donc le plus, ce sont les tracasseries des forces de l’ordre. Qu’ils aient des papiers réguliers ou non, ils sont systématiquement soumis au racket et à la maltraitance. Si avant il fallait donner 500 F pour s’en sortir, aujourd’hui il leur est facilement réclamé 10.000 F.

A ce sujet, le député ivoirien Emile Guiereoulou, président de la Commission des affaires générales et institutionnelles de Côte d’Ivoire, qui accompagnait la délégation, a expliqué que le racket était un problème qui préoccupait au plus haut point les autorités et qu’eux-mêmes n’y échappaient pas. Il a reconnu l’ampleur du phénomène jamais égalé du fait de laguerre. Il a demandé aux compatriote de les aider à apporter leur contribution à la résolution de la crise, tout le monde y ayant intérêt.

Avant de quitter Abidjan, une conférence de presse a été donnée à l’Assemblée nationale par le Président Mamadou Koulibaly et ses invités. Répondant aux préoccupations de la délégation, il dira toute la disponibilité des responsables ivoiriens à élargir les intervenants à la résolution de la crise, aux autorités burkinabé. Issa Tiendrébéogo remerciera les autorités, les Burkinabé pour leur accueil et regrettera seulement qu’ALTERNANCE 2005, bien qu’ayant sollicité le G7 pour une rencontre, n’ait pu obtenir de rendez-vous avec ce dernier qui avait fait savoir qu’il eût été possible de le rencontrer mais avant leur visite à l’intérieur du pays.

Lamine Koné

San Finna

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