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Echec des intellos africains en politique : Bado, Gbagbo et Wade, les meilleures illustrations

Publié le mardi 23 août 2005 à 08h26min

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"Les richesses ne sont point aux intelligents ni la faveur à ceux qui ont de la connaissance" ; cette vérité biblique semble s’appliquer aux intellectuels africains en politique. On pourrait ainsi dire : "La réussite politique n’est point aux intellectuels africains".

Dans les lignes qui suivent, K. Justin Tionon dépeint l’échec politique de nos intellectuels, dont Laurent Bado, Laurent Gbagbo et Abdoulaye Wade sont les meilleures illustrations. Le premier nommé est un enseignant émérite, à tort appelé professeur, même si une telle désignation se conçoit dans son sens générique et non au plan académique. Pour autant, ce n’est pas sur le terrain juridique et intellectuel qu’on le prendrait en défaut. Nous sommes de ceux qui ont eu l’honneur de le compter parmi les meilleurs enseignants de la Faculté de droit.

La pédagogie est chez lui un art achevé. Il n’a pas habituellement besoin de grandes circonvolutions pour expliquer les concepts les plus complexes en droit public. Il est si généreux en idées, s’appuyant sur sa riche connaissance de l’histoire politique antique et moderne pour situer constamment à ses auditoires d’avance acquis, les fondements et la charpente de la bonne gouvernance politique, économique, sociale et administrative.

A l’écouter, il incarne la vertu, s’occupant plus de la façon dont il va mourir que des choses bassement ( ?) matérielles. Il est l’auteur de ce que certains désignent sous la théorie des trois B, qu’il dit être caractéristique du Burkinabè, aux antipodes de la vertu que lui seul incarne. Il est ainsi parvenu à s’ériger, dans l’opinion publique, comme un modèle d’intellectuel honnête, incorruptible, dépositaire des grands principes de la République. Pendant longtemps, on a pu le comprendre, comme feu François Mitterrand avait dit de feu Thomas Sankara : "S’il ne fait pas maintenant ce qu’il fait, quand le ferait-il ?".

"Le mythe du roi est tombé..."

Mais lorsque l’on reste longtemps sur le seul terrain de la théorie, l’on finit par se laisser habiter par un angélisme qui, au contact des réalités, peut ne plus prendre que la forme d’une chimère. Le réveil devient brutal, comme ce qui arrive au parent du PAREN. S’il a un mérite, c’est d’avoir ouvert nos yeux sur les motivations ou faiblesses ( ?) incidentes des nombreux candidats à notre bonheur.

Dans ce sens, Laurent Bado rappelle à mes bons souvenirs le héros du "Monde s’effondre" du célèbre écrivain nigérian Chinua Achebe. La leçon du roman est implacable : "C’est le milieu qui fait l’homme, et non l’inverse". Ma sentence, comme on le voit, n’est pas aussi péremptoire que dans les autres écrits sur Laurent Bado. En effet, à son sujet, tous les genres littéraires et journalistiques auront été utilisés : jusqu’à ceux qui ont perdu ou sont déçus à trop attendre.

Mais posons la balle à terre ! Ce qui est arrivé à Laurent Bado est l’illustration parfaite de l’échec si humain, au plan politique, d’un intellectuel, comme de tant d’autres, principalement les sus-nommés, même si Abdoulaye Wade aurait raison de me faire l’honneur d’une assignation en justice pour l’injure à lui faite d’être comparé à Laurent Gbagbo (ce n’est pas pareil, comme qui dirait).

Au sujet de Laurent Bado, on peut prononcer une autre sentence, plus magnanime : le mythe du roi est tombé, vive le roi ! Ce qu’il convient donc maintenant de demander à Laurent Bado, c’est de se taire, parce qu’avec son entêtement à s’expliquer et à se justifier, nous avons fini, non par accepter, mais par comprendre. Il reste cependant digne d’intérêt, parce que symbolisant à mes yeux, à côté de tant d’autres, l’échec des intellectuels africains en politique.

"Les dérives de notre camarade"

Sur la liste, on peut citer Laurent Gbagbo, qui a eu le courage historique et politique de s’opposer au vieux Houphouët, homme fait Dieu sur terre. Avec Gbagbo, nous ne reconnaissons plus le camarade avec lequel nous devrions partager les idéaux de justice, d’intégration, de l’internationale-socialisme. Quand je pense à l’histoire de la Côte d’Ivoire, c’est toujours avec une profonde affliction : j’aime le pays et son peuple.

Je crois compter parmi les plus belles années de ma vie agitée, celles que j’ai passées dans ce pays. Nous n’avons malheureusement pas mis longtemps à attendre pour constater chez le camarade (cette désignation n’a plus de sens, même chez nous), qu’au nom de la conservation du pouvoir, la fin justifierait les moyens, et qu’il conduirait son peuple si hospitalier à enfourcher le cheval de la haine, de la xénophobie et de l’exclusion.

Qu’un militant de gauche se soit laissé frapper par un tel strabisme intellectuel, et qu’il ait pris tant de risques à renier le substrat des idéologies généreuses de gauche pour inscrire en lettres noires son nom dans l’histoire de ce beau pays, et nous n’écrivons pas ceci sans une profonde amertume, voilà qui achève de réhabiliter totalement Houphouët Boigny, dont on sait que certains aspects de sa politique étaient fort critiquables. Parlant de Laurent Gbagbo, il s’agit aussi d’un intellectuel, historien de surcroît.

Décidément, les historiens ne sont pas toujours les seuls à ne pas relire l’histoire, comme certains juristes semblent ne jamais relire le droit. A tout bien considérer, c’est peut-être maintenant que Laurent Gbagbo aurait besoin des leçons de son "homo" burkinabè qui, sous la révolution, nous avait engagés en classe à dire à Thomas Sankara "qu’on ne peut gouverner ni par la force ni par la ruse, parce que la force s’use, et la ruse se découvre".

"Wade, le moindre mal"

De l’autre côté, il y a une autre illustration, du même profil que Laurent Bado. Juriste, respecté comme brillant avocat, ayant longuement incarné le modèle d’opposant résolu : Abdoulaye Wade. Comme Laurent Gbagbo, il devrait être à l’heure actuelle en train d’envisager la sortie la moins humiliante possible de la scène politique. Mais le sacrifice de son ex-Premier ministre nous situe clairement sur sa volonté de jouer les prolongations. Bado, Gbagbo, Wade ont tous comme point commun d’être de billants intellectuels. Le premier a échoué avant d’accéder à la présidence qui, pour ainsi dire, lui a définitivement échappé.

Le second sera probablement retenu comme un accident douloureux de l’histoire de son pays. Le troisième, moins myope, nous aura simplement déçus. C’est peut-être le moindre mal pour son peuple et l’Afrique. Tous trois conduisent nous autres, simples d’esprit, à nous interroger d’une façon dramatiquement angoissée : pourrons-nous un jour compter sur nos "lumières" pour éclairer les chemins complexes de notre développement ?

Mais la leçon qu’inspire leur échec politique a une portée historique : si l’on ne peut pas, en tant qu’intellectuel, s’assumer pleinement et courageusement en politique, il faut avoir le courage d’évoluer strictement sur son terrain et d’incarner le sens de la critique constructive pour éclairer ceux qui, du mieux qu’ils le peuvent, assurent la conduite des affaires publiques.

Car, comme l’a dit un penseur français, "Il n’y a pas une politique de gauche ou une politique de droite. La seule politique qui vaille, c’est celle qu’inspirent les réalités". Il y a donc beaucoup de pragmatisme dans le management politique. C’est peut-être sur ce terrain que les maîtres de la pensée africaine (l’élite) réussissent rarement, comme les trois intellectuels sus-nommés.

Mais qu’ils prennent au moins le courage, comme bon nombre d’intellectuels, de renoncer à la politique, ou de se retirer quand il convient, à la manière de ceux qui ont incarné à nos yeux les meilleures références en Afrique (Senghor, Nelson Mandela, Alpha Omar Konaré, etc.) et ailleurs, comme le général De Gaulle en France, suite au rejet par les Français du référendum sur la régionalisation.

On s’imagine que s’il avait été à la place de Jacques Chirac, il aurait rendu sa démission. Comme on le voit donc, lorsque les intellectuels s’accrochent contre vents et marées au pouvoir, ils déroutent les peuples. Et tant pis pour leurs orphelins !

K. Justin Tionon Inspecteur des Postes Conseil supérieur de l’information

Observateur Paalga

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