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Décentralisation au Burkina : La gestion des municipalités en question

Publié le lundi 15 août 2005 à 09h15min

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Depuis un certain temps, l’éviction des maires fait l’objet de nombreux écrits et revient avec acuité dans le débat politique national. Certains y voient la manifestation d’une volonté réelle des autorités de tutelle d’assurer une transparence de la gestion des affaires locales, tandis que d’autres y voient plutôt le résultat de luttes de positionnement intra et inter partis politiques.

Que l’on se place dans l’un ou l’autre des camps, c’est essentiellement la mal gouvernance qui est sanctionnée et il faut déjà féliciter le ministère de tutelle de s’y employer avec vigueur, rigueur et célérité.

L’on se souvient que la communalisation a repris droit de cité au Burkina Faso à partir de 1995, après une très longue traversée du désert. La volonté du législateur de faire de la décentralisation l’axe fondamental du développement de notre pays s’est matérialisée par l’adoption des Textes d’orientation de la décentralisation (TOD) dont les révisions consistaient à tenir compte de l’évolution du processus lui-même et de l’appropriation de cette démarche par les citoyens ; c’est ce que l’on entend par principe d’adaptabilité.

Les élus locaux ont l’obligation de rendre compte

Aujourd’hui, il est indéniable que des avancées sont réelles, aussi bien en terme d’implication des populations que de maîtrise de la gestion communale sur la base des deux récents mandats (1995-2000 et 2000-2005). Pour prendre l’exemple des inondations qu’a connues la ville de Ouagadougou, ce sont les autorités communales qui ont été immédiatement mises sur la sellette. C’est dire combien la place du conseil municipal est grande dans la vie du citoyen.

Les contributions des collectivités territoriales au développement économique de la Nation sont perceptibles en terme de constructions d’infrastructures d’éducation, de santé, etc. Ceci est vrai pour l’ensemble des communes, notamment celles qui sont à leur second mandat, malgré les différences qui peuvent subsister ici et là.

La démocratie locale est une réalité puisque les citoyens élisent en toute liberté leur représentant au Conseil municipal. La libre administration existe et c’est du reste elle qui fait l’objet de sanctions de la part de l’autorité de tutelle à cause des dérives constatées à l’occasion des contrôles qu’elle effectue. Et justement, l’Etat intervient a posteriori pour s’assurer de la légalité des actes posés par les élus locaux, surtout la gestion qui est faite des ressources. Il félicite ou sanctionne selon les conclusions auxquelles il serait parvenu.

Il se trouve qu’il y a des gouvernants qui confondent libre administration, autonomie financière, avec indépendance ou absence d’autorité de tutelle.

Il est vrai que comme la démocratie, la gestion communale s’apprend et les élus des Etats africains ont du pain sur la planche pour atteindre le niveau de compétence de leurs collègues du Nord où la vie communale est parfois centenaire. Cela ne saurait cependant les dédouaner des responsabilités qui sont les leurs quant à la bonne gestion des affaires et des ressources locales, ce d’autant plus qu’ils s’en sont portés garants en battant campagne.

Le souci premier d’un responsable local devrait être l’amélioration des conditions de vie de ses administrés, en supposant que les lotissements soient des actions tendant à améliorer les conditions de logement de ceux-ci et partant, atteindre l’objectif sus-cité, cette opération ne saurait être une panacée. Or, force est de constater que les opérations de lotissements sont les recours de bien d’élus pour marquer leur arrivée aux affaires.

Opération délicate s’il en est, eu égard aux problèmes de répartition, d’aménagements et autres incommodités que sont les expropriations, l’on s’étonne toujours de ce que les élus locaux en fassent leur outil privilégié de développement !

Et les conséquences s’en font ressentir. Quand l’opacité avec laquelle la gestion locale est faite arrange les habitants, il va de soi que l’ on ne s’en plaigne pas. De fait, l’on foule allègrement aux pieds des principes clés comme le devoir d’imputabilité (obligation de rendre compte) des élus et se préoccupe moins de savoir les détails par lesquels on a pu être satisfait.

Quand donc l’autorité de tutelle, au regard des textes qui régissent la vie des collectivités territoriales, prend les mesures qui s’imposent pour sanctionner les défaillances constatées, l’on s’étonne de leur action et crie vite aux manigances de toutes natures.

A contrario, vous verrez aisément des gens qui crieront à la fraude, à la corruption ou on ne sait quel qualificatif, parce que simplement ils n’ont pas eu leur part de gâteau lors d’un partage quelconque, généralement sans y avoir droit.

C’est dire combien la notion même de corruption peut être empreinte d’une objectivité, non plus contingente, comme le dirait Jean Piaget, mais mouvante.

Le lotissement et ses multiples pièges

La spéculation foncière comme outil de gestion apporte toujours des difficultés de gouvernance, car entre les cousins, les neveux, les amis, les camarades et autres soutiens qu’il faut satisfaire, la probabilité est grande de faire dans l’illégalité. Il faut vraiment être un "dur" pour mener une opération de lotissement, ou ce que d’aucuns appellent "opération de restructuration de l’espace" à bon terme et sans accrocs tant les sollicitations sont nombreuses.

Pour autant, il est indécent d’en vouloir aux autorités de tutelle, garantes de l’intérêt général, de sanctionner ceux des gouvernants qui non content de mal gérer ces opérations de restructuration, dilapidant des fonds qui leur ont été légués par leurs prédécesseurs.

Sachant que les problèmes nés des lotissements ne sont pas toujours et exclusivement gérés par les conseils municipaux, mais qu’ils font le plus souvent l’objet d’interventions du MATD pour trancher des litiges, bien souvent complexes, l’idée selon laquelle ces sanctions seraient politisées peut apparaître comme un manque d’arguments et une stratégie d’étouffement. Il est du reste incompréhensible que la sanction dont a été l’objet le maire de Koudougou, comme d’autres maires avant lui, soit vue comme une sanction politique qui, par ricochet, viserait Me Hermann Yaméogo ! Vouloir que le gouvernement laisse passer cette gestion frauduleuse au motif que l’on est proche des élections est en contradiction avec les thèses du "tout propre" qui sont développées chaque jour dans les colonnes des quotidiens. Ceci est d’autant plus paradoxal comme approche qu’elle est faite par des gens qui ne cessent de crier à la corruption ! Monsieur Yaméogo Marcellin a été sanctionné pour mal gouvernance et dissipation de fonds, tel que cela ressort du point de presse du Gouvernement et il faut féliciter l’Etat de cette décision et l’encourager dans ce sens.

La méconnaissance des textes par les élus locaux, le manque de vigilance des citoyens, la faiblesse des taxes (base imposable), l’incivisme fiscal, le retard dans les transferts des ressources de l’Etat vers les collectivités, etc, sont au nombre des faiblesses de notre processus de décentralisation et plus spécifiquement de la gestion locale.

Il reste que chaque élu local a le devoir d’avoir son "projet de société" local !

Le marketing du territoire, qui signifie tout simplement vendre les potentialités de son territoire pour attirer les investisseurs, doit être le fondement de toute action locale. Les appuis des partenaires ou des associations caritatives sont insuffisantes et il est temps qu’un véritable volontarisme guide les élus locaux afin de rechercher des investissements au lieu de redistribuer à tout-va la terre, cause des extensions illimitées des villes avec leur corollaire de problèmes de viabilisation.

Les élus qu’il faut à la place qu’il faut

Pour ce qui est des perspectives, il semble que le territoire tende à devenir l’espace de concentration des droits et des devoirs des peuples, du fait de la proximité, du droit d’inventaire dont chaque citoyen peut se prévaloir quant au développement de l’espace, mais aussi du pouvoir de sanction dont ils sont dotés.

Avec la perspective de la communalisation rurale à l’occasion des élections municipales de 2006, les partis politiques sont invités à être très regardants sur les candidats qu’ils proposent et à voir dans les mairies des opportunités de participer réellement au développement du pays et non des tirelires.

Le marquis d’Argenson, dans "Considérations sur le Gouvernement de la France", publié en 1764, disait ceci : "un moindre territoire est toujours mieux soigné qu’un grand".

Cette maxime ne prend pas toute sa profondeur et le soin dont il est question ne prend toute sa splendeur que lorsque l’on a vraiment le souci de servir et non de se servir. En la matière, ce qu’il nous est donné de constater est qu’en terme de comparaison de projets de société, cette maxime a été travestie.

Brice SAGNAN
L’Hebdo

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