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Mauritanie : la vieille rhétorique de l’Occident

Publié le lundi 8 août 2005 à 08h06min

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A force d’être continuellement hanté par les complots, vrais ou imaginaires, contre son régime, Ould Taya ne s’était certainement pas aperçu du vide qui se faisait autour de lui. Au pouvoir depuis 1984, il aurait pu méditer la maxime maintes fois vérifiée, et selon laquelle, la révolution mange ses enfants. En effet, les tombeurs du président déchu ne sont autres que les membres de la sécurité présidentielle.

Par ailleurs, celui qui dirige l’instance suprême (le Conseil militaire pour la justice et la démocratie) est un homme du sérail. Il s’agit du directeur de la Sûreté nationale, Ely Ould Mohamed Vall. D’ailleurs, la facilité avec laquelle le coup d’Etat a réussi est une illustration de la stratification d’une armée, avec d’un côté des troupes(la garde présidentielle) super armées et choyées au service d’un seul individu et de ses courtisans et de l’autre, des éléments (les plus nombreux) démunis au maximum et incapables d’accomplir la mission première d’une armée digne de ce nom, en l’occurrence la défense de l’intégrité territoriale du pays.

La récente attaque d’un camp militaire situé à quelques encablures de Nouakchott, la capitale, et qui s’est soldée par la mort de 15 militaires mauritaniens, en dit long sur les conditions matérielles et psychologiques déplorables d’une armée incapable de riposter face à la moindre escarmouche.

Comme il fallait s’y attendre, l’ONU, l’Union européenne et l’Union africaine n’ont pas tardé à ressortir de leurs armoires, leur rhétorique habituelle exigeant le retour à une vie Constitutionnelle. Tout se passe comme si l’immense majorité des Mauritaniens, bien que vivant sous un régime issu d’élections pluralistes, ne faisait pas les frais du totalitarisme d’un président, fût-il démocratiquement élu. Sans même accorder la moindre présomption de bonne foi aux nouveaux dirigeants qui ont promis un retour à la légalité constitutionnelle dans deux ans, l’Union européenne a décidé de suspendre son aide à la Mauritanie en ignorant royalement la liesse populaire qui s’est emparée des Mauritaniens descendus dans les rues dès l’annonce du coup d’Etat.

Certes, en Afrique, il faut toujours relativiser l’enthousiasme des populations. Tout dépendra de la réponse que les nouvelles autorités sauront donner aux préoccupations quotidiennes de ces populations. N’empêche que ces manifestations spontanées traduisent le ras-le-bol unanime d’une population face à un système qui l’a longtemps muselée en la privant de tout espace de liberté.

Les nouvelles autorités semblent apparemment l’avoir compris. Elles s’engagent en effet, à "créer les conditions favorables d’un jeu démocratique, ouvert et transparent" en mettant fin "aux pratiques totalitaires" de l’ancien régime.
Certes, personne ne cautionne les coups de force pour parvenir au pouvoir. Encore faut-il qu’en Afrique, nos dirigeants veuillent bien jouer à fond la carte de l’alternance à la Kérékou.

L’Occident est bien placé pour savoir que la Mauritanie de Ould Taya n’était pas un exemple de bonne gouvernance. L’ancien chef de l’Etat, en 20 ans de pouvoir, n’a offert ni l’émancipation sociale, ni la prospérité économique ni la liberté d’expression à ses
concitoyens. Bien au contraire, il avait compartimenté et catégorisé les Mauritaniens selon leurs origines.

L’esclavagisme était érigé en système de régulation des rapports entre les individus. En effet, Ould Taya n’a jamais voulu le régler. Il l’avait pratiquement légalisé et sa simple évocation était considérée comme un crime de lèse-Etat. Autant l’Occident met du zèle à dénoncer les coups d’Etat, autant il doit aider l’Afrique à se débarrasser des potentats avec leurs républiques bannières qui, contre vents et marées, tiennent à s’éterniser au pouvoir.

Pourquoi une telle hypocrisie à l’endroit du continent africain quand on sait que l’Occident refuse à l’intérieur de ses frontières les mêmes plaies ? On l’a vu tout récemment en Ukraine (pour ne citer que ce pays) où les Occidentaux ont pratiquement encouragé, s’ils n’ont pas directement participé, à la révolution orange qui a mis fin à un régime.

Evidemment, l’Europe et l’Amérique ne sont pas l’Afrique et l’Ukraine n’est pas la Mauritanie. Bien au contraire, l’Occident n’a pas d’états d’âme dans ses rapports avec certains régimes africains décriés pourtant par les citoyens. Tant que les dirigeants africains ne formulent aucune contestation à sa présence sur le continent, les revendications démocratiques (un luxe pour l’Afrique selon Chirac) des populations resteront toujours un accessoire à inscrire par pertes et profits. Le cas mauritanien est symptomatique de ce mépris occidental des aspirations des populations.

On peut dire que toutes ces agitations et dénonciations fébriles du coup d’Etat traduisent la crainte des donneurs occidentaux de leçons de démocratie, de voir leurs rêves d’hégémonie et de géostratégie sur fond d’appétits en tous genres, se briser.

En effet, la Mauritanie s’apprêtait à servir de laboratoire d’expérimentation à la lutte contre le terrorisme international dans une vaste région qui devait s’étendre du Sénégal au Machrech (Algérie, Maroc Tunisie, Libye...) en passant par le Mali. Quand on ajoute à cela, la forte odeur de pétrole que dégage le sous-sol de Mauritanie, toutes les conditions étaient réunies pour faire de la Mauritanie un pion pour les Occidentaux et à partir duquel ils pourraient déstabiliser les autres pays.

Chouchou des Américains et d’Israël et de surcroît troisième pays arabe après l’Egypte et la Jordanie, à coopérer étroitement avec l’Etat hébreu avec échange d’ambassadeurs, au grand dam de certains Etats arabes, la Mauritanie, assurément avait autant d’ennemis à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Pour les Occidentaux cependant, on ne devait pas changer un président qui permettait de sauvegarder et pérenniser leurs intérêts, en sacrifiant bien entendu, les intérêts des Mauritaniens. Tant que l’alternance n’est ni possible par les urnes ni par les départs volontaires des timoniers, il faut s’attendre hélas !, à l’option aventureuse des coups de force.

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 8 août 2005 à 13:14, par ani En réponse à : > Mauritanie : la vieille rhétorique de l’Occident

    Le coup d’état en lui meme est condamnable. Mais jusqu’à quand faut il le condamner s’il libére un peuple opprimé. Faut il assister ou encourager pacifiquement une dictature meutrière ou libérer le peuple par toutes les solutions ?
    Le débat est ouvert Merci de donner votre point de vue !!!

  • Le 9 août 2005 à 13:19 En réponse à : > Mauritanie : la vieille rhétorique de l’Occident

    Quelle démocratie, quel changement attendre d’un putsch militaire ? surtout par des officiers qui fréquentent le pouvoir depuis 20 ans ! L’histoire ne donne pas d’exemples de régimes militaires épris de justice et capables de gérer un pays efficacement… Les coups d’état ne sont pas la solution. Quand vous évoquez l’Ukraine, vous oubliez juste de dire que le changement de régime s’est fait sans l’armée, par les urnes, après une mobilisation monstre de la population. On en est bien loin en Mauritanie, où la population ne semble se mobiliser que sur commande. Comment s’étonner que la communauté internationale ignore la « liesse populaire » quand on se rappelle les grandes manifs pro-Ould Taya à travers le pays après son élection et les putschs manqués ? J’espère que le droit de choisir ses représentants sera vite rétabli en Mauritanie, j’espère que les Mauritaniens finiront par se prendre en charge, en s’intéressant à la politique et en usant véritablement de leur droit de vote. A très court terme, j’espère que les aides internationales ne vont pas s’interrompre…

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