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Mauritanie : Les "douze travaux" de la nouvelle junte militaire

Publié le lundi 8 août 2005 à 08h08min

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Le nouveau pouvoir mauritanien a fait œuvre de salubrité publique en boutant hors du pouvoir le dictateur Maouya Sid Ahmed Ould Taya. Il reste à la nouvelle junte qui s’est donné deux ans pour rétablir la légalité républicaine à faire œuvre utile en soldant les comptes d’un régime qui s’était coupé de sa base sociale, mais aussi de ses alliés naturels.

Dans le concert unanime d’approbations qui a suivi le coup d’Etat conduit par l’ex-directeur de la sûreté, Ould Vall, une voix discordante est venue doucher un tant soit peu l’enthousiasme ambiant. Il s’agit de celle de Abdelaziz Ba dirigeant de l’Alliance pour la justice et la démocratie (AJD) qui a réclamé le jugement du dictateur déchu pour "déportation" en 1989-1991.

En écho à cette voix, celle des veuves et des orphelins des officiers noirs mauritaniens exécutés en 1990-1991 et dont le sort n’a plus jamais, été évoqué par le pouvoir mauritanien déchu. Si jusqu’à présent on ne fait pas grand cas de ces réclamations dans l’euphorie qui a suivi le putsch de la semaine dernière, force est de reconnaître cependant que c’est là que réside le nœud gordien de la "question" mauritanienne.

Longtemps relégués au second plan dans la gestion des affaires publiques, en raison d’un "héritage historique," les négro-mauritaniens ne cessent depuis deux décennies de réclamer toute la place qui leur revient dans la société. Derrière les massacres et les déportations de Mauritaniens noirs en 1989 qui ont failli dégénérer en conflit ouvert avec le Sénégal, il faut voir la réponse musclée et anachronique que le pouvoir Taya a apportée à ces revendications légitimes.

Issu d’une tribu arabo-berbère influente dans le pays, imbu de sa supériorité comme bon nombre de ses congénères "Blancs" Ould Taya n’a jamais vu dans les "Haratines" (descendants d’esclaves noirs) que des faire-valoir juste bons à donner un voisin démocratique à une société qui tarde à faire sa mue. Voilà pourquoi il n’a pas hésité à les refouler en 1989 au Sénégal , leur pays d’origine (?) provoquant du même coup un froid diplomatique intense avec Dakar.

Conscient que son geste pouvait lui valoir des "surprises désagréables" du côté de l’armée Ould Taya a dans la foulée, fait exécuter des dizaines d’officiers noirs mauritaniens en 1990. Depuis, son régime vit en équilibre instable, avec une succession de coups d’Etat avortés jusqu’à celui fatidique de la semaine dernière.

La bonne foi ne suffira pas !

Le nouveau chef de l’Etat, Ahly Ould Mohammed Vall, saura-t-il prendre en compte cette réalité en ouvrant réellement le jeu politique pour permettre des élections libres et transparentes dans deux ans ? Sans présager de ce qui arrivera, on peut tout de même s’interroger, étant lui-même du sérail, et ayant activement participé aux massacres suscités. Peut-être a-t-il uniquement obéi aux ordres ce que l’on pourra vérifier maintenant qu’il est au pied du mur.

Autre dossier brûlant avec lequel le nouveau patron devra se "coltiner" , lui des relations du pays avec le monde arabe, lesquelles se sont tendues depuis que Nouakchott a renoué avec Tel-Aviv. Ce n’est pas pour rien que certains ont vu derrière les "cavaliers du changement" qui ont initié le coup de force de juin 2003 le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, lequel a des accointances avec les milieux islamistes mauritaniens.

Et comme Nouakchott n’est jamais rien d’autre que la "grande banlieue" de Bagdad, la "circulation" des terroristes pourrait facilement s’organiser dans les deux sens. On est mémoratif que Ben Laden avait traité le régime mauritanien "d’apostat", lorsqu’il a renoué des relations diplomatiques avec Israël.

Menaces terroristes, brouilles avec certains Etats influents du monde arabe, la Mauritanie, a aussi subi des mesures de rétorsion économique de la part de ses frères arabes qui ont fermé le robinet de la Ligue arabe. Seule consolation, le soutien politique et économique sans faille de Washington qui a permis au pays de connaître une relative croissance malgré la politique aventuriste de Ould Taya. Un "aventurisme" qui a conduit le régime défunt à se retirer de l’UEMOA et de la CEDEAO, ses espaces de développement naturel.

Ce serait un leurre par exemple de croire que la Mauritanie peut se passer du Sénégal et du Mali, surtout du premier avec lequel elle partage la gestion du fleuve Sénégal et dont le sol constitue un débouché "naturel" pour les migrants mauritaniens. Avant la grande crise de 1989, le petit commerce dakarois était tenu par les "Naars" (Mauritaniens blancs) qui rapatriaient des devises (au contraire de l’Ouguiya mauritanien, le CFA lui était convertible au-delà de l’espace africain) au pays. Ould Taya a mis à mal tous ces "circuits" en se coupant de l’espace intégrationiste de l’UEMOA, pour des bénéfices immédiats mais non structurels. Voilà donc trois grands chantiers qui attendent Ould Vall, et sur lesquels il doit donner des gages certains.

En ce sens, la rédaction d’une constitution véritablement républicaine sera un premier signe, la reconnaissance de tous les partis politiques (sans voir derrière certains des regroupements ethniques) étant le deuxième. Alors seulement on pourra parler d’élections législatives et présidentielle libres et transparentes. Autrement, le "pare-feu" comme, l’a subodoré Edouard Ouédraogo de l’Observateur Paalga lors de son passage à la télévision nationale le 5 août dernier, va se transformer en boutefeu, car, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Boubakar SY
Sidwaya

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