Censée être un contrepoids au pouvoir en place, l’opposition se complait malheureusement dans une vision monoforme de sa mission au point d’enlever au processus démocratique toutes ses subtilités et toute sa saveur.

L’emploi abusif du terme opposition dans le jeu politique a fini par modeler certains esprits de telle manière qu’ils ne peuvent appréhender le fait politique qu’en terme d’antagonisme dans le sens d’opposition non réductible. Ce faisant, certains stratagèmes uniquement pensés en termes politiques et non selon une vision antagonique des forces en présence leur apparaissent comme autant de dérives qu’ils n’assimilent à rien d’autre qu’à de la haute trahison.

La regrettable régression linguistique appliquée au terme "opposition", tout en l’appauvrissant de manière excessive, a contribué à limiter l’entendement politique de beaucoup de militants et fait du processus démocratique ainsi perçu, un vulgaire jeu de quitte ou double. L’absurde dans ce cas de figure est que le paysage politique se caractérise, lui, pas une gamme infiniment variée de subtilités qui dépassent le cadre lapidaire du simple oui ou non. Pour cette raison, beaucoup de militants dits de l’opposition doivent apprendre à enrichir leur espace politique en l’adaptant, selon les circonstances, aux circonvolutions du paysage politique national. Il ne s’agit pas de se dire de l’opposition et d’être opposant comme on entre en religion car le terme est à la fois trompeur et réducteur.

Il s’agit de manifester une aptitude à infléchir ou modeler la réalité politique selon ses objectifs ; il s’agit d’être un politique.

On est toujours opposant à hauteur de points de désaccord.

Etre de l’opposition ne revient pas simplement à être opposé à toute action du pouvoir en place ou être hermétique à toute forme d’alliance avec celui-ci.

L’opposant est un politique qui évolue dans une société qu’il connaît bien face à un pouvoir dont il examine l’action et qui, sur des points particuliers de cette action, donne de la voix ou recourt à la contestation et ce, dans l’intérêt national.

A ce titre il n’y a pas d’opposition par principe car on est toujours opposant à hauteur de points de désaccord, le plus souvent fondés sur un programme de société ou résultants de la gestion du pouvoir du moment.

L’opposition n’est pas un stade auquel on accède et à partir duquel état stationnaire on attend, dans l’amorphie et la médiocrité, qu’une prétendue alternance vienne mettre l’opposant au-devant de la scène politique. C’est une dynamique fondée sur des objectifs stables mais une réalité ondoyante qu’il faut alors épouser par intelligence ou par esprit d’à propos. Il n’y a pas d’alliance contre-nature en politique ; il y a simplement une haute capacité d’anticipation et une lecture avisée de la trame du quotidien.

La caricaturisation excessive du paysage politique par sa réduction simpliste en la dualité opposition/pouvoir ne rend pas compte de la réalité, des forces en jeu, de leur richesse, encore moins de leurs aspirations politiques profondes.

Il n’y a aucune dynamique, donc aucun intérêt particulier dans la redécomposition du paysage politique à l’intérieur de la sphère "opposition" ou celle "pouvoir". C’est une démarche qui n’aboutit qu’à canoniser des individualités que leur appétit transforme en girouettes. Il n’y a dans ce type d’alliance ni enjeu majeur ni fait exceptionnel.

En revanche, il y a avantage pour les partis impliqués et les stratèges qui l’ont conçus, à modeler l’espace politique selon une approche pouvoir/opposition car cela oblige à des concessions de part et d’autres et aboutit, l’esprit de tolérance et de partage aidant, à une nouvelle donne pour le pays entier. On ne peut mieux manifester la démocratie et l’esprit démocratique.

Certains opposants doivent faire sienne cette injonction de Socrate qui recommande : "Connais-toi toi-même" et cesser de croire qu’il faut s’opposer pour s’opposer. Cela ne correspond à rien et le jeu politique est plus subtil que cela.

Salomon
L’Hebdo