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Mauritanie : Ould Taya chassé du pouvoir

Publié le jeudi 4 août 2005 à 07h58min

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Le président mauritanien Ould Taya a été chassé du pouvoir par un coup d’Etat militaire, mercredi matin. Un conseil militaire pour la justice et la démocratie a donc mis fin au balbutiement démocratique, "aux pratiques totalitaires" du régime Taya. Parti en Arabie Saoudite pour prendre part aux obsèques du roi Fadh, le chef de l’Etat mauritanien a "finalement" perdu son pouvoir, lui qui en 15 mois a essuyé trois coups d’Etat.

Hier aux environs de 14 heures, un communiqué diffusé par l’Agence mauritanienne d’information annonçait la formation d’un "conseil militaire pour la justice et la démocratie", sonnant ainsi la fin du régime du colonel Maaouyia Ould Taya. Selon le communiqué "les forces armées et de sécurité ont unanimement décidé de mettre fin aux pratiques totalitaires du régime dont notre peuple a tant souffert ces dernières années".

Un adage bien connu en Afrique dit qu’"à force de crier au loup alors qu’on a à faire au mouton, on finit par se faire dévorer quand le vrai loup pointe". Taya l’aura appris à ses dépens. Les militaires qui ont pris le pouvoir à Nouakchott stigmatisent les pratiques qui "ont engendré une dérive dangereuse pour l’avenir du pays". Déjà un délai est fixé pour conduire la Mauritanie vers des lendemains plus démocratiques. C’est dans cette perspective que "les forces armées et de sécurité n’entendent pas exercer le pouvoir au-delà d’une période de deux ans jugée indispensable pour la préparation et la mise en place de véritables institutions démocratiques".

Du reste depuis 2003, la communauté internationale savait le régime du colonel Maaouyia Ould Taya sur le fil du rasoir. De cette année à la date d’hier, trois tentatives de coup d’Etat auraient été déjouées par les autorités de Nouakchott, sans que le régime n’apporte un peu de démocratie dans la gestion du pouvoir.

L’année dernière à pareille époque, les unités militaires restées fidèles à Maaouyia Ould Taya paradaient en vainqueurs dans les rues de Nouakchott. L’allure fière de ces soldats se justifiait par l’échec fait à la tentative de coup d’Etat que des militaires avaient intenté pour renverser les institutions républicaines.

Quelques semaines plus tard, d’autres militaires criaient leur ras-le-bol en emboîtant le pas à leurs frères d’armes. Ces deux tentatives soldées par un échec ont plutôt poussé au durcissement du régime. La chasse à l’homme, et la soif de la vengeance coûte que coûte avaient poussé Nouakchott à "l’internationalisation" de ses contradictions internes. Les boucs émissaires tout trouvés avaient pour noms, le Burkina Faso et la Libye.

En dépit de la protestation de Ouagadougou, Ould Taya ne démordait pas. Pour lui, le Burkina Faso serait bel et bien ce pays par qui la tentative est arrivée. La partie visible des mesures de protestations était le refroidissement des relations entre Nouakchott et Ouagadougou, puis d’autres mesures telle la suppression des vols de Air Mauritanie sur la ligne Nouakchott-Ouagadougou. A côté, nos compatriotes en république islamique de Mauritanie payait le lourd tribut de défaut de nationalité.

L’un d’eux que nous avons juste reçu en fin de mois de juillet Cf Sidwaya n°5350 du jeudi 21 juillet 2005 du nom de Francis Gustave Rouamba en est la parfaite illustration. Et selon ce jeune Burkinabè au temps fort des "tensions" voulues par le colonel Taya pour détourner les Mauritaniens de leur lot de misères quotidiennes ; "tous les Burkinabè de Mauritanie qui comprenaient la langue bambara s’étaient fait passer pour des ... Maliens" afin de sauver leur peau.

La Mauritanie officiellement devait abolir l’esclavage en 1981. Mais dans les faits, les Noirs souffraient dans leur chair cette pratique qu’une ONG dénommée association "SOS-esclavages" et Amnesty international n’avaient de cesse de dénoncer.

Cette fermeté à l’égard des opposants politiques, des journalistes, des organisations des droits de l’homme, des intellectuels et de tout ce qui donnait l’impression de "ne pas être d’accord" avec Ould Taya, faisait à contrario le nid de la contestation.

Dans cette logique des mouvements et surtout les groupuscules supposés liés au fameux Groupe Salafiste de prédiction et de combat (algérien), ou les cavaliers du changement poussés dans leur dernier retranchement ne cessaient de titiller le gouvernement mauritanien. A ces soubresauts, il faut ajouter le rétablissement des relations diplomatiques entre Tel-Aviv et Nouakchott qui a ravivé une vague de protestations de tous les milieux dont les milieux islamistes.

Tous ces remous avaient fini de convaincre que si Ould Taya avait le pouvoir, il n’avait pas forcément la légitimité dont il se réclamait. Surtout qu’à la dernière élection de décembre 2003, l’opposition qui avait boycotté le scrutin a vu le principal challenge de Ould Taya, l’ancien chef de l’Etat Ould Haidalla (18,67 % de suffrage au cours de la même élection) prendre la route de la prison. Le colonel Ould Taya est arrivé au pouvoir en décembre 1984 après avoir renversé le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla. En 1991, la Mauritanie adopte une nouvelle constitution, instaure le multipartisme et réaffirme l’identité arabe et africaine du pays.

Si la garde présidentielle, censée être dans les grâces du régime prend sur elle-même l’initiative de "chasser" Ould Taya, c’est que le malaise était vraiment grand. En effet, en suivant les dépêches d’agence, c’est hier "dès 5h locales et GMT que des soldats de la garde présidentielle ont pris le contrôle des bâtiments de l’état-major, de la radio et de la télévision nationale et ont bloqué l’accès de la présidence et aux ministères". Alors que à plusieurs endroits stratégiques "ils ont positionné des véhicules équipés d’armes lourdes et des batteries antiaériennes".

A 10 h, "aucun communiqué n’a été diffusé" même si une source militaire a évoqué "l’arrestation de plusieurs officiers supérieurs sans toutefois être en mesure de préciser s’il s’agissait de militaires loyalistes ou au contraire de putschistes". Le colonel Taya lui-même a dû faire une halte forcée au Niger en attendant de voir clair. Celui que les politologues appellent le sphinx pourra-t-il ressurgir ? Ou va-t-il simplement allonger la liste de tous ces colonels de l’armée mauritanienne qui après avoir pris le pouvoir ont été contraints de le quitter après un coup d’Etat ? Et si Taya payait son antidémocratisme ? Le jeune Francis Gustave Rouamba qui a fait trois mois de prison pour rien à Nouadhibou, aurait répondu "c’est bien fait pour lui". Et pour les hommes politiques qui s’entêtent à nouer des relations fort solides avec des dirigeants extérieurs à la croisée des chemins dans leur pays, une leçon. La force d’un dirigeant demeure d’abord son peuple. Et pour être en phase avec son peuple, il faut exercer à fond la démocratie. On attend la réaction de l’Union africaine. Mais sans surprise, l’UA devra condamner cet autre coup d’Etat qui vient comme un pied du nez fait à la résolution de l’organisation supra-continentale de ne tolérer ni les coups d’Etat, ni les régimes issus des coups d’Etat quel qu’en soit les motifs.

Le cas mauritanien vient s’ajouter à ceux de Côte d’Ivoire avec le général Robert Guéi en décembre 1999 et de la République centrafricaine (mars 2003) avec le général François Bozizé. Des coups de forces condamnés qui ont vu leur leader interdit du sommet continental.

Les prochains jours certainement donneront plus d’éclairage à cette nouvelle situation en Mauritanie. Un pays vaste de 1 030 000 km2 dont 677 000 km2 de désert. Sa population est estimée à 2,8 millions d’habitants dont plus de 80 % de Maures (Noirs et Blancs). L’islam est pratiqué par 99 % de la population.

Jean Philippe TOUGOUMA (jphilt@hotmail.com)
Sidwaya

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