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M. Michel de Bonnecorse : "Nous n’abandonnons pas l’Afrique et les Africains"

Publié le vendredi 22 juillet 2005 à 07h59min

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En visite de travail au Burkina Faso, M. Michel de Bonnecorse, conseiller pour l’Afrique du président français Jacques Chirac a été reçu en audience par les principaux responsables politiques du pays dont le président du Faso, le 12 juillet dernier.

Sidwaya a saisi l’occasion pour rencontrer celui qui passe pour un des hommes politiques français les plus avertis des problèmes africains et de la politique africaine du président Chirac. Sans détour et avec finesse, Michel de Bonnecorse nous parle des relations franco-burkinabè, de la crise ivoirienne, du partenariat entre la France et l’Afrique, de la question du coton, etc.

Sidwaya (S) : Y a-t-il une urgence particulière qui motive votre séjour au Burkina Faso ?

Michel de Bonnecorse (M.B) : Non, cela faisait plusieurs mois que je projetais cette visite. J’avais été très aimablement invité lors du Sommet de la Francophonie à revenir et à consacrer plus de temps aux entretiens bilatéraux.

S : Comment expliquez-vous le fait exceptionnel que vous ayez été reçu et par le président du Faso et par le Premier ministre ?

.B : Entre nos deux pays, vous le savez, il y a une longue pratique de dialogue politique. Il faut saisir toutes les occasions de l’entretenir. Nous recevons très fréquemment et avec beaucoup de plaisir, les autorités burkinabè lorsqu’elles passent par Paris.

Il est bon que ces contacts aient lieu également à Ouagadougou. Avec le Premier ministre, nous avons continué la conversation entamée il y a 2 mois lors des journées économiques à Paris. Mais, évidemment, j’ai été très sensible au fait que le président Blaise Compaoré puisse me recevoir aussi longuement.

S : Etiez-vous porteur d’un message du président Chirac ?

M.B : Non, pas de message particulier.

S : Quels sont les sujets bilatéraux et multilatéraux que vous avez abordés avec le président du Faso ?

M.B : Sans, bien entendu, entrer dans les détails, nous avons parlé des projets de la coopération française, de la filière coton, de la réforme de l’ONU et du récent Sommet de l’UA. La situation dans les pays de la CEDEAO ne pouvait évidemment pas être évitée.

S : Peut-on considérer que les relations franco-burkinabè sont sans nuage ?

M.B : Elles sont excellentes, nous n’avons aucun contentieux bilatéral mais au contraire, des projets d’avenir. Nous avons sur les grands sujets horizontaux du développement la même conception ou la même approche. Nous avons également été très sensibles, à l’organisation à Ouagadougou, du Sommet francophone qui a été une très grande réussite.

S : Quel regard l’Elysée a-t-il sur l’Afrique ?

M.B : Il n’y a pas une politique spécifique de l’Elysée mais, sous l’impulsion du Président de la République, une politique française en Afrique et ses collaborateurs lui rendent compte de sa mise en œuvre. Celle-ci s’élabore à partir d’une vision d’ensemble du continent. Nous le connaissons bien y compris les atouts dont il dispose et que beaucoup passent sous silence. Cette vision est, bien sûr, inspirée par les sentiments particuliers qui nous rapprochent et qui poussent à des tête-à-tête, à des colloques singuliers, à des projets bilatéraux. Mais en même temps, nous sommes attentifs aux réalités du monde d’aujourd’hui. Par exemple, il faut considérer l’Afrique comme un tout. Cela nous conduit à beaucoup travailler avec l’Union africaine et à nous rapprocher des pays de la sphère anglophone. C’est ainsi que depuis des années, nous avons également des liens étroits et amicaux avec notamment l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Ghana. Nous privilégions le bilatéral, mais l’une des données de notre siècle est l’apparition de questions horizontales qu’il faut traiter en tant que telles : charge de la dette, environnement, Sida, paludisme... Cela, nous le discernons parfaitement et nous nous employons à conjuguer nos efforts avec les Africains. Prenons l’exemple du coton qui vous concerne, puisque vous êtes devenu le premier producteur africain et dont les revenus de la filière déterminent le niveau de vie de 15 millions de Sahéliens.

Ce que nous avons pu faire depuis 2 ans au plan international pour notamment obtenir la suppression des subventions de l’Union européenne et faire pression sur les Etats-Unis, est sans doute plus décisif et a un impact plus global que de multiplier les projets bilatéraux avec les 5 pays concernés. Bref, nous devons nous adapter à un monde et à une Afrique qui bougent mais les sentiments singuliers qui nous rapprochent demeurent bien vivants.

S : En votre qualité de conseiller du président Chirac sur les questions africaines, quel a été votre apport dans la résolution de la crise ivoirienne ?

M.B : Les conseillers doivent rester discrets et ne pas se montrer présomptueux. Je dirais que j’ai joué mon rôle de conseil et non de décision dans l’équipe.

S : La France n’a-t-elle pas échoué malgré les accords de Marcoussis dans la résolution de la crise ivoirienne ?

M.B : Je constate seulement que l’essentiel de Marcoussis demeure la base des accords de réconciliation issus du dialogue entre toutes les parties ivoiriennes qui se sont succédé, soit dans la série des « Accra », soit dans la série des « Pretoria ».

S : Pourquoi cette politique des hésitations, des prises de position mitigées qui ont entretenu un flou sur la responsabilité de la France dans la résolution de la crise ivoirienne ? Avec la Côte d’Ivoire, la France n’a-t-elle pas perdu toute crédibilité en Afrique ?

M.B : Le coup porté à la réussite économique ivoirienne et à l’image de ce pays rejaillit en effet sur notre politique africaine. En revanche, nous avons démontré notre volontarisme pour empêcher la guerre civile et préserver l’essentiel. C’est-à-dire les voies de la réconciliation. Dès qu’un minimum de confiance aura été rétabli entre les dirigeants ivoiriens, le soutien que nous n’avons pas marchandé, constituera une base solide pour la sortie de crise. Devant la complexité du dossier, l’ampleur des risques et des enjeux, nous n’avons pas fui nos responsabilités.

S : Croyez-vous au succès de la médiation africaine dans la crise ivoirienne ?

M.B : Oui, le Président M’béki s’est parfaitement investi dans le dossier. Le fait que l’Afrique du Sud n’est pas voisine de la Côte d’Ivoire pouvait paraître un handicap dans les premiers temps. Aujourd’hui, on constate que cet éloignement est au contraire un atout. Ces dernières semaines, la médiation du président M’béki s’est révélée particulièrement efficace et volontaire. Elle porte ses fruits.

S : Et si Laurent Gbagbo ne respecte pas les engagements pris, que ferait la France ?

M.B : Tous les acteurs doivent tenir leurs engagements. L’enlisement constaté jusqu’à présent est dû aux atermoiements de chacun. Il semble qu’un déclic ait lieu actuellement. Quant à la France, elle se déterminera en fonction de ce que souhaiteront la CEDEAO et l’Union africaine d’autant plus que cette éventuelle position africaine serait certainement entérinée par le Conseil de sécurité des Nations unies.

S : N’allons-nous pas en Côte d’Ivoire vers le scénario de la « non tenue » de l’élections du 30 octobre 2005 ? Si cela devait arriver, que ferait la France ?

M.B : La sortie de crise n’est possible que sous la conduite d’un président issu d’un processus électoral irréprochable. Cela veut dire que la qualité de l’élection est aussi importante que sa date. Force est de constater qu’actuellement, rien n’a commencé, pas même la révision des listes électorales. Si l’on veut tenir le calendrier du 30 octobre, il ne faut pas perdre un seul jour. Quant à l’attitude de la France, je vous renvoie à la réponse précédente.

S : Pourquoi l’aide de la France aux pays en développement, principalement les pays africains, n’atteint pas 1% ?

M.B : L’objectif n’est pas de 1% mais de 0,70. Notre aide en 2005 devrait atteindre 0,45% pour atteindre l’objectif en 2012. Nous avons bien redressé la situation depuis trois ans, mais elle s’était lourdement dégradée sous le gouvernement Jospin.

S : Le président Chirac s’est toujours fait le porte-parole de l’Afrique mais l’on constate que son action n’est pas percutante au profit de l’Afrique. Qu’est-ce qui expliquerait cet état de fait ?

M.B : L’action en faveur de l’Afrique a été constante et opiniâtre. Le président français a été le premier à dire que le continent africain était guetté par la marginalisation et les Africains, par la pauvreté. Il a été le premier à sonner la mobilisation. Il est à l’origine des remises de dettes et notamment du mécanisme PPTE. Le président a été un des pionniers du Fonds SIDA. Il est l’avocat constant de l’Afrique au sein de l’UE et des institutions onusiennes. Il a été le premier à inviter des dirigeants africains au G8 et à inscrire l’aide à l’Afrique à l’ordre du jour. Nous sommes heureux de constater qu’il a convaincu M. Blair de lui emboîter le pas et avec beaucoup d’engagement. Depuis deux ans, il mène campagne pour souligner que les Objectifs du Millénaire ne pourront être tenus qu’à la seule condition que des ressources additionnelles soient trouvées à partir de mécanismes imaginatifs. L’idée fait son chemin et tout indique que sera décidée en septembre prochain, une taxe sur les billets d’avion. Ce n’est pas si facile de convaincre, car les pays développés estiment aussi avoir des difficultés, même si c’est un réflexe égoïste et que les opinions publiques jugent que l’aide à l’Afrique est souvent détournée de ses objectifs. En définitive, la retombée de cette action a été tout de même percutante.

S : Pourquoi les pays Européens continuent d’allouer des subventions à leurs producteurs de coton alors que cela pénalise les cotonculteurs africains dont le président Chirac prend la défense dans les tribunes internationales ?

M.B : Nous n’avons aucun producteur de coton sur notre sol. En revanche, nous avons demandé et obtenu de la Commission de Bruxelles, la suppression des subventions aux producteurs espagnols et grecs. M. Chirac avait annoncé cette démarche française il y a 2 ans à Bamako. Nous sommes très heureux de la position de l’OMC qui va contraindre les Américains à cesser leurs subventions cotonnières. Certaines années, c’était plus de 4 milliards de $ qui étaient alloués aux 27 000 producteurs américains de coton...

S : Quelle réaction avez-vous face au dernier ouvrage intitulé « Comment la France a perdu l’Afrique » de Stéphan Smith et Antoine Glaser ? Et face à l’ouvrage de Stéphan Smith « Négrologie » ?

M.B : Ce livre, riche en analyses définitives, en extrapolations audacieuses et en formules de brillants journalistes que sont ses auteurs, mérite d’être discuté point par point. Peut-être permettrait-il d’expliquer tout aussi bien, pourquoi la France est toujours aussi présente en Afrique. Concernant « Négrologie », le titre est choquant, le contenu est souvent discutable, mais peut-être ce très bon connaisseur de l’Afrique a-t-il voulu créer un électrochoc ?

S : La France croit-elle encore à l’Afrique ? Que reste-t-il à faire ou à imaginer pour véritablement reconnecter la France à l’Afrique ?

M.B : Nous n’abandonnerons pas l’Afrique et les Africains. Nous resterons volontaristes et nous userons de notre influence en leur faveur, notamment à l’UE et aux Nations unies. Bien entendu, nous n’avons pas vocation à intervenir ou à coopérer là où nous ne sommes pas souhaités. Là où notre présence sera bienvenue, nous serons positifs et efficaces. Nous apporterons tout notre soutien aux organisations régionales dont nous souhaitons depuis longtemps qu’elles s’investissent dans la résolution des crises. Cela a été notre attitude lors de la récente crise au Togo. La CEDEAO a défini une politique et nous y avons adhéré. Ce fut le même schéma pour la RCA où nous avons appuyé, y compris militairement la CEMAC. Nous devrons également être plus attentifs à la jeunesse africaine. Cela signifie plus de coopération à son profit, mais surtout plus de formations universitaires en France et plus de visas. Ce sera le thème du Sommet Afrique-France de Bamako en décembre prochain. Nous espérons que ce sera un moment d’espoir pour toute cette jeunesse.

Propos recueillis par Michel Ouédraogo
Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 24 juillet 2005 à 02:54, par jacques lohourou-digbeu badlor En réponse à : > M. Michel de Bonnecorse : "Nous n’abandonnons pas l’Afrique et les Africains"

    Parti pris : effet boomerang !

    Si la position de la France a ete pendant longtemps de soutenir aveuglement la rebellion et de tordre le bras a Gbagbo- on se demande bien pourquoi- celle-ci evolue aujourd’ hui vers plus de realisme. La-bas, on a maintenant clairement conscience du poids- "lourd" -de Laurent Gbagbo sur la scene politique ivoirienne, de la "capacite politique" d’ un homme durablement installe dans la place. Des lors, on tient a equilibrer son discours. C’ est ce que traduisent les propos du conseiller a propos de la responsabilite partagee des acteurs politiques dans le blocage observe dans l’ application de l’ accord de paix de tshwane.

    Quand vous aurez compris cela, vous serez a jour et cela vous evitera de tomber systematiquement dans le part pris

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