LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

"Disparus du Beach" au Congo : Quand la raison d’Etat s’en mêle

Publié le jeudi 21 juillet 2005 à 09h56min

PARTAGER :                          

"S’il y a des acquittements, ce sera devant la Cour de la chambre criminelle". C’est en ces termes que Robert Armand Bemba, procureur général près la Cour d’appel de Brazzaville, au Congo, a commenté le 27 juin dernier sa décision de saisir la "chambre d’accusation dans le cadre du procès de "l’affaire du Beach".

En le faisant, le procureur brazzavillois s’est ainsi mis à l’abri des questions de ceux qui voulaient déjà qu’il dise, à propos de cette affaire, s’il s’agissait de faits isolés ou prémédités. Une hésitation à trancher du magistrat, d’une part, et une envie brûlante de tout savoir des justiciables à l’avance, de l’autre, qui traduisent toute la complexité du dossier.

Ceux qui sont pressés de savoir hic et nunc les tenants et les aboutissants de l’affaire, ont certainement leurs raisons. A ce niveau, il est clair que les familles des victimes et les organisations de défense des droits de l’homme n’ont pas confiance en la justice congolaise, inféodée au système politique en place. Mieux, des dirigeants congolais dont le président Sassou Nguesso sont accusés d’être les auteurs du crime.

En rappel, c’est en avril et juin 1999, que des réfugiés congolais (essentiellement des enfants) qui rentraient d’exil, après avoir fui la guerre civile dans leur pays, ont été arrêtés à leur arrivée au "Beach" (Port de Brazzaville). Selon leurs familles, 353 d’entre eux ont été portés disparus, alors qu’ils avaient, au préalable reçu des autorités congolaises toutes les garanties de sécurité. En 2001, trois rescapés et des familles des disparus ont porté plainte, en France, devant le tribunal de Meaux, pour crimes contre l’humanité à l’encontre des présumés coupables.

Après une instruction plus ou moins longue, l’enquête a été suspendue en mai 2001 par la Cour d’appel de Paris, suite à l’arrestation et à la libération à Paris du Colonel Jean-François Ndenguet, directeur général de la police du Congo, entendu dans le cadre de l’affaire. Mieux, elle sera purement annulée en novembre 2001. Questions : La raison d’Etat a-t-elle prévalu dans cette décision de la justice française ? Paris et Brazzaville ont-elles craint que l’"affaire des disparus du Beach" n’entame l’amitié franco-congolaise et ne sape les intérêts supérieurs des deux Etats ? Sans aucun doute.

Pour le Français Patrick Gaubert, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), qui semble être dans les bonnes grâces du pouvoir congolais, le tribunal de Meaux n’a fait que dire le droit. "S’il y a suspension de la procédure, cela prouve que les accusations n’étaient pas aussi solides qu’on voulait le faire savoir. On parle de listes des disparus. Personne n’a vu ces listes. Si la procédure s’arrête, c’est que quelque part, il y a "un souci", a-t-il relevé.

En revanche, pour les familles des victimes et les structures comme l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), il ne fait pas de doute : l’annulation de la procédure de Meaux n’est rien d’autre que le résultat des pressions exercées sur les plaignants au Congo, de connivence avec les autorités françaises. A les en croire, les autorités françaises et congolaises ne semblent pas vouloir donner suite à l’information judiciaire relative aux massacres du Beach de 1999.

Faut-il les croire ou pas ?
En tout cas, les dirigeants politiques congolais, le président Sassou en tête, se sont engagés pour que l’affaire soit jugée au Congo. Le procès, qui a débuté la semaine dernière, vient d’être ajourné. Les autorités congolaises veulent-elles, à travers ce procès, s’enlever une grosse épine du pied, comme le pense le collectif des parents des disparus qui le qualifie de "mascarade judiciaire" ?

Une chose est sûre, c’est que l’"affaire du Beach" empêche parfois les tenants du pouvoir à Brazzaville de sabler leur "champagne et empoisonne d’une certaine façon les relations franco-congolaises. D’où l’ingérence supposée ou réelle des politiques français et congolais dans le dossier. Ce qui entrave énormément le travail de la justice dans les deux pays. Les autorités congolaises ont beau promettre des gages d’impartialité dans le procès de l’affaire à Brazzaville, ni les familles des victimes, ni les associations crédibles de droits de l’homme n’y croient.

On privilégie plutôt la solution d’un procès dans l’hexagone où il semble y avoir plus de garanties de transparence et d’équité. Là aussi, les politiques ne se laissent pas conter. Alors, que faire pour les familles des victimes ? Vont-elles attendre que les choses se débloquent à Paris ou se contenter d’une "parodie de justice" à Brazzaville ?

Mais, au-delà de ce cas isolé de la justice congolaise soumise aux ordres de l’exécutif, c’est toute la question de l’indépendance des systèmes judiciaires dans les pays francophones d’Afrique qui est posée. De Dakar à N’Djamena et de Tunis à Lomé, ce sont les mêmes ingérences des gouvernements dans les appareils judiciaires. Ainsi, c’est dans un procès à forte odeur politique qu’un officier mauritanien a été jugé par contumace en France, tout récemment.

Il est donc temps pour ces Etats d’opérer une réelle séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, faute de quoi, c’est tout le processus démocratique qui en prendra, à la longue, de sacrés coups. Malheureusement, tant que la Françafrique que d’aucuns, le plus sérieusement du monde, appellent la "Mafiafrique", continuera de se réfugier derrière la raison d’Etat, les peuples africains n’auront qu’à ranger leur raison aux vestiaires de l’oubli.

e Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique