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"Du bon usage de la démocratie en Afrique" : La réflexion littéraire du Pr Sémou Pathé Gueye

Publié le mercredi 13 juillet 2005 à 07h38min

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Le professeur Sémou Pathé Gueye de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar vient de publier son ouvrage intitulé "Du bon usage de la démocratie en Afrique". Ledit ouvrage a été au centre d’une conférence qu’il a lui-même donnée à l’Université de Ouagadougou, samedi 2 juillet 2005 en compagnie du Pr Mahamadé Savadogo. A travers cette interview, il nous en donne l’essence.

Sidwaya (S.) : Professeur Gueye, quel est succinctement présenté le contenu de votre ouvrage "Du bon usage de la démocratie en Afrique" ?

Pr Sémou Pathé Gueye (S.P.G.) : C’est une réflexion qu’à mon double titre d’Université et d’acteur politique, j’ai mené sur le processus démocratique dans notre continent : pourquoi ce processus tel qu’il se déroule n’a pas encore répondu sous certains rapports à toutes les attentes des populations ? Pourquoi en particulier au lieu de se traduire comme cela devrait être le cas par des sociétés plus stables, plus pacifiques, plus solidaires, il s’est accompagné du développement des conflits avec toutes les conséquences que cela implique en terme d’instabilité, de menace sur les libertés de la société, des biens et des personnes. Et donc, pourquoi la démocratie ne semble pas être engagée dans une loi conforme aux attentes de nos populations ?

Il y a plusieurs réponses possibles que j’ai envisagées. Mais il y en a particulièrement deux sur lesquelles j’ai mis un accent.

La première, c’est qu’il y a une sorte de déficit éthique dans la représentation que les différents acteurs ont de la démocratie. J’entends par déficit éthique le fait que le découplage entre l’éthique et la politique prend ici la forme d’une conception et d’une pratique de la démocratie qui considèrent d’une part qu’en politique tous les moyens sont bons et que d’autre part la politique n’est qu’une affaire d’intérêts particuliers donc, qui subordonnent l’intérêt général avec là également toutes les conséquences qui en découlent.

Parce que s’il n’y a pas de normes qui permettent de trancher entre la validité de tel ou tel intérêt, évidemment il n’y a plus que la force qui prime et on va directement vers les conflits. D’autant que dans certains cas, il y a une pratique de la démocratie qui est fondée sur l’exclusion dans certains cas et qui font qu’une partie de la population, des composantes de la société sur des bases ethniques ou religieuses, tribales, confessionnelles qui sont exclues de la société alors que la démocratie devrait, au contraire, permettre l’implication la plus large possible et la plus profonde des populations dans la vie de la cité.

Voilà pourquoi j’ai particulièrement insisté sur la nécessité d’élaborer des règles du jeu dont l’application par tous les acteurs devrait permettre de pacifier l’espace public, d’atteindre les objectifs que vise la démocratie. J’ai développé dans mon livre ce principe.

Evidemment, le problème est qu’on avance qu’il y a un déficit éthique et on oublie de dire qu’il est sous-tendu par un déficit de culture démocratique, soit les populations dans leur grande majorité compte tenu de l’hétérogénéité culturelle du modèle qu’on veut appliquer dans le cas de la démocratisation, n’ont pas assimilé ou n’assimilent pas encore toutes les valeurs inhérentes à ce modèle là, soit parfois il y a des gens qui comprennent bien, l’élite politique mais qui, parce que telle ou telle orientation de la démocratie ne va pas dans leurs intérêts alors ils préfèrent crétiniser les populations, étouffer en elles toutes capacités d’intervenir de façon consciente dans la vie de la cité et d’empêcher qu’il y ait des pratiques ou commun comportement qui soient préjudiciables ou bien.

Voilà pourquoi je dis que dans les deux cas, il faut une pédagogie de la démocratie. Il faut éduquer à la démocratie pour permettre que même pour les élites qui comprennent bien les choses, mais qui n’ont pas intérêt à les impliquer (quand je parle d’élites il y a les intellectuels, les chefs de partis politiques, etc.) révisent leur position.

Si les populations elles-mêmes voient leurs capacités citoyennes développées, c’est-à-dire leurs capacités d’intervenir sur la base d’abord de la connaissance de leurs droits et de leurs devoirs mais aussi en connaissance de la chose publique et de ses exigences, cela fait que ceux qui veulent détruire la démocratie ne puissent pas le faire avec toute la facilité que l’on constate aujourd’hui ; parce que tout simplement, les citoyens peuvent organiser un rempart contre le détournement.

Dans le cas de l’ouvrage, j’ai abordé également les nouvelles formes de citoyenneté, le rôle des partis politiques, la responsabilité partagée de l’Etat, des partis politiques, de la société civile, de la presse dans ce travail d’éducation sans lequel la démocratie pluraliste est réduite à une pure fiction. C’était une manière également pour moi tout en faisant mon travail d’Universitaire, de faire bénéficier de l’expérience qu’en tant qu’acteur politique qui vit au quotidien la démocratie, ses hauts et ses bas, j’ai eue.

S. : Cette pédagogie de la démocratie dont vous faites cas, avez-vous le sentiment que les populations africaines en rêvent ?

S.P.G. : Le problème n’est pas là. Vous ne pouvez pas rêver de ce que vous ne savez pas. Justement c’est parce que les populations souvent fonctionnent sur la base d’autres représentations, d’autres normes de gestion de la vie publique qu’effectivement, certains en manipulant ce niveau de conscience politique, peuvent tordre le cou à la démocratie.

C’est justement l’éducation de ces populations qui peut clarifier leur perception de la démocratie, leur permettre de comprendre les exigences et les valeurs démocratiques et agir pour que la vie publique soit conforme à ces exigences et à ces valeurs. Si les populations ne savent pas clairement ce qu’est la démocratie, évidemment on les mobilise plus facilement sur des valeurs "traditionnelles" (toutes les valeurs traditionnelles ne sont pas mauvaises) et d’ailleurs l’une des choses qu’on oublie, c’est qu’au lieu de faire ce mimétisme qu’on retrouve au niveau des intellectuels, c’est de faire bien l’inventaire entre les valeurs que nous pourrions prendre en compte dans le processus démocratique et les autres.

Mais il y a des mystificateurs qui, au nom du respect de la tradition, maintiennent les populations dans les structures mentales et politiques qui ne leur permettent pas de peser de leur poids pour que la démocratie atteigne ses objectifs. Je crois donc qu’il faut qu’elles soient éduquées parce qu’encore une fois, une démocratie dans laquelle les masses ne peuvent pas intervenir de façon consciente, autonome et responsable, n’est qu’une démocratie de façade.

S. : A part les intellectuels qui mènent ce combat, les politiques semblent de mauvaise foi parce que la situation les arrange. Qu’en dites-vous ?

S.P.G. : Il ne faut pas dire tous les hommes politiques parce que j’en suis un. Et voilà que je préconise la démocratie citoyenne. Mais cela est vrai ; souvent les dirigeants de partis politiques qui eux-mêmes sont seulement présumés de conviction et de culture démocratique, ce qui n’est pas toujours le cas, car en Afrique par exemple, n’importe qui peut devenir dirigeant de parti politique. Il lui suffit seulement de réunir les cartes tendues et qu’il aille au ministère de l’Intérieur. Parfois, on prétend qu’eux-mêmes pensent qu’ils savent.

Mais on ne sait pas toujours. Il y a des politiques qui ont compris qu’il est plus facile de manipuler des militants qui sont inculpés politiquement que d’avoir affaire à des gens qui connaissent leurs droits et leurs devoirs et qui savent en particulier qu’un parti politique n’est pas fait pour la carrière d’un dirigeant ou de qui que ce soit ; et qu’un parti politique, c’est une façon de lutter pour des projets de société, de compétir dans le sens d’une meilleure gestion de la cité.

Entretien réalisé par Ismaël BICABA (bicabai@yahoo.fr)
Sidwaya

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