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Démocratie et armée au Burkina : La nécessité d’une autre gouvernance

Publié le mercredi 6 juillet 2005 à 08h00min

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Il y a quelques jours quelque quatre centaines de ceux qu’on appelle les vétérans du Liberia, qui poursuivaient l’Etat burkinabè en justice pour réclamer le paiement de leurs indemnité ont gagné leur procès et cet Etat doit leur payer la bagatelle de un (1) milliard huit cent trente-sept (837) millions cinquante (50) mille francs CFA.

Après eux, ce sont les colonels Jean-Pierre Bayala et Kassoum Ouédraogo qui, estimant qu’ils ont fait l’objet d’une mise à la retraite abusive, viennent d’intenter un procès contre la même institution qu’est l’Etat. A priori isolés, ces deux cas sont en réalité liés et c’est ce que nous allons nous atteler à expliciter.

L’affaire des colonels Bayala et Ouédraogo ne s’est pas encore dénouée et nul ne peut en prédire l’issue. Cependant, ce qui nous intéresse, ce n’est pas le verdict du procès pas plus que celui des vétérans au Liberia ; l’important, de notre point de vue, réside même dans le principe de traîner l’Etat devant les tribunaux. Car il n’est pas courant que des quidams recrutés sous le caïlcedrat du village osent défier le Léviathan qu’est l’Etat. Si le fait relève théoriquement de la banalité parce que nous sommes en démocratie, c’est pratiquement une véritable gageure.

Chapeau bas donc à ces serviteurs de la "muette" qui ont compris que malgré les imperfections certaines de notre appareil démocratique, il y a des mécanismes qui permettent de demander et d’obtenir justice. Chapeau bas également à l’institution judiciaire et aux avocats des intéressés dont la tâche n’a pas été facile dans le cas des vétérans et est encore difficile dans celui des deux colonels.

C’est la preuve, et il faut s’en féliciter, que le recours aux coups d’Etat militaires pour régler des problèmes personnels maquillés en périls pour la nation est en train de céder la place à l’utilisation des mécanismes institutionnels démocratiques pour gérer et résoudre les conflits impliquant les individus et l’Etat. En d’autres temps, peut-être un putsch aurait été fomenté.

Cela démontre à l’envi comment une justice indépendante, loin de constituer une menace pour un système démocratique, lui permet d’acquérir plus de légitimité, d’inspirer plus confiance aux citoyens et ce faisant, de dissuader les comploteurs de tout genre. D’où la nécessité de trouver une issue judiciaire digne de ce nom aux dossiers (surtout) emblématiques tels ceux de Thomas Sankara et Norbert Zongo.

Pour autant l’armée est-elle loyale ?

Le discours officiel rend hommage à l’armée qui serait devenue républicaine. Le fait pour les autorités d’avoir pu déjouer le complot d’octobre 2003 est à lier à cette loyauté. C’est tant mieux si c’est le cas.

Mais si l’armée dans son ensemble est loyale vis-à-vis des institutions républicaines, cela ne signifie pas que des individus isolés ou même des groupes le soient. L’histoire des coups d’Etat militaires dans le monde et dans notre pays nous enseigne que c’est presque toujours une poignée d’individus qui prennent l’initiative, inversent le rapport de force et appellent au ralliement ou obligent à la réédition de tout le reste. Le pronunciamientos du 4 août 1983 est un exemple patent ; et que dire de celui du 15 octobre 1987 ?

Or, aujourd’hui, certains officiers (généraux, supérieurs et subalternes), sous-officiers et hommes du rang et certaines catégories de l’armée ont bien des choses à reprocher à la République ou plus précisément aux gestionnaires actuels de cette République.

A l’évidence il est impossible d’arriver à ce que toute la grande muette soit satisfaite du traitement qui lui est réservé, mais beaucoup de plaies restent encore ouvertes, nous semble-t-il, dans ce corps, à cause des actes datant de l’Etat d’exception ou des réflexes administratifs et politiques qui ont survécu à cet Etat de fait. En situation de vie civile, les intéressés auraient parlé ou adhéré à des partis politiques d’opposition pour crier leur ras-le-bol, mais dans l’armée, il n’en est bien sûr pas question.

Alors, si le fait de ne rien entendre de l’armée atteste que les instructions sont exécutées "sans hésitations ni murmures" c’est-à-dire dans la discipline (force de toute armée), cela ne signifie pas que les états d’âme de ceux qui exécutent sont nécessairement en phase avec ceux de ceux qui leur dictent ce qu’ils doivent faire. C’est là que la notion de moral des troupes chère aux chefs militaires prend toute son importance. Un militaire démoralisé est un être aux comportements imprévisible.

La solution réside-t-elle dans la "distribution" des millions ?

Face à ces réalités, ceux qui s’estiment lésés se doivent en effet d’utiliser les recours administratifs et judiciaires pour se faire entendre au lieu de se laisser caresser par les velléités putschistes. Ainsi, si leurs plaintes sont jugées fondées, leurs torts seront réparés moralement et/ou financièrement. Toutefois, il faut se convaincre que ce n’est pas seulement à coups de millions de francs que les problèmes qui minent l’armée trouveront leur solution.

Ces millions de francs CFA, quoiqu’ayant leur part de vertus thérapeutiques, ne peuvent ni effacer complètement les torts subis, ni être servis à tout le monde, ni enfin remplacer les déficits managériaux. Et le mot est lâché. Aujourd’hui, l’armée a besoin d’un management en adéquation avec les exigences inhérentes à une institution républicaine.

Certes depuis 1990, des progrès ont été réalisés, mais force est d’admettre qu’elle traîne toujours avec elle les stigmates de l’Etat d’exception. En tout cas c’est ce qu’affirment certains militaires, parmi lesquels des officiers supérieurs. Peut-être cela relève-t-il d’appréciations erronées, mais le fait est là que les conséquences de celles-ci, si rien n’est fait, peuvent mettre à mal l’existence même de notre démocratie. Espérons seulement que ce que nous sommes en train d’écrire n’est qu’une spéculation journalistique que démentiront les faits.

Dans l’attente de ce démenti, cette rumeur qui illustre la mauvaise humeur des hommes en armes est à considérer avec un minimum de sérieux, car indépendamment des risques d’atteinte à la sûreté de l’Etat, bien d’exactions dont se rendent coupables des militaires ont pour catalyse psychologique des frustrations d’origine socioprofessionnelle : par exemple un soldat de première classe qui servait l’Etat au Centre national d’entraînement commando (CNEC) du temps de la prééminence de ce corps sur les autres se retrouve affecté au Régiment d’infanterie commando (Dori) ; avec des honneurs en moins, un avancement bloqué, un chef de section arrogant, un commandant de compagnie inaccessible... Quand bien même cela est un cas extrême qui ne permet pas de tirer une conclusion valable pour toute la grande muette, il donne à réfléchir.

L’Etat de droit prélude la société de droit

Après une quinzaine d’années d’Etat de droit démocratique et libéral il peut paraître superflu de revenir sur ce qu’est ce type de gouvernance politique sociale et économique. En fait nous voudrions, en lieu et place des définitions de cette expression, réaffirmer son importance et souligner que l’Etat de droit doit conduire à la société de droit.

Effectivement, l’Etat de droit, qui fait référence à la pyramide organisationnelle de la société, est formel et chimérique si les citoyens ne se l’approprient pas, ne s’y reconnaissent pas. Autrement dit, les institutions républicaines doivent être légitimes d’une part, c’est-à-dire qu’elles doivent être l’aboutissement de la volonté du citoyen.

D’autre part, ce dernier doit intérioriser le maximum de règles de droit (constitution, lois, décrets, arrêtés...) et s’attacher à faire concorder ses actes avec lesdites règle de droit. Alors, de l’Etat de droit, la cité évoluera vers la société de droit dans laquelle chaque citoyen, conscient de ses devoirs et exigeant quant au respect de ses droits, contribuera à l’élévation de tous à un plus haut degré de justice, d’équité et de démocratie.

Pour ce faire, les gouvernants, qui incarnent la volonté populaire à l’intérieur et l’Etat en tant que personnalité au plan international doivent se donner les moyens d’une gouvernance de la nation et singulièrement de l’armée qui va dans le sens de cette société de droit si nous voulons conjurer à jamais le mythe de Zizyphe et consolider les institutions républicaines.

Zoodnoma Kafando
L’Observateur

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