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Laurent Bado : Trop honnête pour être politicien

Publié le mardi 5 juillet 2005 à 07h46min

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Il avait dit lors d’un entretien paru dans l’Observateur paalga N°6416 du 20 juin 2005 qu’il allait « tout raconter et mourir tranquillement » ; que « le peuple aura toute la vérité, le peuple saura qui est Laurent Bado. Il y a des choses que je vais raconter que le peuple n’a jamais su... ».

Et en guise d’apéritif, il déplorait : « C’est clair et c’est triste, la classe politique burkinabè est corrompue à mort...Elle est zéro ». Et il a tenu sa promesse. Mais qu’est-ce qui a pu pousser le fondateur du Parti pour la renaissance nationale (PAREN) et membre de l’Opposition burkinabè unie (OBU) à vider son sac publiquement lors de son discours d’investiture du dimanche 3 juillet 2005 au CBC, comme annoncé tambour battant par voie de presse ?

S’il estime avoir été régulièrement traîné dans la boue, calomnié, vilipendé, les divergences entre le président de l’OBU et du MPS/PF, Emile Paré dit « le chat noir du Nayala » et les récentes démissions du PAREN des trois députés à savoir Stéphane W. Sanou, Joséphine Drabo/Kanyoulou et Raphaël Bado ont certainement constitué un cocktail de douleurs et de colère supplémentaire au point que l’éminent professeur de droit a cru bon de tout déballer.

Au « peuple d’en juger » maintenant comme il l’a si bien dit dans son discours d’investiture concernant « l’histoire de la corruption des premiers responsables de l’OBU » (NDLR : lire également le discours d’investiture).

Dans son scénario, Laurent Bado, sans se gêner et avec une grande précision, a donné des chiffres, des jours, des dates, des lieux et heures qui ont rythmé l’issue de leurs échanges (Emile Paré et lui) avec un « envoyé de Blaise Compaoré » d’une part et avec le chef de l’Etat d’autre part pour, dit-on, bâtir « une opposition forte, constructive pour dynamiser notre grand parti (allusion au CDP) et ayant des idées, un programme alternatif pour assurer demain la relève, car nous n’avons pas l’idée de nous éterniser au pouvoir ».

Tout compte fait, en dépit de la prudence observée au début par les deux leaders de l’OBU à l’époque, ils ont mordu, eux aussi, au même titre que tous les opposants politiques dits corrompus, à l’hameçon, au bout duquel étaient suspendus 45 millions à leur allouer en plusieurs tranches ainsi que des promesses de financements (occultes) futurs.

Mais face à la tournure des évènements plus tard, ils n’ont pu profiter que des tranches du 31 mars 2004 et 1er juin 2004 de 15 millions chacune dont la part du PAREN de Laurent Bado aurait servi à renforcer ses structures, à acheter un véhicule pour le parti, à payer un cellulaire pour Laurent Bado, à soutenir la députée Kanyoulou pour son évacuation en France, bref, à mieux implanter le parti et à faire des œuvres sociales.

Toujours imperturbable, c’est un candidat à l’élection présidentielle, qui a égrené des cas où il a refusé tout simplement d’être « acheté » ; et de proclamer que : « s’il n’y a que deux personnes incorruptibles au Burkina, j’en suis ; s’il n’y a qu’une personne, je la suis », avant de déclarer que désormais, quiconque le traitera de vendu, de corrompu aura à en répondre devant la justice.

L’acte que le chantre du « tercérisme et du grégarisme africain » vient de poser est inédit ; il est sans doute à saluer, car c’est une première au Burkina Faso, pays dits des hommes intègres, qu’un homme politique accepte de faire de telles révélations au peuple, mais il aurait davantage rendu service à la nation s’il avait étalé les noms des opposants corrompus par le régime ainsi que l’identité de l’envoyé du Blaisot, qui semble être un des acteurs principaux du feuilleton du professeur Bado.

Si on a pu mentionner le nom du chef de l’Etat dans cette affaire qui sent mauvaise, il fallait aller jusqu’au bout de cette logique pour que le peuple sache réellement qui est qui dans cette faune politique. Cela aurait pu, dans la perspective des échéances électorales, éclairer les électeurs, voire donner lieu à une reconfiguration de la scène politique. Mais on comprend aussi le candidat de l’OBU lorsqu’il s’abstient de franchir le Rubicon, car l’entreprise pourrait s’avérer périlleuse.

Mais à voir Bado faire son show, on se demande comment et pourquoi Blaise tient à financer des opposants contre lui-même. Certes en politique, tout est possible, mais ces manœuvres pour, dit-on, séduire les bailleurs de fonds, peuvent-elles à elles seules expliquer cette stratégie qui ressemble à du hara-kiri ou du pur masochisme ? A moins que l’argent de soutien ou de formation d’une opposition forte, comme on le voit avec le départ d’Emile Paré et des députés, n’avait réellement pour finalité de transformer l’OBU en pétard mouillé !

Parlant des millions reçus par le PAREN, son fondateur a dit que prendre de l’argent ne signifie pas qu’on soit du côté du pouvoir. La preuve, a-t-il dit, les médias, les partis politiques bénéficient d’une subvention de l’Etat, mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont tous pour le régime. Là, il s’agit d’amalgame entre les deux situations, car lesdites subventions, qui sont du reste officielles, ne peuvent être considérées au même titre que des financements occultes, qui n’auraient jamais été mis au grand jour si l’amour était toujours parfait entre « le glaive des ancêtres » (c’est la signification de Kilachu en lyélé) et le « Chat noir du Nayala ».

Cependant, l’acte du gourou du PAREN, fût-il courageux et honnête, conforte ceux-là qui pensent, n’en déplaise à Laurent Bado, qu’il est un intellectuel égaré en politique, car quoi qu’on dise, il trop honnête pour ce domaine où la bonne moralité n’a pas souvent droit de cité et où la règle (que Bado vient de briser) est l’omerta : celui qui donne ne le proclame pas, en tout cas pas publiquement, et celui qui prend ne s’en vante pas. Cette droiture que le peuple attend et espère de tous nos hommes politiques n’est hélas qu’une chimère, et la sortie de Laurent Kilachu Bado vient simplement nous le rappeler.

Reste à savoir si en se confessant publiquement, le truculent juriste, qui a peut-être fait preuve d’une naïveté, va obtenir l’absolution de la part d’une opinion qui pourrait le mettre dans le même sac que tous les autres et se dire : « qu’importe ce qui a été fait du pognon présidentiel ; qu’importe si ça n’a pas servi à un enrichissement personnel...le fait est que l’argent a circulé et c’est suffisant ».

Cyr Payim Ouédraogo

L’Observateur

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