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Le Pr. Joseph Paré : <BR>« Les membres de la Francophonie partagent une maison commune, mais font chambre à part ».

Publié le vendredi 19 décembre 2003 à 05h25min

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Le Pr. Joseph Paré est enseignant de sémiotique littéraire et président de l’Université de Ouagadougou. Avec Fabien Nkot, il est auteur d’un ouvrage paru en 2001 aux éditions CIDEF-AFI (Canada) sur « La Francophonie en Afrique subsaharienne ». Il donne ici sa vision de la Francophonie.

Comment est née l’initiative d’un tel travail de recherche sur la Francophonie en Afrique subsaharienne ?

Joseph Paré
L’initiative d’un tel ouvrage est née d’un concours de circonstances. Dans le cadre d’une mission d’enseignement à l’Université Laval au Canada sur la littérature africaine et sur la problématique de la Francophonie, je me suis retrouvé à échanger sur la question de la Francophonie avec d’autres personnes parmi lesquelles, le professeur Michel Tétu. Je me suis alors rendu compte que la situation de la Francophonie en Afrique subsaharienne pourrait et devrait faire l’objet d’une étude approfondie.

Dès les premières pages de l’ouvrage, vous soulignez les controverses qu’il y a autour des origines de la Francophonie. Vous rappelez par exemple que certains donnent l’initiative de l’existence de la Francophonie à Senghor, Diori et Bourguiba alors que d’autres l’imputent au Général De Gaulle. Vous qui avez enquêté sur le sujet, pouvez-vous nous dire exactement d’où vient la Francophonie ?

Joseph Paré
En fait, les origines de la Francophonie, d’un point de vue historique, sont faciles à déterminer, parce qu’il est indéniable que la Francophonie est née au Niger. C’est de la rencontre officielle au Niger, en effet, qu’est née l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), qui est l’ancêtre de la Francophonie. Mais il faut aussi dire que l’avènement de la Francophonie venait après un échec politique du Général de Gaulle, notamment la Loi-cadre qu’il a essayé de faire passer en 1958 et qui n’a pas abouti, parce qu’un certain nombre de pays voyaient en cela une nouvelle forme d’assujettissement.

La vocation de la Francophonie n’est pas non plus évidente, comme le démontrent ces controverses. A quoi sert donc la Francophonie à la lumière des diverses interprétations que les uns et les autres en donnent ?

Joseph Paré
Ce que l’on peut dire à ce niveau, c’est que la vocation de la Francophonie n’a pas toujours été la même depuis sa création, parce que les différentes mutations qu’elle a connues commandaient à chaque fois une vocation nouvelle.
A l’origine, la Francophonie s’est voulue une espèce de regroupement fondé essentiellement sur la langue et ce fut son premier aspect, Sa vocation au départ était donc de créer une grande famille de tous ceux qui avaient en partage la langue française. Mais il s’est bien vite avéré que la création d’une grande famille n’était pas l’acte le plus important. Avec l’évolution, il fallait passer à une autre étape, c’est-à-dire penser la Francophonie, en relation avec les questions économiques et politiques. Les sommets de Hanoi et de Moncton sont chargés donc de donner à la Francophonie une autre dimension directive, Il était temps de quitter ce cadre strictement culturel, qui du reste était largement controversé, pour passer à une autre vision de l’institution de la Francophonie, une vision qui met l’accent sur la solidarité entre les membres de la Francophonie.

Vous parlez dans votre ouvrage de « francoaphones ». Que recouvre cette notion ?

Les « franco-aphones », c’est tous ceux qui se considèrent comme des francophones, mais qui en réalité ne s’expriment pas dans la langue française. Quand on prend le cas spécifique du Burkina, on a coutume de dire qu’il y a 10 millions de francophones au Burkina, parce que le français est la langue officielle. Mais, en réalité, il n’y a que 20 à 25 % de gens qui parlent le français. Et quand on pousse plus loin, on se rend vite compte qu’il n’y a que 10 % de la population qui s’expriment bien en français C’est pourquoi on considère que sont des « franco-aphones ». C’est pourquoi d’ailleurs on parle de la nocivité francophone. On trouve par conséquent sous la plume d’un auteur comme Ambroise Kom la notion de la « malédiction francophone ». Pour lui, notre malheur viendrait du fait que nous nous inscrivons dans des schémas de pensée du colonisateur. La Francophonie serait ainsi une institution dans laquelle nous sommes considérés, non pas comme des citoyens à part entière, mais comme des citoyens de seconde zone.

Pour d’autres auteurs, l’origine de la Francophonie n’a rien de culturel. Elle répondrait à un impératif politique et idéologique. Plusieurs faits prouvent, selon eux, que nous constituons l’arrière-cour de la Francophonie. Les institutions de la Francophonie sont presque toutes implantées hors du continent africain. Nous sommes donc là pour faire le nombre, car nous ne pesons que très peu dans la prise de décisions de la Francophonie, alors que nous sommes les plus nombreux. Il y a donc comme une espèce de tromperie.
Ce que nous pouvons dire enfin à ce niveau, c’est que la Francophonie n’a pas une dimension populaire. Elle reste, jusqu’ici, une affaire des autorités étatiques, sans une réelle participation des peuples africains.

En parlant de l’état de la Francophonie, vous avez relevé des visages contrastés. Quels sont-ils ?

Ce qu’il faut retenir à ce niveau, c’est que la Francophonie ne présente pas les mêmes réalités dans tous les pays du monde francophone. De plus, autant elle évolue selon que l’on passe d’un pays à un autre, autant, à l’intérieur de chaque Etat, la Francophonie n’offre pas un visage uniforme. De manière globale, en considérant les pays, quatre cas de figure se dégagent. Il y a d’abord les pays francophones où la langue française est la seule langue officielle. Ensuite, il y a les pays francophones où le français est une langue officielle avec une autre langue occidentale, notamment l’anglais. Il y a aussi les pays francophones où le français est la langue officielle avec une langue africaine. Et il y a enfin les pays où le français n’est pas la langue officielle, mais pour des raisons historiques, on trouve une communauté francophone importante et donc le français y est couramment utilisé dans les centres urbains.

Au second niveau, on peut parler de contrastes francophones à l’intérieur même des pays où seul le français est langue officielle. Quand vous prenez des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso, le degré d’usage du français n’est pas le même en ville qu’en campagne. Certes, en prenant le cas de la Côte d’Ivoire, on remarque qu’il y a un français particulier qui s’est développé et qui s’est étalé dans tout le pays. Par contre, en ce qui concerne le Burkina Faso, en campagne, on ne parle presque pas le français. Ce sont tous ces aspects donc qu’on appelle « visages contrastés de la Francophonie ». Mais ce n’est pas un fait du hasard. Quand on considère l’exemple d’un pays comme le nôtre, le constat est aisé. Le français est essentiellement une langue de l’élite. Il faut avoir été à l’école pour parler le français.

Dans votre ouvrage, vous affirmez que « les membres de l’organisation francophone partagent une maison commune, mais font chambre à part ». Que voulez-vous dire exactement par là ?

Joseph Paré
Il s’agit pour moi de rappeler la différence qu’il y a entre les pays de la Francophonie, parce qu’en réalité, les pays ne sont pas considérés sur le même pied. On a le sentiment que tout en faisant appel à certains pour qu’ils viennent renforcer le mouvement de-la Francophonie, on ne leur accorde pas tous les égards qu’il faut. C’est comme si vous militez dans une association commune, et que vous êtes moins bien traités que les autres. Nous sommes donc en droit de nous demander si nous sommes dans la Francophonie juste pour qu’on puisse dire que la Francophonie regroupe tel nombre de millions de personnes. Au fond, quel est le poids réel des Africains dans la prise des décisions au plan institutionnel ? Même au niveau des responsabilités, combien sont-ils aux différents postes ? Je sais qu’à ce niveau, la sélection se fait sur la prétendue base de la « méritocratie ». Mais au plan institutionnel, les Africains ne se sentiront vraiment impliqués dans la Francophonie que s’il s’y opérait un véritable remodelage, une redistribution des cartes.

Votre travail a essayé d’évaluer le degré de nocivité supposée de la pratique du français en Afrique ; qu’en est-il exactement ?

A ce niveau l’évaluation est belle et bien possible. C’est vrai qu’il y a toujours un arrière-plan idéologique et politique à partir duquel on examine la Francophonie, mais il faut se dire que le français a vraiment contribué à écarter et à éloigner les intellectuels africains de leur culture. Ce constat a été fait par un auteur comme Mongo Béti qui en a écrit une page célèbre dans son roman « Perpétue ». Il y apporte, par exemple comme preuve, le cas de certaines personnes qui sont en mesure de vous réciter les noms de toutes les communes de France et qui sont tout aussi incapables de dire la situation exacte de leur pays. Pour lui, la Francophonie est essentiellement un instrument d’impérialisme culturel. Evidemment, il n’a pas tort. Car au-delà des proclamations de foi de la Francophonie, le constat amer, c’est qu’il n’y a pas d’efforts réels consentis pour promouvoir les cultures africaines. Ainsi, tant qu’il n’y aura pas d’équilibre, nous continuerons de faire chambre à part.

Vous esquissez enfin quelques schémas d’avenir pour la Francophonie. Quels sont, brièvement, ces schémas ?

Notons ici qu’aux yeux de nombreux Africains, la Francophonie n’est qu’un instrument au service de la domination de la France. Cette perception instrumentale de la Francophonie est renforcée par certaines incohérences de la politique de l’institution elle-même, d’une part, et par la nature des rapports existant entre les anciennes colonies et la France, d’autre part. Nous avons donc esquissé, à ce niveau, des schémas pour une Francophonie utilitaire, Ces schémas sont applicables sur les plans culturel, politique et économique.

Sur le plan politique, nous pensons que la Francophonie peut aider les pays africains dans leur quête de démocratie, Il ne faudrait surtout pas qu’au nom d’intérêts étrangers à ceux des populations africaines, on continue d’encourager certains régimes dictatoriaux. Il faut que les pays européens francophones, qui se sont longtemps battus pour que la liberté et l’égalité deviennent une réalité en Occident, appuient les pays africains dans ce sens.

Sur le plan économique, nous savons que le monde se caractérise aujourd’hui par la globalisation des échanges. Et quoi qu’on dise, l’Afrique doit nécessairement s’inscrire dans ces mouvements de mondialisation et de globalisation. Mais elle ne pourra le faire qu’avec l’appui d’un certain nombre de ses partenaires traditionnels. Certains pourraient y voir encore une forme de tutorat, mais une fois de plus, il ne faudrait pas perdre de vue le fait que les relations se fondent toujours sur des intérêts. Enfin, sur le plan culturel, on peut penser à la promotion des industries culturelles. L’une des potentialités dont dispose encore l’Afrique et qui reste malheureusement inexploitée, c’est son industrie culturelle. Il faudra donc promouvoir ces industries culturelles, qui sont en mesure d’apporter une solution à plus d’un problème. Il y a également les questions de la formation des cadres, de l’alphabétisation, de l’éducation..

Pour vous, chercheur et universitaire, et pour les Africains d’une manière générale, quel est l’intérêt d’un tel travail ?

L’intérêt d’un tel travail se situe à plusieurs niveaux. Premièrement, les Africains doivent parvenir à développer des stratégies de développement propres à leurs réalités et travailler à réorienter la politique de la Francophonie dans ce sens. Il faudra que les Africains se battent pour valoriser leur rôle au sein de la Francophonie. Deuxièmement, l’intérêt de ce travail, qui a même motivé largement mes recherches, c’est de parvenir à s’écarter de cette dichotomie entre ceux qui pensent que la Francophonie est bonne et ceux qui pensent qu’elle est mauvaise. Pour moi, il faut simplement voir de quelle manière on peut réajuster la Francophonie pour qu’elle serve les intérêts de la grande majorité.

Enfin, cet ouvrage s’inscrit en droite ligne de certaines des perspectives qui sont les miennes. Je m’intéressais déjà à la problématique de la Francophonie et je pense qu’il était de mon devoir d’approfondir cette question afin de cerner les réalités et les insuffisances de la Francophonie et voir comment nous Africains, nous pourrions travailler pour une Francophonie en symbiose avec nos Etats.

Propos recueillis par E. Garanet et I. Diaouri

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