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Géopolitique : On peut sauver l’Afrique

Publié le mardi 28 juin 2005 à 07h32min

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Le sommet du G8 qui se déroulera en Écosse au début du
mois de juillet rassemblera les leaders politiques des pays les
plus riches, afin d’examiner la situation désespérée des pays
les plus pauvres. Jusqu’à présent, le président George W. Bush
a résisté à l’appel du Premier ministre Tony Blair afin de doubler
l’aide apportée à l’Afrique d’ici à 2010.

Voici à ce sujet l’analyse
du directeur de l’Institut de la terre de l’université de Columbia,
Jeffrey Sachs.

Il s’agit là d’une erreur tragique, qui vient d’une
incompréhension des défis que doit relever l’Afrique et des
responsabilités de l’Amérique. La politique américaine se fonde
principalement sur l’idée que l’Afrique peut se relever de sa
pauvreté extrême à travers ses propres efforts, que l’aide est
généralement mal utilisée du fait de la corruption et que les
États-Unis sont déjà de généreux donateurs. Tout cela est
erroné à tout point de vue : l’Afrique est prise au piège de la
pauvreté, de nombreux pays sont bien situés pour utiliser l’aide
de manière efficace et la contribution américaine est petite en
comparaison des besoins de l’Afrique, des promesses de
l’Amérique et de ses richesses.

L’Afrique souffre simultanément de trois problèmes qui
l’enferment dans la pauvreté. Tout d’abord, l’Afrique ne produit
pas assez de nourriture. Contrairement à l’Asie, les productions
vivrières de l’Afrique n’ont pas connu de Révolution verte. En
1965, l’Inde produisait en moyenne 854 kilogrammes de grain
par hectare cultivé, tandis que l’Afrique sub-saharienne
atteignait à peu près les mêmes chiffres : 773 kilogrammes par
hectare.

Mais, dès 2000, l’Inde produisait 2 293 kilogrammes
par hectare, alors que l’Afrique ne produisait que 1 118 kilos.
Ensuite, l’Afrique souffre de maladies que ne connait aucune
autre région du monde. La pandémie de sida de l’Afrique est
bien connue, la pandémie de paludisme, qui sera responsable
de trois millions de décès et d’un milliard de malades cette
année, ne l’est pas. L’Inde a contrôlé le paludisme après les
années 1960, tandis que l’Afrique n’y est pas parvenue, du fait
en partie que les moustiques responsables du paludisme en
Afrique sont particulièrement bien adaptés à la transmission de
la maladie.

"Les arguments américains sont faux"

Enfin, l’Afrique est isolée sur le plan économique, du fait du
manque d’infrastructures, des grandes distances
géographiques et des pays intérieurs sans accès à la mer. Ces
barrières géographiques isolent une grande partie de l’Afrique,
particulièrement des régions rurales, hors des grandes voies du
commerce international. Sans les bénéfices du commerce, une
grande partie de l’Afrique rurale se débat à un niveau de simple
subsistance.

M. Bush peut croire que l’Amérique fait beaucoup pour aider
l’Afrique à surmonter ces problèmes, il n’en reste pas moins
que l’aide des États-Unis reste minime. La Commission sur
l’Afrique de M. Blair, ainsi que le projet du Millenium des Nations
unies, ont démontré que l’Afrique a besoin d’environ 50 milliards
USD annuels d’aide jusqu’en 2010. La part équitable de
l’Amérique dans ce total s’élève à environ 15 milliards USD
annuels. Pourtant, l’aide gouvernementale des États-Unis pour
l’Afrique se monte à 3 milliards USD annuels seulement, et une
grande partie de cette somme couvre les salaires des
consultants américains plutôt que les besoins
d’investissements de l’Afrique.

Cette somme, ridiculement petite, correspond à trois centimes
de dollar américain par tranche de 100 USD de PIB, soit
l’équivalent de moins de deux jours de dépenses militaires
américaines.
Non seulement l’aide américaine ne représente qu’une fraction
de ce qu’elle devrait être, mais les arguments américains sont
également faux quand il s’agit d’expliquer le manque d’aide.

M. 
Bush et d’autres sous-entendent que l’Afrique gaspille ses
aides dans la corruption. Cependant, les pays africains pauvres
et à petite croissance tels que le Ghana, le Sénégal, le Mali, le
Bénin et le Malawi sont classés parmi les pays les moins
corrompus que les pays asiatiques à forte croissance tels que
le Vietnam, le Bangladesh et l’Indonésie. En effet, la propre
initiative américaine, le Millenium Challenge Account, a déjà
reconnu ces pays africains pour leur forte gouvernance. La
bonne gouvernance est évidemment un élément essentiel en
Afrique et ailleurs, mais la corruption ne doit pas être utilisée
comme une excuse pour ne pas aider l’Afrique.

"Distribuer des moustiquaires aux populations pauvres"

Dans le domaine de la famine, il faut aider l’Afrique à réaliser
sa propre Révolution verte. Les pays riches devraient aider les
fermiers africains à utiliser des variétés de graines améliorées,
plus de fertilisants et une meilleure gestion de l’eau, telle que
l’utilisation de l’irrigation à petite échelle. Les techniques sont
connues mais les fermiers africains sont trop pauvres pour
démarrer cette activité.

En aidant toujours plus les fermiers
africains à produire plus de nourriture (au lieu d’expédier des
aides alimentaires depuis les États-Unis), il serait possible de
doubler, voire tripler le rendement des récoltes.
Pour ce qui est des maladies, le paludisme pourrait être
contrôlé dès 2008 à l’aide de méthodes ayant fait leurs preuves
et peu coûteuses.

Mais, une fois de plus, l’Afrique ne peut se les
offrir. Notre premier objectif devrait être de distribuer des
moustiquaires traitées durablement à l’insecticide à toutes les
populations pauvres d’Afrique dans les 4 ans qui viennent.
Certaines estimations montrent que l’Afrique a besoin d’environ
300 millions de moustiquaires, pour un coût de 10 USD par
moustiquaire (port compris), soit une somme de 3 milliards
USD.

Ce coût pourrait être étalé sur plusieurs années. De plus,
l’Afrique a besoin d’une aide médicale pour les médicaments
contre le paludisme, l’équipement de diagnostic et la formation
des travailleurs médicaux dans les communautés.
Pour ce qui est de son isolation économique, l’Afrique a besoin
des infrastructures fondamentales, de routes et de ports, et il y a
là également la possibilité d’une « progression par
dépassement » du point de vue technologique.

La connectivité
internet et cellulaire pourrait permettre d’entrer en contact dans
toute l’Afrique à moindre coût, pour mettre fin à l’isolation
économique de centaines de millions de personnes. Certaines
estimations raisonnables affichent des coûts avoisinant le
milliard de dollars pour déployer un réseau de fibres optiques à
travers toute l’Afrique qui permettrait d’apporter la connectivité
internet et le téléphone sur tout le continent, dans toutes les
villes et tous les villages.

L’Afrique est prête à se libérer de la pauvreté si les États-Unis
et les autres pays riches l’y aident. L’Europe semble prête à
faire plus, tandis que les États-Unis semblent rester l’obstacle
principal. Le sommet du G8 offre l’occasion pour les États-Unis,
qui dépenseront 500 milliards USD dans le militaire cette
année, d’offrir une contribution durable, et certainement rentable
à la sécurité mondiale en sauvant des millions de vies en
Afrique et en aidant ses populations à sortir de la misère.

Par Jeffrey D. Sachs

Copyright : Project Syndicate 2005. www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Catherine Merlen.

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