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Discours de la Baule : Quinze ans, et presque rien

Publié le lundi 27 juin 2005 à 07h16min

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L’Afrique a commémoré de la plus éloquente des manières le quinzième anniversaire du discours de la Baule. Au Tchad, Idriss Déby, dont on n’oublie pas qu’il était le chef d’état-major des armées sous le dictateur Hissein Habré, a "remporté" son référendum qui saute le verrou qui lui interdisait de se présenter pour un nouveau et troisième mandat en 2006.

Ce qu’il faut craindre maintenant, c’est qu’après ce lifting constitutionnel, la prochaine étape consiste à mettre en selle un de ses rejetons.

Comme c’est déjà le cas en République démocratique du Congo, où Joseph Kabila est monté sur le trône après l’assassinat de son père, Laurent-Désiré, ou au Togo, où Faure a hérité du bail de son géniteur, Eyadéma, mort de sa mort naturelle le 5 février 2005, laissant, après 38 ans de règne sans partage, un pays en proie au chaos. Comme aussi ce pourrait être le cas demain en Libye, au Gabon, en Guinée-Equatoriale ou en Egypte, où se profile le spectre de dynasties africaines de mauvais aloi.

En Centrafrique, deux ans après son arrivée aux affaires par coup d’Etat, le général François Bozizé, au prix certes d’une transition apaisée et consensuelle, a passé une couche de vernis démocratique sur son treillis. Tours de passe-passe constitutionnels, la filiation comme mode de dévolution du pouvoir et la légalisation par les urnes d’un mandat conquis par les armes, ces trois cas de figure illustrent à souhait l’état de la démocratie sur notre continent, quinze années après l’historique discours de François Mitterrand au Sommet France-Afrique tenu à la Baule du 19 au 21 juin 1990.

Devant une trentaine de chefs d’Etat africains médusés, le locataire de l’Elysée avait alors associé démocratie, aide internationale et développement quand il déclara notamment que : "La France liera, dans sa démarche, tout son effort de contribution aux efforts accomplis pour aller vers plus de démocratie" et que l’aide traditionnelle et ancienne de son pays serait dorénavant "plus tiède face aux régimes qui se comportent de façon autoritaire" et "enthousiaste envers ceux qui franchiront avec courage ce pas vers la démocratie". Le mur de Berlin venait de tomber et c’était désormais la direction à prendre.

Les Bongo, Eyadéma, Kérékou, Moussa Traoré, Blaise Compaoré, Mobutu, Houphouët, Sassou N’Guesso, Biya, Habré, Conté, Ould Taya, Ben Ali, Habyarimana... qui n’étaient pas plus démocrates que l’auteur de ces lignes n’est pape, froncèrent les sourcils, engoncés dans leur fauteuil sur place ou calés dans leur bureau. Et de fait, très peu se résoudront, de gré ou de force, à cette marche forcée vers la démocratie. Ou alors, pour complaire à l’ancienne métropole ou bénéficier de cette prime à la démocratie, on a pris dans de nombreux cas des mesures cosmétiques qui n’ont jamais fait illusion sur la nature réelle des régimes en place.

Certes, la presse s’est libérée quand bien même elle est parfois tenue en laisse par le pouvoir ; la société civile est plus dynamique quoiqu’elle soit souvent la vitrine légale de chapelles politiques ; le multipartisme est de rigueur presque partout sur le continent, même si les élections y sont rarement transparentes et libres et que les oppositions sont souvent très (trop ?) faibles, de par leurs propres turpitudes ou des manigances des pouvoirs en place.

Bilan plus que mitigé donc pour les quinze ans de la Baule, autant dire son adolescence, car si on excepte des pays de vieille tradition démocratique comme le Sénégal, et d’autres qui ont emprunté courageusement cette voie à l’image du Mali, du Ghana, du Bénin, du Kenya, du Cap-Vert, du Niger dans une certaine mesure, une grande partie du continent noir (dans tous les sens du terme) est encore submergée par un océan de "démocrature", ainsi qu’on qualifie le régime de Lansana Conté, qui est resté ce "chef de village" obtus, imperméable à tout et dont le pays agonise en même temps que lui, et une bande de tripatouilleurs de constitutions comme les Bongo, Blaise, Biya, Déby, Conté, Faure (déjà !), quand ce ne sont pas des quasi-dictateurs qui mènent leurs peuples à la baguette.

Ainsi d’un Mugabé, d’un Kadhafi, d’un Moubarak, d’un Obiang N’Guéma, d’un Ben Ali, pourtant courtisés, pour diverses raisons, par les Occidentaux, autrement dit par les discoureurs de la Baule, qui ont toujours su s’accommoder des "dinosaures", "baobabs" et autres potentats locaux, soucieux qu’ils sont avant tout de leurs intérêts que préoccupés par la liberté des négrillons. Chirac, l’ami personnel d’Eyadéma, n’avait-il pas déclaré que la démocratie était un luxe pour l’Afrique et que le premier des droits était de manger à sa faim, absolvant ainsi de tous ses péchés le président tunisien, régulièrement accablé de violations des droits de l’Homme ?

Quant aux Américains, aux Britanniques et autres, s’ils sont prompts à vouer Robert Mugabé aux gémonies, ils se fichent pas mal par contre de savoir si Mussevéni, Moubarak, Obiang N’Guéma, Kagamé sont des enfants de chœur ou des despotes, du moment qu’ils font leurs affaires. Pour tout dire, l’indignation occidentale sur le déficit démocratique et le non-respect des droits humains est bien souvent sélective, preuve, si besoin est, que les principes nobles professés ex cathedra à la Baule ne sont pas toujours prioritaires à leurs yeux.

Et que dire de l’instabilité chronique en Guinée-Bissau qui navigue depuis une décennie entre coups d’Etat et mutinerie, de cette plaie béante au cœur de l’Afrique qu’est la RDC, du Congo-Brazza qui a connu deux guerres civiles, de la Côte d’Ivoire qui a fini par sombrer après la mort du vieux, de la Sierra Leone ou du Liberia toujours en train de panser leurs plaies, etc. ? Si donc quinze ans après, les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs, c’est aussi en partie par la faute de l’ancienne puissance tutélaire, qui n’a pas toujours été conséquente avec elle-même.

Peut-être faut-il, pour se consoler, avoir en mémoire ce que disait le sphinx qui rappelait, à la Baule, que l’Europe avait mis deux siècles pour parvenir à la démocratie et que, de ce fait, il fallait laisser le temps aux Africains : "Certains ont pris des bottes de sept lieues, d’autres marcheront pas à pas. C’est à vous de choisir votre voie, d’en déterminer les étapes et l’allure". Donner du temps au temps donc, pour reprendre une de ses célèbres formules, mais quand on en voit qui ont opté pour le pas de tortue ou qui marchent carrément à reculons, il y a tout de même lieu de s’inquiéter.

Observateur Paalga,

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