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Presqu’île de Bakassi : Obasanjo danse sur un volcan

Publié le mardi 21 juin 2005 à 07h09min

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Depuis une dizaine d’années, le Nigeria et le Cameroun se disputent quelques arpents de terre situés sur leur frontière commune, longue de quelque 1000 kilomètres. A ce sujet, la Cour Internationale de Justice de la Haye (CIJ) a tranché le différend en créant une commission Cameroun-Nigeria chargée de régler les litiges pacifiquement.

Elle a permis de transférer du Nigeria au Cameroun, 33 villages, et 2 villages du Cameroun au Nigeria. Peut-être que cette guéguerre serait finie depuis belle lurette si, entre-temps, la Cour n’avait pas attribué au Cameroun, le 10 octobre 2002, la désormais célèbre péninsule de Bakassi, aux eaux poissonneuses et potentiellement riche en...s pétrole.

D’où les tergiversations répétées du Nigeria qui, du point de vue territorial, est le plus grand perdant. Le président du gouvernement local de Bakassi, un Nigérian de pure souche, Ani Eric Essen, avait formellement déclaré en 2004 que, « Nous n’allons pas céder un pouce de terre et nous n’allons pas devenir Camerounais du jour au lendemain ».

En fait, comme le diraient les Ivoiriens, ce président local ne faisait que manger dans sa bouche le piment de son président, Obasanjo. Les autorités nigérianes ne se sont pas exprimées officiellement sur le sujet. Mais le chef de l’Etat du géant Nigeria aurait changé d’avis en cours de route. Et la CIJ est restée de marbre. Elle dit avoir rendu son arrêt, qui est définitif, sans appel, et elle n’a pas à intervenir sur le suivi de la décision, qui concerne uniquement les parties en présence.

Mais si la page est tournée pour la CIJ, les choses sérieuses ne font que commencer sur le terrain. Surtout avec les derniers développements de l’actualité dans cette région, qui ont coûté la vie à un militaire camerounais. Même si le Cameroun affirme n’avoir pas riposté, l’île de Bakassi reste un volcan sur lequel dansent Biya et Obasanjo pour reprendre une célèbre formule de Salvandy à la veille de la révolution de 1830. Le transfert de souveraineté, tant attendu, est toujours reporté côté Nigeria, lequel transfert promet dans tous les cas de se dérouler dans un contexte explosif.

Plusieurs responsables du territoire, sous autorité du Nigeria et principalement originaires de ce pays, sont fortement opposés au changement de statut. Or en cas de non-transfert, certains menacent d’une guerre civile les Nigérians, qu’ils estiment à 90% de la population. Plus pacifiques, quelques opposants préfèreraient que ce soit les habitants de Bakassi qui jugent par référendum de la souveraineté du territoire, et cela nonobstant l’arrêt de la CIJ.

Toujours est-il que ceux qui s’opposent à ce que le pays de Biya prenne l’île puisent leur force dans le silence bruyant de soutien du président Obasanjo qui, en bon marionnettiste, semble tirer les ficelles en sous-main. Nationalisme et souveraineté mis à part, c’est tout de même difficile de dire adieu à un lopin de terre qui regorge d’or noir.

Un autre géant, le plus géant des géants, ne fait-il pas ces derniers temps des pieds, des mains et même des armes pour se faire une bonne réserve de fuel ? « Alors, à la guerre comme à la guerre » pourrait se dire le général Olusegun. Malheureusement, l’homme fort d’Abuja traîne un gros boulet à un pied : Président en exercice de l’Union africaine, et chef d’un Etat qui aspire à être un membre parmanent du Conseil de sécurité de l’ONU si d’aventure il venait un jour à être élargi, il ne peut pas en faire qu’à sa tête.

Sur l’autre pied, autre boulet, et qui n’est pas des moindres quand on incarne l’unité nationale, c’est le nationalisme, exacerbé par l’idée d’être amputé d’une partie de son territoire. Comment cela sera-t-il perçu par le citoyen lambda nigérian, qui est un potentiel électeur de surcroît ?

Pourtant il est obligé de donner le bon exemple, surtout face à une décision de droit qui oblige l’Etat nigérian à restituer une grande partie de Bakassi au Cameroun. Lui, Obasanjo, qui a été l’artisan de bien des médiations dans les foyers de tension ouest -africains comme en Côte d’Ivoire et au Togo, il est donc entre le marteau de l’UA et l’enclume de l’intégrité territoriale du son pays.

Et si le pompier, donneur de leçons en sus et abrupte à l’occasion, comme lors de la dernière passe d’armes avec Konaré au sujet du Togo, se révèle être un pyromane de première classe, c’en sera fini de sa crédibilité. Mais le regard des observateurs n’est pas seulement tourné vers le président nigérian. Tous les deux chefs d’Etat concernés devront mettre balle à terre pour étouffer ce brasier qui est en train de prendre et qui va créer un précédent fâcheux.

Issa K. Barry
L’Observateur

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