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Pierre Yaméogo : Delwendé m’a ouvert d’autres portes

Publié le vendredi 17 juin 2005 à 08h40min

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Saint Pierre Yaméogo est de retour. Après son Blanc et lui, plutôt "Moi et mon Blanc" qui a été crédité du prix du public au FESPACO 2003, voici Delwendé une autre réalisation qui rehausse sa quote dans notre paysage cinématographique.

Ce chef- d’œuvre d’un coup de 800 millions, qui a obtenu au dernier festival de Cannes dans la section "Un certain regard", le prix de l’espoir, continue de faire salle comble au Burkina.

Pierre Yaméogo s’inscrit toujours dans sa logique de films universels sur des thèmes qui dérangent souvent. "Delwendé" qui ne fait pas exception, lui aurait ouvert des portes.

Sidwaya (S.) : Pierre Yaméogo emprunte-t-il un cheminement contraire des autres artistes qui vont de la consécration aux festivals africains avant d’"affronter" ceux d’Europe ?

Pierre Yaméogo (P.Y.) : Non pas du tout. Je crois que je suis une logique de développement de ma personne et de mon travail. En allant à Cannes ce n’était pas la première fois, mais obtenir une reconnaissance telle que je l’ai eue avec le film Delwendé ne m’était pas arrivé. Pour une fois je crois que c’était bien pour moi. Tout ce que j’attendais comme reconnaissance pour ce film et mes projets futurs, c’est à moi de savoir m’en servir et j’arriverai à pouvoir m’en servir.

S. : Avant cette fiction Delwendé, vous avez réalisé un documentaire (au compte de "Envoyé spécial". Antenne 2) sur les mangeuses d’âmes. Pourquoi cette insistance sur le sujet ?

P.Y. : Cette insistance parce que les mangeuses d’âmes, c’était un sujet de commande que j’avais proposé à Antenne 2. C’était un 52 minutes et à l’arrivée j’ai fait 26 minutes et j’en ai tiré une frustration et c’est cette frustration qui m’a amené à écrire cette fiction pour me "venger" du diktat de l’argent.

C’est vrai que j’avais été bien payé mais cela ne suffit pas pour quelqu’un qui aime son métier et comme j’avais la possibilité de me "venger", j’ai pris ce film long métrage de fiction pour montrer ce que je n’ai pas pu montrer en faisant les mangeuses d’âmes.

S. : Comment voyez-vous l’état du cinéma africain et que doit faire à cet effet la Fédération panafricaine des cinéastes africains (FEPACI) ?

P.Y. : L’on peut déclarer la FEPACI morte jusqu’à preuve du contraire. Pour moi, elle n’existe plus, le cinéma africain a des problèmes de production qui sont dus aux problèmes africains. Donc le cinéma ne peut pas être une entité qui émerge par rapport aux autres maux que l’Afrique connaît.

Economiquement, l’Afrique ne peut pas grand chose qu’acheter des armes et est confrontée à des problèmes. Tout le monde a des problèmes, le médecin a des problèmes, le journaliste a des problèmes, tout le monde lutte et finalement, il n’y a des lutteurs et l’on ne terrasse rien alors qu’il faut qu’on arrive à terrasser quelque chose pour sortir victorieux.

S. : Parlant de la FEPACI, des chaudes empoignades ont eu lieu entre cinéastes au dernier FESPACO. Cela peut-il augurer d’un déclin de la FEPACI ?

P.Y. : En fait, les gens n’ont rien à se dire et ils ont envie peut-être de se frapper. Ils n’ont aucune idée, ils n’ont pas de projets, ils n’ont rien. La FEPACI est une structure qui devait être modernisée et les gens se sont empoignés sans raison. C’est l’empoignade de gens qui n’ont rien à se dire. Je n’étais pas là mais j’ai vu des images et je vous avoue que c’est une honte.

S. : Qu’aurait fait Pierre Yaméogo s’il était à la tête de la FEPACI ?

P.Y. : Ecoutez. Je modérerai tout le monde, je dirai que je ne suis pas l’homme qui vient pour faire descendre tout du ciel. J’inviterai tout le monde à travailler ensemble dans l’union.

S. : Comment se porte le film "Delwendé" côté promotion et distribution ?

P.Y. : Côté promotion, très excellent qui dépasse mes espérances vu le succès enregistré à Cannes. Au Burkina nous sommes presqu’à 50 000 entrées et en termes d’engouement du public, cela est très formidable et l’objectif du film c’était ça à savoir que le maximum de gens le visionnent et qu’ils jugent qu’il y a des traditions qui nous arrangent et des traditions qui ne nous arrangent pas et quand ça ne nous arrange pas, il faut avoir le courage de le dire pour nous permettre d’avancer. On ne peut pas continuer éternellement à conserver des choses qui sont mauvaises. Dans une maison quand tu as un objet qui t’encombre, qui est pourri, il faut le jeter et je crois que cette tradition, elle encombre et il faut la jeter.

S. : De votre carrière de cinéaste, pouvez-vous tirer un bilan à mi-parcours ?

P.Y. : Je ne sais pas si je suis à mi-parcours, j’ai un demi-siècle, j’ai 50 ans et je suis pleinement satisfait parce que je suis un artiste qui vit de son art et c’est déjà très positif pour moi parce que beaucoup de gens ne vivent pas de leur art et j’ai eu cette chance extraordinaire de m’épanouir pleinement en faisant surtout des choses que l’on ne m’impose pas et pour moi, c’était l’essentiel quand j’ai choisi de faire ce métier.

A l’époque, j’ai voulu travailler à Sidwaya (anciennement Carrefour africain) en tant que photographe reporter mais j’ai dû faire un demi-tour à l’époque car je comprenais que là n’était pas ma place par rapport à ce que j’ai rêvé, et j’ai eu la chance d’aller dans des pays qui avancent très vite et voilà. Pour moi, c’est très formidable de vivre en Europe et de travailler au Burkina. Vivre ailleurs et travailler dans son pays, pour moi, c’est le maître-mot et c’est un rêve qui est accompli.

S. : Des générations de cinéastes coexistent mais pas souvent pacifiquement. Dans laquelle des générations vous placez-vous et quel est votre commentaire sur ces conflits de génération ?

P.Y. : En ce qui me concerne, je m’entends avec tout le monde. Mais l’entente ne veut pas dire qu’il faut laisser passer des choses. Ce n’est pas parce que je dirai que je n’aime pas telle manière de fonctionner que c’est forcément guerrier. Pour le commun de mortel, il suffit que je dise que Idrissa Ouédraogo ou Gaston Kaboré ou Souleymane Cissé a fait quelque chose et l’on croit déjà que c’est la guerre que nous nous faisons. En politique, les gars ne le jugent pas comme ça. Pourquoi on veut que les artistes soient en train de dire j’adore un tel alors que je ne l’adore pas. Il faut qu’ils arrivent à comprendre qu’à chaque fois on ne peut pas se faire des éloges. L’on n’avancera pas si Souleymane Cissé du Mali fait une connerie et je dis que ce n’est pas une connerie. Nous sommes tous ensemble et c’est une manière d’exister ou de coexister, je n’en sais rien mais ça n’a rien à voir avec la guerre contrairement à ce qui se dit. Moi je ne vois pas des cinéastes qui ne se disent pas bonjour parce que tel ou tel propos a été tenu.

S. : Quelles portes ce prix peut-il vous ouvrir ?

P.Y. : Ce prix permet à ce présent film d’être bien promotionné et vu dans le monde et avoir, pourquoi pas, une rentabilité financière. Ce film me donne toutes les chances presqu’à 200% de faire mon prochain film. Si je n’avais pas ce prix, ce n’aurait pas été le cas. Si je veux faire mon prochain film, il faut que je "ponde" un scénario digne de ce que les gens attendent de moi et ce serait avec plus de moyens que "Delwendé". Ça me donne toutes les chances. C’est donc le prix de l’Espoir comme le prix est intitulé.

S. : Quel est le nouveau regard de Cannes sur le cinéma africain ?

P.Y. : Il n’y a pas eu un ancien regard, il n’y a pas un nouveau regard et il n’y aura pas un futur regard. Il suffit pour les Africains de travailler et de présenter des films originaux.

J’étais en réserve pour la sélection officielle (compétition officielle) et devant les machines européennes, asiatiques et surtout américaines, j’étais seul abandonné par les miens et surtout un nègre. Si je n’avais pas été abandonné par les miens, je pense que j’aurais été en compétition officielle.

S. : Comment abandonné par les siens ?

P.Y. : Il fallait que je m’assure que je pouvais faire la promotion de ce film à Cannes. Mais avec quels moyens ? Pour un petit film, tu n’as pas moins de 100 millions mais ça peut être rentable. Moi il me fallait 50 millions pour la promotion et je ne les avais pas puisque j’ai investi mes sous pour faire ce film. Même si je me mettais en compétition, ça allait être ridicule. Abandonné par les miens, je n’avais rien pour faire la promotion si j’étais en compétition officielle. On ne va pas à Cannes pour participer mais pour rapporter aussi quelque chose. Ce n’est pas comme le FESPACO où les gens viennent pour soutirer. Il faut qu’on y réfléchisse parce que le FESPACO est mon festival préféré.

S. : Il semblerait que Pierre Yaméogo ne montre pas le vrai scénario à ses partenaires. Il est question de "Wendemi" à Koudougou. "Delwendé", a-t-il eu la même démarche ?

P.Y. : Faux ! Tous ceux qui disent ça sont des menteurs. Je n’ai jamais caché aucun de mes scénarios. C’est des gens qui sont fainéants, qui ne lisent pas les scénarios.

Au Burkina Faso quand les gens lisent, c’est leur bulletin de salaire. Je n’ai jamais caché un scénario et je ne le ferai jamais pour le reste de ma carrière.

S. : Pour la préparation du documentaire "les Mangeuses d’âmes", cette vision aurait prévalu chez le père Balemas qui a posé des problèmes lors des repérages ?

P.Y. : J’étais au Burkina à ce moment d’ailleurs. Il m’a qualifié de maléfique irrécupérable. Mais il s’est trouvé que curieusement, ce film (Wendemi) a fait révéler, des prêtres comme étant des pères de certaines personnes existantes. Même Jean- Paul II avait vu "Wendemi". C’est vrai que je suis un personnage controversé mais on me reconnaîtra un jour. Pour l’instant, mes films sont vus de par le monde car je traite de thèmes particuliers. On ne peut pas être aimé par tout le monde pourvu que l’on soit aimé par quelques gens mais des gens biens.

Interview réalisée par Zakaria YEYE et Fernando GUETABAMBA
Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 18 mars 2006 à 22:07 En réponse à : > Pierre Yaméogo : Delwendé m’a ouvert d’autres portes

    Bonsoir,
    je découvre votre site et votre article sur Pierre Yameogo ; je viens de voir "delwende" et ce film mérite les prix attribués à Cannes. C’est à La Garde, à côté de Toulon (Var) que j’ai vu ce film et je voulais applaudir le réalisateur et les acteurs pour ce moment intense que tous les spectateurs partagent avec l’équipe. Merci.
    J’ai cependant une question que je vous prie de transmettre au réalisateur :
    Monsieur Yameogo, vous montrez que les femmes sont opprimées par leur mari et leur père, ainsi que par leurs oncles, qu’elles doivent se plier à la coutume, que toute la communauté est d’accord et s’y soumet volontiers. Et pourtant, tout ne semble pas si évident, car, lorsque la jeune fille revient au village en ramenant sa mère, sorcière chassée par toute la communauté, elle est entendue par le chef et sa cour (?), ses conseillers (?), alors qu’en toute logique, elle aurait due être chassée. Comment le chef peut-il accepter de perdre la face dans ces circonstances ? Pourriez-vous m’expliquer comment ce retournement de situation est compris dans votre pays ?
    Merci infiniment.
    Avec toute mon admiration,
    M-Claire
    Merci de me répondre sur le mail suivant :
    mckariba@hotmail.com

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