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Côte d’Ivoire : Le fils indigne et le fils prodigue de la Côte d’Ivoire se réconcilient.

Publié le lundi 20 juin 2005 à 07h22min

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Est-ce le fait du hasard ou une volonté délibérée des responsables de la manifestation ? Mmercredi 18 mai 2005, à Paris, dans les Salons Hoche, les deux leaders majeurs de l’opposition ivoirienne, Henri Konan Bédié, président du PDCI, et Alassane Dramane Ouattara, président du RDR, le fils indigne et le fils prodigue de la Côte d’Ivoire, ont fondé officiellement le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

18 mai 2005. Félix Houphouët-Boigny, dont il reste encore à faire "l’inventaire", est né (officiellement) un 18 ; il y aura un siècle tout juste (officiellement) le 18 octobre prochain (c’est un 18 octobre également1946 - qu’a été créé le RDA). Et c’est en octobre que se déroulera (si tout va bien) l’élection présidentielle qui doit décider s’il y aura ou non alternance en Côte d’Ivoire.

Au-delà de l’anecdotique (qui doit amuser Houphouët là où il est), retenons que le "vieux" s’affirme comme le plus grand dénominateur commun de l’opposition. Elle rassemble, autour du PDCI et du RDR, les deux poids lourds, l’ UPDCI de feu le général Robert Gueï et le MFA, soit quatre des dix signataires des accords de Marcoussis. Si l’on exclu, bien sûr, le FPI présidentiel (représenté alors par Pascal Affi N’Guessan) et les trois mouvements rebelles (MYP représenté par Gaspar Déli, MPCI représenté par Guillaume Soro, Mpigo représenté par Félix Doh), les deux "manquants" sont le PIT de Francis Wodié et l’ UDCY de Théodore Mel Eg. A l’exception du RDR, le RHDP rassemble donc deux partis qui ont gouverné la Côte d’Ivoire (le PDCI de 1960 à 1999, l’ UP DCI en 2000) et un parti qui y aspire (le RDR). Si en prend en compte (schématiquement) que l’UPDCI a renversé le pouvoir du PDCI qui se refusait à prendre en compte comme acteur politique ivoirien le RDR, on imagine que cette alliance-là est totalement contre nature. Mais il faut rendre hommage à leurs leaders : ils ont accepté, les uns comme les autres, de mettre de côté leurs ressentiments (qui ne manquent pas d’être profonds) pour fonder une alliance qui vise à "gouverner ensemble dans un esprit d’équité et de responsabilité".

L’accord de Paris s’inscrit dans la filiation de l’accord de Marcoussis dont il est tributaire : cantonner, désarmer, sécuriser, identifier les électeurs, les mettre en carte, voter et accepter les résultats du scrutin. La route est encore longue et ne va pas manquer d’être cahotique ! Si la Côte d’Ivoire parvient alors à organiser une élection présidentielle et des élections législatives, le RHDP a pris l’engagement de "soutenir, au second tour, le candidat arrivé en tête des partis signataires de la plate-forme" pour la présidentielle et de promouvoir une "stratégie de candidature concertée ou commune pour avoir une majorité confortable" à l’Assemblée nationale. Avec un président RHDP et une assemblée majoritairement RHDP, il s’agira alors de "gouverner ensemble dans un esprit d’équité et de responsabilité".

Le RHDP dispose d’une "feuille d’une route" mais pas d’un programme commun de gouvernement. On peut s’en étonner ; il n’y a pas d’autre programme possible que la reconstruction autour d’une démarche consensuelle qui impliquera nécessairement une politique d’extrême rigueur, économique, administrative et sociale. Alors pourquoi n’avoir pas, d’emblée, désigné un candidat unique chargé d’appliquer un programme unique ?

C’est que la Côte d’Ivoire a beau être "au bord du gouffre ", les susceptibilités restent fortes et les ambitions des uns et des autres s’imposent à tous. Les alliances sont faciles à nouer dans l’opposition ; elles sont encombrantes au pouvoir. Plus encore en Afrique où il n’existe pas vraiment de culture d’opposition ; on n’y existe politiquement qu’au pouvoir. Le RHDP entend ratisser large (schématiquement : le Centre et l’Est avec le PDCI, le Nord avec le RDR et l’Ouest avec l’UPDCI) ; mais pour cela, il faudra que chacun joue le jeu de l’autre, et ce ne sera pas toujours simple. Ni avant la victoire ; ni (surtout) après.

Reste, également, que rien n’est dit du rôle politique des mouvements rebelles signataires des accords de Marcoussis. Dans Libération (18 mai 2005), Guillaume Soro expliquait : "Je ne suis pas candidat. Nous n’avons pas pris les armes en septembre 2002 pour nous emparer du pouvoir, mais pour obtenir des institutions légitimes à la faveur d’élections démocratiques, transparentes et ouvertes [...] Mais nous entendons rester dans notre rôle d’observateur, c’est
pourquoi nous ne signerons pas la plate-forme pour l’élection du 30 octobre". OK.

Mais est-ce que les mouvements rebelles (dont le MPCI est la composante la plus puissante) sont, vraiment, des" observateurs" ? S’ils ne participent pas au scrutin présidentiel puis aux élections législatives et locales, quelles seront leurs exigences vis-à-vis de ceux qui accéderont au pouvoir en cas d’alternance ? Le RHDP ne risque-t-il pas de se retrouver l’otage des mouvements rebelles dont le discours n’est jamais cohérent ? Les mouvements rebelles (et tout particulièrement leurs leaders) vont-ils accepter d’être les "dindons de la farce" ?

Le FPI aura beau jeu d’affirmer, une fois de plus, en cas de victoire du leader du RDR que les rebelles ont roulé, depuis 1999, pour Ouattara ; ce qui ne manquera pas de laisser un goût amer. Ouattara balaye tout cela en deux phrases dans Le Figaro de ce matin (19 mai 2005) : "Si j’étais le chef de la rébellion, cela se serait su depuis longtemps [...] Pour nous, le plus important, c’est que la Côte d’Ivoire retrouve son unité et la paix grâce à de bonnes élections".

Une autre question se pose : quelle peut être, pour le_ Ivoiriens, la crédibilité d’un accord qui est, une fois encore, signé à Paris ? Un accord signé essentiellement (Albert Toikeusse, de l’UPDCI et Kobena Anaky du MPA ne jouant qu’un rôle symbolique) par des leaders politiques qui ont quitté la Côte d’Ivoire depuis décembre 1999 (Bédié) et septembre 2002 (Ouattara), l’un et l’autre exfiltrés par la France.

L’image consensuelle et sereine qu’ils véhiculent en signant cette plate-forme dans le cadre luxueux des Salons Hoche tranche cruellement avec la difficile réalité qui est celle que vivent les Ivoiriens en Côte d’Ivoire. "Rentrer aujourd’hui, ce serait me mettre dans une cage. Je ne veux pas être à l’image du président Gbagbo qui ne se déplace qu’entre sa résidence et ses bureaux" déclare Ouattara au quotidien Le Figaro ce matin (19 mai 2005). Certes, mais quand donc pourra-t-il rentrer pour mener sa campagne ? N’est-il pas illusoire de fonder le RHDP alors que ses leaders sont scotchés à l’étranger ?

Quid également de cet accord au sommet ? Laurent Dona Fologo, que Houphouët et Ouattara avaient porté au secrétariat général du P DCI en avril 1991 (il avait été le directeur de campagne de Houphouët en 1990 et sera celui de Bédié en 1995 ; il préside actuellement le Conseil économique et social), a dès hier réclamé sa part d’héritage. Les Il et 12 décembre 1999, à Paris, lors des Journées du militant du PDCI-RDA, il avait tenu un discours particulièrement virulent à l’encontre de Ouattara. Discours repris par les militants.

Que pensent-ils aujourd’hui de l’alliance entre le PDCI et le RDR ? Ne vont-ils pas craindre une OP A de Ouattara sur le P DCI ? Quant aux militants du RDR qui, depuis sa création le lundi 27 juin 1994, ont mené une dure bataille contre le PDCI sous la conduite de Djeny Kobina, son fondateur, puis de Henriette Diabaté (à la suite de la mort de Kobina dans la nuit du 18 au 19 octobre 1998) et, enfin, de Ouattara (depuis le 1er août 1999), vont-ils accepter d’aller aux élections au coude à coude avec leur ennemi d’hier ?

Les motivations des militants sur le terrain n’ont rien à voir avec celle des dirigeants en "exil". C’est dire que si l’accord d’hier n’apporte pas encore de réponse à la crise ivoirienne, il suscite beaucoup d’interrogations.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatqiue

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