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Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française raconte le pays d’Houphouët-Boigny

Publié le mercredi 15 juin 2005 à 07h48min

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Je n’en n’avais pas eu connaissance avant de lire, dans le magazine du ministère de la Défense, Armées d’Aujourd’hui, quelques lignes de présentation. Georges Neyrac, officier de presse de l’armée française, en mission en Côte d’Ivoire pendant quatre mois (septembre 2003-janvier 2004), évoquait son job sur le terrain.

Cela s’appelle Ivoire nue (éditions Jacob-Duvernet) ; en bandeau, l’éditeur nous annonce les Chroniques d’une Côte d’Ivoire perdue. D’emblée, la couverture intrigue : une (superbe) femme nue (de dos) et noire. Une carte de la Côte d’Ivoire, tout droit sortie des services cartographiques des Nations unies sur le déploiement des troupes de l’Unoci au 30 novembre 2004 et une chronologie de l’histoire ivoirienne (faisant la part belle aux dernières années de cette histoire) laissaient penser, cependant, que cet ouvrage s’apparentait plus à l’essai qu’à la littérature de gare.

Ce n’est ni l’un, ni l’autre ; avec une tendance plus ferroviaire que sorbonnarde. Cela ne serait rien si Georges Neyrac (Peillon de son vrai nom) était un quelconque écrivain. Et s’il est un écrivain quelconque, il est avant tout (et c’est à ce titre qu’il était en mission en Côte d’Ivoire), "officier de presse de l’armée française". Un job qui laisse du temps ; il a déjà écrit les Larmes du Kosovo (2002) et Dépêches Kaboul (2004). A quand la prochaine mission pour un prochain bouquin ?

Je ne lui recommande pas le Nord de la Côte d’Ivoire. Il ne s’y est sans doute pas fait des copains. Ni même un pays trop couvert par la presse française. Elle va l’humilier. Il conviendrait sans doute aussi de limiter ses rapports avec les diplomates français en poste à l’étranger. Reste à savoir ce qu’en pense le ministère de la Défense qui, sur la question, ne répond pas au téléphone mais seulement au courrier électronique. J’attends la réponse !

Neyrac a séjourné quatre mois à Abidjan. Septembre 2003, c’est tout juste un an après le coup d’Etat du 18-19 septembre 2002 ; quelques semaines avant l’assassinat (21 octobre 2004) de Jean Hélène (à qui Neyrac dédie son livre). Les ministres des Forces nouvelles ont quitté le gouvernement ; la tension est à son comble, Gbagbo n’ayant pas l’intention d’appliquer les accords de Marcoussis signés quelques mois auparavant.

Neyrac ne parle guère de tout cela ; son livre est un modèle de confusion des genres. Tout est vrai. Mais c’est une vérité sélective et "globalisante" ; ce n’est pas une enquête, ni un témoignage, c’est une vision spécifique de la Côte d’Ivoire, des Ivoiriennes et, accessoirement, de la situation politique et militaire du pays. 190 pages, 34 chapitres + un épilogue. Une obsession : celles qu’il appelle les "go danseuses".

Deux affirmations : tout d’abord, la mort de Jean Hélène "règle l’addition pour tout ce que RFI, TV5, Le Monde, Libération et bien d’autres ont dit et écrit d’insultant ou de méprisant contre la Côte d’Ivoire, son gouvernement et ses institutions, contre la presse africaine indigne, incompétente et couarde" ; ensuite, les rebelles "capables du pire, sans cesse entre le mensonge et la veulerie, la trahison et le pillage, quand ils ne se livrent pas à des exécutions sommaires au coin d’une case, au viol de familles entières, le canon des fusils déchirant l’intimité de femmes terrorisées et l’innocence des erifants abandonnés à ces soi-disant libérateurs".

Vous partez à Abidjan ? Embarquez Ivoire nue. Il y a le listing des hôtels balnéaires (Tereso à Grand Bassam, le Maquis de l’amitié à Assini), "maquis" (Le Petit Bateau, Châtelet Les Halles, Chez Simon), restaurants (Le Réservoir, La Cascade, Chez Sam) et boîtes de nuit (Moulin-à-huile, Tifoli, Saint-Germain, Taxi-Brousse, Diam’s, Pitit-Bar, La Rambla, La Cabane bambou). Y compris les menus et le genre de filles qu’on y rencontre. C’est le côté roman de gare de Neyrac.

Problème : les "racontars" déplacés (ceux sur Marie, amie de Jean Hélène, "une aventure sans lendemain mais terriblement délicieuse", qui bosse à La Cabane Bambou, habite chez Jean qui "subvient à ses besoins", mais "n’a pas la clé de l’appartement", etc.). Si les "go danseuses" sont contraintes par la misère à se jeter dans les bras de Blancs vieux et moches ("qui considèrent l’Afrique comme la maison close de la planète "), il y a, aussi, "dans les rues, des femmes bien vêtues, boubous colorés ou tailleurs modernes, [qui] marchent à pas rapides en baissant les yeux.. elles vont retrouver leurs amants dans des hôtels minables. On appelle ça "avoir des bureaux" et un instituteur ou un fonctionnaire peut avoir plusieurs bureaux".

Voilà pour le côté "tropicalisé" du boulot de Neyrac. Côté boulot-boulot, deux constantes : pas d’estime pour la presse et les médias français ("inconséquents" et "donneurs de leçons ") ; estime pour les journalistes ivoiriens auxquels il trouve des qualités alors que les autorités françaises les "ignorent" et les "méprisent". N’hésitant pas à faire parler les morts, Neyrac explique : "Une fois encore, il [Jean Hélène] me glisse qu’il se sent embarrassé par la position de RFI qui lui paraît confuse, toujours incertaine, parfois trop encline à supporter les Forces nouvelles. Il n’ignore pas que de nombreux journalistes ivoiriens ne taisent pas leur dégoût pour les assertions anti-gouvernementales de la grande radio d’information".

Côté ivoirien (Fraternité-Matin, Notre Voie, 24 Heures, Le National, Le Temps), il écoute avec attention ce qu’on lui dit de "l’ivoirité" ("un concept qui n’est autre que la redécouverte d’une identité perdue "). "Je comprends, ajoute-t-il, que ce genre de discours est insupportable pour les salles de rédaction occidentales qui se targuent de "droit-de-l’hommisme" et sont parfois gouvernées par une conception idéaliste dufaible et de la défense de la veuve et de l’orphelin.Idée française sans doute sortie d’une génération un peu décalée face à la réalité de la nature humaine et animée par un tiers-mondialisme chic et de bon ton, puant parfois l’imposture intellectuelle et la niaiserie, et qui croit encore que la démocratie est un produit exportable comme les yaourts ou les pneus".

Il porte un intérêt particulier à ce que lui raconte RK, un "journaliste" originaire d’Akradiou, en pays adjoukrou ; RK lui fait "comprendre à mots couverts [...] qu’il avait longuement enquêté sur des trafics sinistres dans le quartier résidentiel de la capitale, ainsi que du côté du gigantesque port". Selon RK, la "presse française [...] a assassiné Jean Hélène, à force de médisances et d’ignorances mêlées, une presse qui a poussé les Ivoiriens à la xénophobie et à l’exaspération et qui exerce un terrorisme intellectuel de bon aloi imposant, quelle que soit la tendance politique invoquée, une rare et stérile pensée unique".

J’ai l’impression que RK, un "type exceptionnel", a "trimballé" notre officier de presse avec ses histoires de trafic d’armes illicites qui l’ont obligé à "fuir Abidjan pour se réfugier en Afrique australe". Tout comme il s’est fait trimballé par celui qu’il appelle "le Conseiller", "un des chargés de relations avec la presse à la présidence" avec qui les "conversations ont toujours été cordiales, empreintes de sincérité" ; ils sympathisent.

A la suite d’une rencontre entre "le Conseiller" et "quelques correspondants" Neyrac écrit : "Après de longues heures de discussion, nous nous accordons à reconnaître la justesse de l’analyse du Conseiller. Le droit a été bafoué, les principes essentiels de la démocratie ont été niés par le pacte passé avec les rebelles, des mutins, des hors-la-loi. C’est comme si nous avions parié sur le mauvais cheval, comme si l’illusion de sauver le monde une nouvelle fois nous avait aveuglés".

En décembre 2004, "le Conseiller" lui téléphonera. Il n’aime pas les photos de Gbagbo publiées par Le Figaro Magazine. "Le Conseiller me demande si un magazine aussi prestigieux aurait publié une telle photo du président français ? [...] Sincèrement, je ne le crois pas".

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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